Article
Portrait : derrière mes idées
- Titre
- Portrait : derrière mes idées
- Type
- Article de presse
- Créateur
- Patrick Ilboudo
- Editeur
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L'Observateur
- Date
- 30 août 1982
- pages
- 1
- 8
- 9
- nombre de pages
- 3
- Langue
- Français
- Contributeur
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Frédérick Madore
- Identifiant
- iwac-article-0007310
- contenu
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PORTRAIT
Derrière mes idées
Il a commencé sa vie en vieillissant de trois ans comme dans un désir ludique. C'était en 1939. Oumar SONGOTTI courait sur ses quinze pas, son CEPE en étendard, pour le concours d'entrée à l'école JAMOT des Infirmiers Spécialistes en trypanosomiase. Mais pour y accéder, il fallait compter dix-huit millésimes. Il fit alors un jugement supplétif d'acte de naissance en ajoutant trois "points" à son état civil.
Après neuf mois de formation, il est affecté au Soudan français. Il y ouvre un secteur annexe et y reste six ans au milieu d'une population qui ne connaissait guère ce qu'était la santé. Avec des porteurs, il fait ses tournées à pied afin de dépister ses patients. Au moment de quitter l'hôpital soudanais, il signe en mars 46 son adhésion au R.D.A. "J'en épousais l'idéologie anti-coloniale. Déjà au syndicat, lorsque j'étais secrétaire général de l'ex-A.O.F. pour défendre les intérêts de notre corps auprès des médecins chefs militaires."
M. Oumar SONGOTTI
Gestionnaire des hôpitaux en retraite
Têtu comme une maladie chronique, il reçoit ses premières menaces du Gouverneur HOURAGUES qui le mute d'abord à DORI pour méditer sur son engagement, puis à TINAKOF pour se mirer dans la mare de la région. Son avancement au plan professionnel en prend un vieux coup. Son cœur bat la chamade et mesure ses brimades.
Son cheval d'orgueil qui galope à bride abattue est arrêté à TIEBELE (sa baronnie) par un colon qui lui imprime une marque inaltérable : "M. SONGOTTI, vous ferez la loi après que le R.D.A. ait eu le gouvernail de la VOLTA." Mais, certains enalisel mota aura eu.
Le pachyderme avait pris le pli du parti uni et brisait toutes structures d'accueil pour l'opposition. "Oui. Il convient néanmoins de dire qu'à mi-chemin on n'avait plus d'adversaire." Le 3 janvier 66 surprend SONGOTTI chez lui et l'appelle dans la rue. Il était en carême.
"Vous allez mourir plusieurs fois sans voir jamais cet évènement." Les mains semi-croisées comme en semi-prière, il fronce le sourcil, ravale sa salive, fait la fine bouche et chevauche dorénavant de folles chimères où il ne voit qu'un pays indépendant. On décide à nouveau de le faire échouer à DIAPAGA ; il se cabre. Indiscipline totale : "J'en ai marre." Le revoilà à OUAGADOUGOU à la section technique du secrétariat du groupement Mossi-Gourmatché.
Il se fidélise désespérément au R.D.A., se fait élire député sous ses couleurs, porte le chapeau de toutes les actions du parti lorsqu'il s'est toujours trouvé une majorité pour agir en conformité avec l'esprit de la famille. Le R.D.A. préconisait la balkanisation de l'AFRIQUE, mais pour lui, c'était aléatoire. "N'oubliez pas qu'au départ la HAUTE-VOLTA a adhéré à la Fédération du MALI, et en est sortie plus tard."
Dans les grands ensembles, il y avait des pays qui voulaient continuer le système colonial. Par exemple, tout ce que l'A.O.F. a fait a davantage bénéficié au SÉNÉGAL qu'aux autres.
Il prend sa voiture et se retrouve en face du TRESOR. Il regarde se dérouler les choses, en disant en aparté que le soulèvement était dirigé contre un homme et non contre son parti. Cet homme, c'était le Président et le Secrétaire Général qui, s'asseyant sur les dispositions statutaires du parti, est allé recruter en novembre 65 ses candidats dans son fief et les a imposés. Comme certains, SONGOTTI rappelle qu'il a appuyé sur le klaxon. En vain. Le frein ne marchait plus.
Aussi tirera-t-il sa révérence au R.D.A. en mai 78 pour suivre le courant du Front de Refus. "Non, c'est trop dire. Si Joseph QUEDRAOGO était derrière moi pour mes idées, serait-il pour autant qualifié de Songottiste ? Nous étions un groupe de militants opposés à la candidature du Général LAMIZANA. On m'a dit qu'il était militant R.D.A. en 46-47 lorsqu'il servait à KATI au Soudan. Moi-même, j'ai vécu là et je puis vous affirmer qu'il était difficile pour les fonctionnaires civils de militer dans une formation politique, a fortiori pour un soldat."
"Somme toute, personne n'a été capable de fournir la preuve irréfutable de sa militance. Et pour légitimer l'imposture, on a tergiversé entre la candidature du camarade Augustin WININGA, authentique R.D.A., et celle du Général Président. J'ai dit NIET, viscérablement offusqué dans ma dignité. Comment se prononcer entre deux termes d'une pseudo-alternative : une vraie et une nulle ? J'en recuse le principe. LAMIZANA était un étranger au R.D.A."
"L'imposture va se muer en forfaiture. Quand on devait passer au vote, le Secrétaire Général de service a suspendu les travaux et a foutu le camp. Dans la nuit, des enveloppes ont circulé. Le lendemain matin, les physionomies ont changé."
En tournant encore les pages de l'histoire du parti, SONGOTTI regarde les images de la Seconde République et s'arrête en février 74 sur le débandade entre le locataire de la primature et celui du perchoir. Esclandre national. "Je me rappelle que nous avons eu une audience avec le Général le 7 février. Il avait promis de régler le conflit parce que le Premier Ministre ne voulait rien comprendre. Le 8, c'est moi qui ai réveillé Joseph pour lui apprendre le coup d'État."
En retraite, SONGOTTI ne rêve pas de ressusciter les dinosaures. Il organise de temps en temps des réunions à caractère social, intervient ici et là pour rendre service. L'après-midi, quand il pleut, il dort, mais les chuchotements des gamins le réveillent. Il a vingt-sept enfants, six garçons et vingt et une filles pour quatre femmes. Il feuillette ses souvenirs dans le livre de sa mémoire. Il ne les écrira peut-être pas. Il pense à ses adversaires politiques, à ceux qu'il admire et aux autres. En déteste-t-il ? "En toute honnêteté, c'est Gérard Kango", dit-il.
Il a accompli un pèlerinage à la MECQUE et a accompagné deux fois des pèlerins au lieu saint de l'Islam.
Savoir vieillir est aussi essentiel que savoir marcher. Il apparie les deux sciences et regrette une seule chose : la fièvre de la politique l'a souvent éloigné des stades, lui qui était un supporter de la Flèche d'or de PO. Cependant, il prend ce regret en toute sportivité.
PATRICK ILBOUCO