Article
Aboubacar Fofana (président du Conseil supérieur des Imams) : "En Côte d'Ivoire des pasteurs sont marchands d'armes"
- Titre
- Aboubacar Fofana (président du Conseil supérieur des Imams) : "En Côte d'Ivoire des pasteurs sont marchands d'armes"
- Type
- Article de presse
- Créateur
- Méité Sindou
- Editeur
-
Le Patriote
- Date
- 27 août 2003
- DescriptionAI
- L'Imam Aboubacar Fofana, président du Conseil supérieur des Imams de Côte d'Ivoire, est en exil aux États-Unis en raison de menaces liées à ses prises de position politiques. Il dément toute collusion avec la rébellion, qu'il qualifie de militaro-politique et non religieuse. L'Imam Fofana milite pour le respect de la laïcité, de la démocratie et de la nature multiconfessionnelle et multiethnique de la Côte d'Ivoire, dénonçant le traitement sélectif de l'Islam et la "bouc-émissairisation" des musulmans. Il souligne l'importance historique et la majorité numérique des musulmans dans le pays, appelant à la réconciliation et à la fin des divisions.
- Sujet
- Idriss Koudouss Koné
- Alassane Ouattara
- Bernard Agré
- Henri Konan Bédié
- Ivoirité
- Félix Houphouët-Boigny
- Laurent Gbagbo
- Rassemblement des républicains de Côte d'Ivoire
- Exil Aboubacar Fofana
- Robert Guéï
- Simone Gbagbo
- Guillaume Soro
- Tentative de coup d'État de 2002 en Côte d'Ivoire
- Assassinat d'imams
- Laïcité
- Conseil National Islamique
-
Conseil Supérieur des Imams, des Mosquées et des Affaires islamiques
- Aboubacar Fofana
- Couverture spatiale
- New York
- Liberia
- Korhogo
- Abidjan
-
Côte d'Ivoire
-
États-Unis
- Bouaké
- Sierra Leone
- Kong
- Mankono
- Langue
- Français
- Contributeur
-
Frédérick Madore
- Identifiant
- iwac-article-0010772
- contenu
-
L'Imam Aboubacar Fofana est l'un des dignitaires religieux les plus connus en Côte d'Ivoire. Ce dignitaire religieux qui est le président du Conseil supérieur des Imams dérange par ses prises de position. Il y a quelques jours, nous l'avons rencontré aux Etats-Unis d'Amérique, où il réside depuis quelques mois pour échapper aux foudres des escadrons de la mort. Interview.
- Depuis l'éclatement de la crise ivoirienne, vous ètes absent de votre mosquée. Peut-on savoir si vous êtes en exil aux Etats-Unis ?
Je voudrais de prime à bord vous dire qu'en venant ici aux Etats-Unis, ce n'était pas dans l'optique de m'exiler. J'y suis resté pendant longtemps sans être oint d'un quelconque statut d'exilé. Maintenant, il faut l'avouer, je suis en exil aujourd'hui. Je voudrais vous apprendre qu'avant de quitter la Côte d'Ivoire, j'ai reçu beaucoup de menaces. Des visiteurs nocturnes sont venus, accompagnés quelquefois d'imams, m'avertir. C'étaient des gens qui n'étaient pas de confession musulmane. Malgré ces multiples avertissements, je suis quand même resté au pays. J'ai reçu l'invitation des Etats-Unis pour visiter l'Islam américain ici. J'avais une autre activité qui consistait à regrouper nos communautés, à les encadrer depuis une dizaine d'années. Nous avons en ce moment une convention annuelle qui se tient d'un Etat à l'autre. Cette année, elle doit se tenir à New York. L'année dernière, elle s'est tenue à Philadelphie. J'avais ces deux projets en venant aux Etats-Unis. C'est lorsque j'effectuais ces visites ici que les opérations se sont déclenchées. Il ne fallait pas être aventurier et rentrer au pays tout de suite.
Qu'est-ce qui vous y a contraint ?
Il s'agissait pour moi de voir ce qui se passait au fur et à mesure que le temps s'écoulait. Ce n'est pas par peur que je suis resté, mais bien par prudence. Entre temps, nous avons vu ce qui est arrivé à certains Imams. Connaissant ma position dans notre organisation, aussi bien les Imams que ma famille, m'ont demandé de rester ici. C'est ce qui fait qu'aujourd'hui, j'observe de loin, avec beaucoup d'impatience, les évènements de chez moi. Je veux bien rentrer, car ma volonté n'est pas de rester ici. Je n'ai jamais eu l'habitude de rester aussi longtemps dehors. Cela dit, je pense que le moment venu, je retournerai en Cote d'Ivoire.
- Vous n'avez jamais eu des rapports cordiaux avec les pouvoirs qui se sont succédés. A la création du Conseil national islamique, c'était le cas avec le pouvoir de Félix Houphouët-Boigny. Tout le monde se souvient aussi du discours que vous avez tenu face au Général Guéi. Qu'est-ce qui s'est donc passé sous le régime actuel pour vous infliger la crainte au point de demeurer en exil ?
- J'ai connu mes premiers problèmes en 1987, sous le régime de Félix Houphouët-Boigny, lorsque j'ai attiré l'attention sur le danger que comportait le traitement sélectif vis-à-vis de l'Islam et du Christianisme. Je l'ai mis en garde en lui disant que cela n'était pas une bonne chose. A l'époque, j'ai dit que si les musulmans n'avaient pas encore pris d'option sur la succession, cela ne signifiait pas qu'un jour, un musulman ne se présenterait pas à l'élection présidentielle. Compte tenu de la géopolitique et de la composition sociale du pays, nous avons notre propre analyse. Nous analysons les choses d'une manière dynamique. Jétais militant pour la cause de l'Islam. Parce que je voulais réhabiliter cette religion. Nous avons travaillé pendant longtemps, à la télévision comme ailleurs. Depuis lors, tous les régimes me considèrent comme celui qui empêche de tourner en rond. Les menaces physiques, je les ai reçues, même du temps d'Henri Konan Bédié. Si vous remarquez, dans ma mosquée depuis très longtemps, je n'allais plus à la prière du matin. Parce que j'avais reçu quelques contacts qui m'ont mis en garde. Avec le Général Guéi, les menaces étaient plus directes malgré tout ce qu'on s'est dit, lui et nous. Avec Gbagbo, la situation n'a pas évolué. Je n'ai pas peur de mourir, mais il est bon d'être prudent. C'est cela ma vision de la situation. J'ai eu des discussions souvent tendues, quelquefois amicales avec Laurent Gbagbo avant qu'il ne soit Président de la république. On ne partageait pas les mêmes points de vue. Notre position était d'éviter à la Côte d'Ivoire ce que nous voyons aujourd'hui, eux, leurs positions étaient autres. Nous avons dit à l'époque, de ne pas rejeter certaines candidatures. Lui, il disait que si on acceptait ces candidatures, c'était encore plus dangereux que de les rejeter. Voilà ce qui faisait notre différence. Je le comprends. C'était un candidat, un homme politique. C'est le même fauteuil, je comprends sa position. Mais je suis un religieux. Je vois plutôt l'avenir de la Côte d'Ivoire.
- Dans le cercle restreint du pouvoir actuel, vous êtes considéré comme étant le chef de file des Imams qui font la politique. Et l'on vous impute, en partie, cette situation de guerre à laquelle nous sommes arrivés aujourd'hui. On dit aussi que vous avez quitté la Côte d'Ivoire parce que vous êtes en collusion avec la rébellion.
- Aucun dirigeant de la rébellion ne peut soutenir qu'il avait des relations particulières avec moi. J'ai le dos large, je l'assume. Soro Guillaume est un ancien séminariste. Ce n'est pas cet ancien séminariste, chrétien confirmé, marié à une femme chrétienne, que je vais contacter pour monter une rébellion contre le gouvernement de Gbagbo. Ce n'est pas non plus avec Tuo Fozié, Michel Gueu ou le défunt Félix Doh que je m'associerais pour mener une rébellion. Il faut que les Ivoiriens, surtout la classe politique, arrêtent de faire des amalgames et faire preuve de peu d'honnêteté. Même si on dit que la politique est immorale, mais un peu d'honnêteté sauverait la Côte d'Ivoire. Le problème n'est pas là. Mon langage est clair en la matière. L'amalgame entre la politique et la religion n'est pas de notre fait. Il faut que ceux qui en veulent à la rébellion essayent de faire face à leurs adversaires sans impliquer la communauté musulmane. Ce n'est pas la communauté musulmane qui a créé le RDR. Ce parti est la création de Djéni Kobena, il n'est pas musulman à ce que je sache. Ceux qui ont dirigé ce parti par la suite, en majorité, en première ligne, n'étaient pas musulmans. Pourquoi voudrait-on que ce soit nous qui soyons tout le temps le bouc-émissaire, chaque fois qu'ils ont un adversaire en face d'eux ? Henriette Diabaté, bien qu'elle soit mariée à un musulman n'est pas musulmane. Koné Kafana n'est pas musulman, Jean Jacques Béchio n'est pas musulman. Je peux citer plusieurs cas de dirigeants du RDR qui ne sont pas musulmans. Nous avons notre propre lutte pour réhabiliter l'Islam. Cette lutte est celle du CNI et du COSIM. Notre discours est clair et net. La Côte d'Ivoire est un pays démocratique et laïc. Nous voulons que ces dispositions constitutionnelles soient respectées. Nous ne voulons rien d'autre que cela. Ceux qui ne peuvent pas faire face à leurs adversaires, qu'ils ne viennent pas vers nous. J'ai déjà eu l'occasion de dire au Président Laurent Gbagbo que ce n'est pas la Communauté musulmane qui a demandé que Alassane Ouattara soit le Gouverneur de la Banque centrale des Etats de l'Afrique de l'Ouest (BCEAO) au titre de la Côte d'Ivoire. Ce n'est pas la communauté musulmane qui a exigé que Alassane Ouattara soit au Comité inter- ministériel de stabilisation et de relance économique. Ce n'est pas non plus la communauté musulmane qui a demandé qu'il soit le Premier ministre de la Côte d'Ivoire. Il faut avoir le courage de poser réellement les problèmes. Il ne faut pas faire d'amalgame en soutenant que parce qu'il est musulman et donc, tous les musulmans sont fautifs, si tant il est qu'il a commis une faute. C'est un Ivoirien qui a ses ambitions comme tout le monde. Ce n'est pas notre problème. Nous avons eu plus de rapports avec Laurent Gbagbo et Henri Konan Bédié qu'avec Alassane Ouattara. Nous avons soutenu Houphouët-Boigny pendant tout le temps qu'il était au pouvoir sans que personne ne nous reproche quoique ce soit. Il faut que les gens deviennent sérieux à défaut d'être honnêtes. Ceci étant, il n'y a aucun rapport entre la rébellion en Côte d'Ivoire et l'Islam. C'est une rébellion militaro-politique, il faut que les dirigeants ivoiriens se le tiennent pour dit. Il y a parmi eux des musulmans, des animistes et des chrétiens, tout comme en face d'eux il y a des musulmans, des animistes et des chrétiens. Cette "bouc-émissairisation" de l'Islam trouve sa source ailleurs. Ce n'est pas parce que la rébellion est venue du côté de Korhogo et de Bouaké qu'on va dire que c'est une affaire de musulmans.
- Beaucoup d'Imams sont visés. D'autres comme vous sont en exil. Aujourd'hui, il se trouve que le CNI par le truchement de son président Idriss Koudouss siège au sein d'un Collectif dit de la société civile pour la paix qui sillonne la Côte d'Ivoire pour prêcher la réconciliation. Quel est votre regard sur cette question?
- Les Imams qui sont exilés sont des Imams qui ont pratiquement été menacés dans leur existence physique. Treize (13) Imams ont été tués. Le CNI joue le rôle qui lui a été confié. Nous ne sommes pas divisés mais bien mieux, nous sommes organisés. Même le président du CNI, Idriss Koudouss, par moment, a été menacé. Au début de la création du CNI, on a attenté à sa vie sur la route de Boundiali. Il a échappé à un enlèvement. Nous avons à tour de rôle fait face à ce genre de situation même si elles ne sont pas identiques d'une personne à l'autre. Nous sommes cependant solidaires. Nous sommes avec le président du CNI, tout comme nous sommes avec le chef des Imams. Nous sommes prudents. Notre position n'a pas varié et elle ne changera pas. (...) Le problème aujourd'hui, c'est que les Imams ont été menacés dans leur ensemble, certains ont été exécutés, d'autres sont plus menacés. C'est cela la réalité de la Côte d'Ivoire. Ce qu'on nous reproche, pourquoi on ne le ferait pas aux autres religions ? Les Imams sont-ils les seuls dignitaires religieux à parler du fait politique en Côte d'Ivoire ? Les autres responsables religieux n'ont-ils pas pris position ? N'ont-ils pas parlé ? C'est ce traitement sélectif qui cause des problèmes à la Côte d'Ivoire. Je n'enfoncerais pas qui que ce soit, j'en sais davantage mais je préfère me taire sur certaines choses. Ce que nous demandons à nos concitoyens et à nos partenaires, c'est d'accepter qu'on vive dans la convivialité ensemble et faire en sorte que notre pays ne sombre pas dans le chaos total. On l'a toujours dit et nous ne sommes pas prêts à nous taire.
- En octobre 2000, on parlait du Nord contre le Sud. Cela a été écrit dans certains journaux. Mais au coeur de la guerre, on a eu le sentiment qu'il y avait une opposition chrétiens contre musulmans. Dans certaines églises évangéliques, les prêches étaient des plus enflammées faisant croire à un péril musulman. Ces signaux ne vous donnent-ils pas le sentiment que la guerre religieuse aura finalement lieu?
- En fait, le péril musulman, c'est Binger qui a été le premier à l'écrire au moment de la colonisation. Depuis tout le temps, l'Islam a été considéré comme un péril en Côte d'Ivoire. Si vous allez dans les bibliothèques de la colonisation, vous trouverez le livre de Binger qui vous raconte le péril de l'Islam en Côte d'Ivoire. La colonisation de tout temps a eu peur de l'Islam. Notre problème ne date pas d'aujourd'hui mais bien avant. C'est-à-dire pendant le temps colonial. Et au temps post-colonial, tout a été mis en oeuvre pour étouffer l'Islam en Côte d'Ivoire. Malheureusement, pour ceux qui l'ont voulu, cela n'a pas été le cas. L'Islam a, tout le temps, été combattu par la colonisation et par tous ceux qui ont pris le pouvoir après la colonisation. Chacun avec ses méthodes. Peut-être que ceux d'aujourd'hui le font plus brutalement que par le passé. Les petites églises qui s'installent un peu partout attaquent et prônent l'extermination de la communauté musulmane. Il y a des documents rédigés au ministère de l'Intérieur. Et qui parlent d'aller casser Kong et Mankono. Mais qui ne sont pas réprimés par la loi. Nous avons enregistré tout et nous suivons tout cela de très près. Mais ce que nous tenons à dire à nos frères, c'est que jamais dans l'histoire de la Côte d'Ivoire, l'esprit de guerre religieuse n'est venu des musulmans. Je voudrais encore rappeler aux gens que ni le RDR ni la rébellion ne sont une réponse musulmane. La rébellion n'est pas une réplique des musulmans et de l'Islam. Le RDR n'est pas non plus une réplique des musulmans et de l'Islam. Cela, il faut le reconnaître. Je cite à tout moment ce parti politique et ce mouvement parce qu'ils sont les adversaires les plus farouches du régime Gbagbo. C'est nous qui défendons l'Islam. Nous avons été choisis par nos fidèles comme des Imams pour être leurs responsables. Les problèmes dont nous parlons sont purement d'ordre religieux. La rébellion est une création militaro-politique. Ceux qui mènent la rébellion ont dit exactement ce qu'ils voulaient. Dans leurs revendications, nulle part ne transparaît une question islamique. Il y a des problèmes à l'Ouest, à l'Est, au Sud, au Centre, au Nord. Ceux qui sont à la tête de la rébellion ne sont pas seulement que des musulmans (...). Le problème, il faut le situer dans un cadre purement militaro-politique. La Côte d'Ivoire doit aller vers la réconciliation, vers une nouvelle vision. Le problème de la Côte d'Ivoire vient du fait qu'une partie de sa population, qu'elle soit religieuse, régionale ou ethnique pense qu'elle lui appartient à elle seule. Le problème réside là. Nous, musulmans, originaires du Nord en majorité, ne sommes pas venus en Côte d'Ivoire par immigration. Nous avons été Ivoiriens par notre statut géographique et historique. La Côte d'Ivoire a commencé du Nord vers le Sud et non du Sud vers le Nord. C'est une première réalité qu'il faut appréhender.
Deuxième réalité, nous ne constitutions pas une minorité dans notre pays. Mieux, nous sommes une communauté majoritaire dans notre pays. Nous en sommes conscients.
Troisième réalité, nous avons vécu dans tous les coins de la Côte d'Ivoire. Le fait qu'on vienne du Nord ne veut pas dire que nous vivons au Nord de la Côte d'Ivoire. Nous vivons plus au Sud qu'au Nord. Et cela, depuis plus d'un siècle. Nous nous réclamons de tous les coins de la Côte d'Ivoire. De l'Est à l'Ouest, du Nord au Sud en passant par le Centre. Toutes les villes ivoiriennes sont des villes fondées par les Musulmans. Nous connaissons notre position exacte en Côte d'Ivoire mais nous estimons qu'il ne faut pas allumer le feu. Ceux qui ne l'ont pas compris malgré nos multiples conseils, ce sont eux qui constituent le danger pour la Côte d'Ivoire.
Nous demandons à nos frères de laisser tomber cette vision étriquée du confessionnalisme, du régionalisme et de l'ethnicisme. La seule solution pour la Côte d'Ivoire de sortir de cette impasse, c'est devenir réellement une République tout à la fois laïque, démocratique, multiconfessionnelle et multiethnique.
- Au coeur du processus de réconciliation, vos propos peuvent sonner comme une menace?
- Non, ce n'est pas une menace. Nous disons tout simplement d'arrêter de voir la Côte d'Ivoire comme le pays d'une seule région, d'une seule ethnie ou d'une seule religion. Nous écoutons tout le monde. Nous avons des cassettes de toutes les églises en Côte d'Ivoire. Ce n'est pas parce que nous ne réagissons pas comme les autres qu'on pense qu'on ne comprend pas. Nous comprenons parfaitement. J'ai participé à toutes les démarches de réconciliation, mais il y en a qui ne veulent pas de la réconciliation. Il y a des religions qui sont à la base des querelles. On a beau oeuvrer pour l'entente, il se trouve toujours certains qui sont hostiles. A ceux-là, je voudrais dire de faire attention. Venons à la réconciliation. On peut vivre ensemble et il nous faut vivre ensemble. C'est cela la réalité. On a tué des Imams, on a brûlé des mosquées, on a brûlé le Coran. Tous ces éléments sont suffisants ailleurs pour que l'entente ne soit plus possible. Malgré tout cela, nous sommes disposés à aller à la réconciliation.
- Au coeur de l'Etat, notamment au niveau de la Première dame, les réunions dites de réconciliation nationale commencent et se terminent par des prières évangéliques. La réconciliation est-elle menacée par la question de la laïcité de l'Etat ?
- Cette vision sectaire qui dénote l'incapacité de concevoir que la Côte d'Ivoire est un Etat laïc, c'est de là que viennent tous les dangers qui guettent la Côte d'Ivoire. L'Islam n'est pas venu trouver la chrétienneté et vouloir s'imposer à elle. Bien au contraire.(...) Nous demandons simplement aux dirigeants d'accepter de vivre avec les autres. Je dis et je le répète, la Côte d'Ivoire ne sera jamais ni un pays uniquement islamique ni chrétien, ni sudiste ni nordiste. Cela, je l'ai également dit à Guéi et à Gbagbo. Personne ne pourra diviser la Côte d'Ivoire. Cette volonté de forcer la Côte d'Ivoire vers une donnée sociologique ou religieuse particulière ne nous amènera nulle part. Tout cela nous a amené là où cela devait nous amener. Aujourd'hui, la Côte d'Ivoire connaît près de trente années de retard. Lorsqu'en Côte d'Ivoire des pasteurs deviennent des marchands d'armes, comment voulez-vous que la paix puisse régner dans notre pays ?
- Aujourd'hui, un ministre des Cultes a été nommé dans le gouvernement de réconciliation nationale. A votre avis, quel devrait être son rôle et ses actions prioritaires pour restaurer la laïcité de l'Etat ?
- Les acteurs politiques et religieux de la Côte d'Ivoire doivent être sincères. Il y a déjà existé le ministère de l'Intérieur qui malheureusement n'a pas joué le rôle qui est le sien et voilà là où la volonté de tricher avec la laïcité de l'Etat nous a amenés. Il y en a qui veulent imposer une autre manière de voir ce qui est impossible. On a fait une Constitution en 1960 où on a écrit que la Côte d'Ivoire est laïque. Restons donc dans cette Constitution pour ne pas avoir de problème. S'il doit avoir changement, cela doit être fait de façon consensuelle. Jamais une partie ne va imposer sa vision à l'autre.
-On vous renvoie à la face, le concept de l'exclusion en soutenant que les gens du Nord et les musulmans sont bien intégrés mais que la réciprocité n'est pas réelle. Parce qu'on n'a jamais vu un homme du Sud, candidat et vainqueur d'une élection au Nord.
- C'est une question de volonté. Le pouvoir dans un Etat, c'est le gouvernement. 90 % des Préfets et sous-Préfets du Nord, depuis l'indépendance, sont originaires du Sud. Ils sont plus importants que les députés. Ils n'ont jamais été refusés. Ceux qui avancent ces propos ne connaissent pas la Côte d'Ivoire. on leur fait dire des choses. Les nordistes sont venus au Sud pour y donner la vie. La Côte d'Ivoire est une République. C'est la politique déséquilibrée de développement qui a fait que les nordistes viennent au Sud. Parce qu'il fallait qu'on paie les mêmes impôts et les mêmes taxes mais les revenus n'étaient pas les mêmes. Le Nord contrairement à une certaine idée n'est pas pauvre. Le Nord est potentiellement aussi riche que le Sud.
- Cela n'a pas empêché le Président de la République de déclarer au plus fort de la crise que 90 % du potentiel de production de la Côte d'Ivoire se trouve au Sud.
- Non. Cela n'engage que lui. Nous, nous ne sommes ni du Sud, ni du Nord. Nous sommes Ivoiriens tout court. En tant que tel, nous allons vivre partout en Côte d'Ivoire où la République règne. Si les gens du Sud veulent aller au Nord, ils sont les bienvenus. Jamais, il n'a été reproché à un homme du Sud la raison de sa présence au Nord. Houphouët-Boigny était du Sud mais il a été massivement voté pour la première fois à Korhogo.
- Avez-vous le sentiment que le choc du 19 septembre 2002 a changé quelque chose ? Avez-vous foi après Marcoussis que la réconciliation est en marche ou alors êtes-vous pessimistes comme bon nombre d'Ivoiriens ?
- J'aimerais une fois de plus dire que les religieux doivent être francs avec la Côte d'Ivoire. Je n'ai pas de noms à vous livrer mais chacun se reconnaîtra dans mon discours. Tous ceux qui ont poussé les Ivoiriens les uns contre les autres à vouloir poser tous les problèmes que connaît la Côte d'Ivoire se connaissent. Le ministère de l'Intérieur sait ce qui est dit dans chaque mosquée et qu'est-ce qui est dit dans chaque église.
- Certains musulmans sont critiques à l'égard du Cardinal Agré. Il est régulièrement cité comme celui qui tient des propos contre l'unité nationale.
- Je n'ai pas à citer de noms, mais je sais que les Ivoiriens savent apprécier tout le monde. Il n'y a pas que les musulmans qui ont émis des critiques. Il y a aussi des critiques venues des non-musulmans. Il faut que les gens soient sincères avec la Côte d'Ivoire. On a vu trop de sang coulé et je pense que c'est assez. Restons dans la laïcité. Ne ramenons pas la Côte d'Ivoire dans le moyen âge européen. Parce que, c'est de cela qu'il s'agit et ça ne marchera pas. Ça n'a pas marché au Libéria, en Sierra Leone, au Nigeria et ça ne pourra pas marcher en Côte d'Ivoire. Pourquoi après quarante années d'indépendance, soixante-dix années de colonisation qu'on trouve aujourd'hui opportun de poser le problème de la présence des gens du Nord au Sud ? Pourquoi maintenant ? Moi par exemple, je le dis et je le répète, je refuse d'être du Nord. Je suis né à Abidjan, j'y ai grandi. C'est la biosphère abidjanaise qui m'a nourri. J'ai connu les mêmes températures que les Ebriés, j'ai couru dans les forêts comme eux. La grande majorité des jeunes du Nord à Abidjan et dans les grandes villes sont comme moi. Qu'on n'aille pas dire alors à ces gens "allez-y chez vous". On s'est battu au Sud pour libérer la Côte d'Ivoire. En ce moment, on n'a pas entendu de qui que ce soit qu'il fallait aller se battre au Nord pour le faire. Mon père et ma mère se sont battus à Abidjan. Ils ont même failli y laisser leur vie. Je pense qu'il faut laisser tomber ce genre de discours qui ne nous font pas avancer. Nous les religieux, nous devons être francs avec Dieu. Ne nous servons pas de la religion pour faire autre chose et surtout pas pour opposer les Ivoiriens les uns contre les autres. Malheureusement, le rôle des religieux a été de diviser la Côte d'Ivoire. Certains hommes religieux ont poussé les Ivoiriens à la division.
- Vous avez été l'invité du gouvernement américain pour une tournée aux Etats-Unis. Comment l'Islam s'y porte-t-il ? Le 11 septembre 2000, a-t-il radicalement modifié les rapports de la société américaine avec l'Islam?
- Dans un premier temps, le choc a été très dur, mais au fur et à mesure que le temps avance, je pense que les gens se sont remis. Il n'y a pas seulement le 11 septembre. Toutes les guerres qui se déroulent au Moyen-Orient dans les pays islamiques ont une répercussion sur les relations entre les Musulmans et les non Musulmans aux Etats-Unis. Mais, toutefois, il faut indiquer que les Etats-Unis sont un pays organisé et un Etat de droit. Jamais les musulmans n'ont été fondamentalement inquiétés dans la pratique de leur foi. Le gouvernement garantit à tout le monde la pratique de sa foi. La religion musulmane est celle qui se développe le plus rapidement aux Etats-Unis. Dans les bus, vous avez des écriteaux qui interdisent toute discrimination d'ordre racial ou religieux. Il y a des organisations américaines qui travaillent dans les régions. Je ne vois pas un pays au monde où il fait bon vivre pour un musulman qu'aux Etats-Unis. Je dois le reconnaître, puisque je suis là moi-même aujourd'hui. C'est un pays de liberté, où tout le monde peut pratiquer sa religion, pourvu que tu ne déranges pas les autres. J'aurais souhaité que nos pays africains profitent de cela.
- N'êtes-vous pas en train de susciter la création d'un lobby musulman ouest-africain ? le faisant, ne finirez-vous par effaroucher les autorités américaines comme vous effarouchez les autorités de votre propre pays ?
- Non. Par notre action, nous aidons plutôt les autorités américaines. Elles-mêmes demandent cette organisation. Cette organisation a pour but essentiel de favoriser une meilleure intégration dans la société américaine. Dieu aime tout ce qui est organisé. Il nous a montré l'exemple de l'organisation. Il est le roi Tout-Puissant. Il a créé des anges. A chacun il a confié un rôle. Pourtant, il est Tout-Puissant. Il est omniscient et omnipotent. Nous sommes dans un pays organisé, il n'est donc pas bon que nous venions ici sans être organisés. Il y a des gens qui vivent ici depuis dix ans sans qu'ils aient leurs papiers. Ils sont-là, ils ont des enfants qui sont des Américains. Ils n'ont pas de structures d'éducation pour ces enfants. Beaucoup pensent retourner dans leur pays. Il y a eu une gamme de peuples qui sont venus et qui sont jeunes tombés dans les travers de la société en s'adonnant à la débauche, à la drogue. Beaucoup d'entre eux ont fini en prison et ont été rapatriés. Notre travail est donc d'aider les autorités américaines pour qu'elles trouvent des interlocuteurs au sein de cette communauté.
- A quand votre retour en Côte d'Ivoire ?
- Je rentrerai lorsque j'aurais terminé la Convention de cette année si tout se passe bien. Et si Dieu le veut.
- Pensez-vous que la situation sécuritaire est suffisamment assurée pour que vous rentriez au pays ?
- J'epère qu'entre temps, les gens seront suffisamment sages pour que la sécurité puisse régner.