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Conte de la Tabaski : un mouton pour la Tabaski
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- Titre
- Conte de la Tabaski : un mouton pour la Tabaski
- Editeur
- Ehuzu
- Date
- 11 août 1988
- Résumé
- Le soleil de juillet dardait sur Zongo ses rayons de feu. Il était environ quatorze heures et de toutes parts, les fidèles se pressaient vers les lieux de prière. C’était le dernier vendredi avant la Tabaski, et bien des habitants de Zongo tenaient à remplir, comme il se doit, leur devoir religieux. Au minaret de la grande mosquée, le muezzin lançait le dernier appel pour la prière du Djouma. Les retardataires hâtèrent le pas.
- Page(s)
- 5
- Couverture spatiale
- Mosquée centrale de Zongo (Cotonou)
- Détenteur des droits
- La Nation
- Langue
- Français
- Source
- Bibliothèque du Congrès
- Contributeur
- Frédérick Madore
- Identifiant
- iwac-article-0004061
- contenu
-
Le soleil de juillet dardait sur Zongo ses rayons de feu. Il était environ quatorze heures et de toutes parts, les fidèles se pressaient vers les lieux de prière. C’était le dernier vendredi avant la Tabaski, et bien des habitants de Zongo tenaient à remplir, comme il se doit, leur devoir religieux. Au minaret de la grande mosquée, le muezzin lançait le dernier appel pour la prière du Djouma. Les retardataires hâtèrent le pas.
Aussi sous un grand arbre, à quelque distance du marché aux moutons, Gaafar songeait. Il pensait à la fête de la Tabaski, l’Aïd-el-Kébir, qui devait avoir lieu le lendemain, et qui était une grande source de joie pour les petits musulmans, en particulier. ceux de son quartier. Car pour les enfants, l’Aïd-el-Kébir, c'était «la fête du mouton».
En effet, au cours de cette fête qui commémorait le multimillénaire sacrifice d'Abraham sur le mont Arafat, de nombreux moutons étaient sacrifiés. Il en résultait, pour les enfants, de fastueuses et mémorables ripailles qui faisaient de la Tabaski une fête très attendue par la population enfantine.
Mais pour Gaafar comme, pour la plupart de ses compagnons d’âge, l’intérêt de l'Aïd-el-Kébir ne résidait pas que dans les festins qui l’accompagnaient. Mieux, pour eux, la magie de la fête se situait ailleurs : dans les innombrables combats de béliers qui se déroulaient dans les pâturages, avant le jour du sacrifice.
Tous les enfants mettaient un point d'honneur à engraisser de bonne herbe, et à laver avec un soin méticuleux la ou les bêtes que, selon leur fortune leurs familles achetaient pour la fête. Ils prenaient un malin plaisir, lorsque les bêtes, souvent des mâles magnifiques, étaient rassemblées en ces circonstances, à les exciter les unes contre les autres. Et les béliers, d’un naturel belliqueux, se battaient alors, pour la plus grande joie de leurs jeunes maîtres. Le propriétaire d’une bête victorieuse retirait des exploits de celle-ci une fierté et un orgueil indicibles. De ces joies très simples était faite, pour les enfants, la légende de l'Aïd-el-Kébir.
Gaafar se souvenait, ému, des combats des années antérieures. Les béliers que son père achetait étaient souvent de belles bêtes. Et bien souvent lui, Gaafar, était revenu des champs de bataille improvisés, le front haut. Car son bélier s'y était couvert de gloire, à la suite de joutes épiques. Ces belles joutes, Gaafar songeait, avec un pincement au cœur, qu'il n'avait pas pu y participer cette année et que, cette année chez lui, on ne tuerait pas le mouton non plus. Car depuis quelques mois Gaafar était orphelin.
Le père du jeune garçon était un commerçant d’une quarantaine d'années. Son remarquable sens de négoce avait fait fructifier ses affaires au point que, de Son vivant, il avait toujours fait vivre sa femme et ses quatre enfants à l’abri du besoin. Sa disparition prématurée, après une pénible maladie, avait jeté ses proches dans l'affliction et laissé sa famille dans une réelle gêne. Pour cette raison, il n’était plus possible, chez Gaafar, de sacrifier le mouton de la Tabaski : le père n’avait aucun frère et la mère n’était qu’une modeste ménagère ! Il leur faudrait, cette fois-ci compter sur la générosité des voisins et des amis, qui n'oubliraient pas, selon les préceptes du Coran, la veuve et les orphelins.
La Salat Djouma venait de prendre fin. Par groupes compacts, lès fidèles regagnaient leurs domiciles ou lieux de travail. Quatre hommes s’avançaient vers l'arbre où Liait assis Gaafar, devisant à voix basse. L’un d’eux passa devant le jeune garçon, à le frôler de son majestueux boubou, richement brodé. Dans un geste ample pour le rajuster, il laissa échapper un objet qui tomba aux pieds de Gaafar, avec un bruit mat.
Tandis que le petit groupe s'éloignait à petite allure, sans s’être aperçu de rien, Gaafar ramassa le portefeuille de cuir (car c’en était un) qui venait de choir sous son nez. Il l’ouvrit, et resta stupéfait devant l’incroyable spectable qui s'offrait à ses yeux : à côté de papiers divers se trouvaient de nombreuses liasses de gros billets. Il y eu avait de tous les pays et pour un montant très élevé. Gaafar se souvenait d'en avoir vus de pareils quand son père revenait de ses voyages à l’étranger. Avec sa femme, il parlait alors de millions. Cela impressionnait fort le jeune garçon qui, quoiqu’allant à l’école, avait bien du mal à se représenter un tel montant dans sa tête.
Or dans ce portefeuille qu’il tenait devant ses yeux ébahis, il y avait beaucoup, beaucoup de ces coupures de de toutes couleurs qu'il avait vu, si souvent, son père manipuler.
Gaafar referma précipitamment le portefeuille. Et après s’être assuré, d'un coup d’œil circonspect, que personne ne l’avait vu, il l’enfonça dans sa ceinture et tira dessus son petit boubou. Les quatre étrangers étaient à présent loin. Gaafar réfléchissait très vite : avec les beaux billets qu’il y avait là dans sa culotte, sous sa main, sa mère pouvait acheter des tas et des tas de béliers pour de nombreuses Tabaski. Et aussi améliorer l'ordinaire de la famille et acheter de beaux vêtements à ses enfants. Gaafar regarda les quatre hommes qui s'étaient à présent arrêtés près d'une voiture d’immatriculation étrangère. Ils allaient bientôt y monter, démarrer. Alors tout serait joué. Il lui suffisait d’attendre et de ne rien dire...
Gaafar tâta la bosse sous son boubou. A dire vrai, il ne se sentait pas très à l'aise. Ses parents l'avaient élevé dans la droiture ; et son père avait laissé le souvenu d'un homme de parole. Et puis, quand il rentrait a la maison, que dirait sa mère si fière, et qui ne plaisantait pas sur le chapitre de l’honnêteté ? Gaafar était troublé. S’il rendait le portefeuille, adieu les béliers. Mais s'il rapportait l'argent à la maison... Gaafar hésita un instant, perplexe. Le monsieur au riche boubou brodé s’apprêlait à ouvrir la portière de sa voiture. Il se leva et courut à toutes jambes.
Monsieur, Monsieur ! s'il vous plaît, attendez ! Quatre têtes, d'un même mouvement, se tournèrent vers lui, pendant que quatre paires d'yeux interrogateurs le fixaient, très étonnés. Attendez, ne partez pas, vous avez perdu ceci !
D'un geste décidé il tendit le portefeuille, qui paraissait si épais dans sa main d'enfant. L'homme, surpris porta vivement la main à l'une de ses poches, constata qu’elle était vide, prit le portefeuille et l'ouvrit. Il n’y avait pas de doute : C’était bien le sien.
Où l’as-tu trouvé? questionna-t-il en Haoussa.
Là bas, dit Gaafar en montrant l’arbre du doigt. J'étais assis sous cet arbre. Vous êtes passés et le portefeuille est tombé à mes pieds.
Le regard perçant de l'homme se posa un instant sur celui, candide et confiant, de l'enfant. Puis il se tourna vers ses compagnons : « c’est Lien le mien. J'ai dû mal le rempocher après avoir fait l'aumône aux mendiants, devant la mosquée ». Puis, de nouveau à Gaafar : « Je te remercie, petit. Sans toi ma Tabaski était, à coup sûr, gâchée. Et j'aurais eu bien du mal à rentrer dans mon pays. Mais, comment t'appelles-tu ? ».
Gaafar, Gaafar Abdelaziz Tidjani.
Gaafar... Ton père doit être très heureux d'avoir un gentil comme toi. Je suis sûr qu'il a acheté un gros mouton pour te faire plaisir, et demain...
Il s'arrêta net en voyant Gaafar s'assombrir. « Non, dit l'enfant, sans lui laisser le temps de placer un mot, non. Il n'y aura pas, de mouton chez moi demain. Mon père est mort et ma mère est si pauvre ! » Sa voix s'était brisée, ses lèvres tremblaient. On le sentait au bord des larmes. L'homme au grand boubou, lui posant la main l'épaule, l'attira à soi, tout doucement.
Ne pleure pas voyons ; dis moi plutôt comment s'appelait ton père.
— Omar Muhamed Tidjani. Il était commerçant. Je suis son troisième enfant, débita-t-il d'une seule traite.
L’homme recula pour mieux observer l’enfant et scruta le visage aux traits fins et déjà énergiques. Il dut faire un effort pour cacher son trouble : ce visage, c'était bien le sien ; oui, il en était sûr, à présent. Le visage de son ami Omar Muhamed Tidjani. N'étant plus venu dans le pays depuis des années, il n'avait plus jamais eu de ses nouvelles. Il ignorait même qu’il fût mort.
Un de ses compagnons intervenant à ce moment précis, le tira opportunément d'embarras : Où habites-tu Gaafar ? indique-nous ta maison ». Le petit leva la main et montra le grand arbre : sa maison se trouvait juste à côté. « Va, petit, rentre chez toi. Ta mère doit t'attendre maintenant. Nous viendrons sûrement te voir un jour prochain ». Le petit parti, l'homme demeura songeur, un instant, puis ouvrit les portières de la voiture. Tous quatre montèrent à bord. Les autres étaient impressionnés par le silence et l'air soudain très grave de leur ami. Le voiture démarra doucement.
Cette nuit-là, Gaafar se tourna mille et une fois sur sa natte. Il n'arrivait pas à trouver le sommeil. Il se disait surtout que le contenu du gros portefeuille aurait, sans aucun doute, été d'une grande utilité pour les siens. Pourtant quand, à son retour à la maison, il avait relaté son aventure à sa mère, celle-ci lui avait simplement dit : « Tu as bien fait ». Elle n'avait pas ajouté un seul mot. Gaafar finit par s'endormir, épuisé par ses émotions de la journée. Et il fit un rêve : un grand troupeau de moutons paissait devant lui, dans un vaste pré, et du troupeau se détachait un magnifique bélier, fort et gras, à la soyeuse laine immaculée. Et ce bélier s'avançait vers lui comme pour lui dire : « Voici, je m'offre à toi pour le sacrifice ».
Alors qu'il émergeait à peine, le matin, des brumes de son sommeil agité, Gaafar entendit une forte voix d'homme demander : « N’est-ce pas ici qu'habite Gaafar, fils de Muhamad Tidjani ? » Sans prendre la peine de se débarbouiller, le garçonnet se rua dans la cour : « Oui, c'est bien ici ! Me voi... » Il s'arrêta net, sidéré, émerveillé, interdit. Le reste de la phrase ne franchit pas ses lèvres. Ce qu'il voyait dépassait en beauté ses plus beaux rêves : devant lui, à peine le portail franchi, se tenaient les quatre étrangers de la veille. Devançant le groupe d'un pas, son ami, drapé dans un boubou encore plus splendide que l'autre, tenait au bout d'une longe un bélier, le bélier qu'il avait vu en rêve.
Ses amis avaient sous le bras des paquets allongés qui semblaient fort contenu des vêtements neufs, pour la fête. Et derrière eux venaient des porteurs qui déchargeaient de la voiture deux sacs de riz, des cartons de sucre et de lait en conserve, et d’autres vivres. Et devant sa mère et ses frères surpris, et les trois hommes qui souriaient de la mine ahurie de Gaafar, son nouvel ami, l’homme au grand boubou richement brodé lui dit : « Bonjour Gaafar. Je suis venu t'apporter un petit cadeau pour la Tabaski. Bonne fête Gaafar, bonne fête de l'Aïd-el-Kébir ! ».
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