Article
La Patrie : un an de prison, Plume Libre : 10 mois. À qui le tour?
- Titre
- La Patrie : un an de prison, Plume Libre : 10 mois. À qui le tour?
- Type
- Article de presse
- Créateur
- Mory-Frey Touré
- Editeur
-
Le Jour
- Date
- 6 mars 1995
- pages
- 2
- nombre de pages
- 1
- Sujet
- Ibrahim Doumbia
- Dembelé Fousseni
- Arrestation journalistes Plume Libre
- Rassemblement des républicains de Côte d'Ivoire
-
Plume Libre
- Langue
- Français
- Contributeur
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Frédérick Madore
- Identifiant
- iwac-article-0010641
- contenu
-
# La Patrie: un an de prison, Plume Libre : 10 mois
## A qui le tour?
MM Abou Cissé, fondateur de l'hebdomadaire "La Patrie", proche du RDR, et De Bê Kwassi, journaliste, ont été condamnés le vendredi 3 mars dernier à 12 mois de prison et deux millions de francs d'amende par le tribunal des flagrants délits d'Abidjan. Pour offense au Président de la République. La veille, le directeur de publication de Plume libre, Fousséni Dembélé et un journaliste, Ibrahima Doumbia alias Kémé Brama ont écopé de 10 mois de prison pour "incitation au désordre et à la haine tribale et religieuse".
Vendredi 3 mars très tôt le matin, on assiste à un déploiement des forces de l'ordre. Tant dans l'enceinte du Palais de justice qu'à l'extérieur. Des éléments de la Compagnie Républicaine de sécurité (C.R.S.) et des Bérets rouges sont appelés à assurer la garde des lieux. Dehors, un groupuscule de personnes fait le pied de grue devant l'entrée principale du palais de justice. A une distance respectable des forces de l'ordre. Il n'y a vraiment pas grand monde aujourd'hui. Contrairement aux jours précédents où des échauffourées avaient opposé manifestants et agents de sécurité. Dans la salle d'audience à moitié vide, le petit public présent reste sagement assis, quand les prévenus font leur entrée. Me Assi, le seul avocat commis par ses pairs pour prendre connais-
sance du délibéré, engage immédiatement une brève concertation avec les prévenus.
A 8 heures 30 , la sonnerie retentit : la Cour... Dans un silence de cimetière, le juge vide le délibéré en moins de cinq minutes. Après avoir annoncé que l'exception soulevée par la défense pour ce qui est de la procédure du flagrant délit, a été rejetée par le tribunal. Les deux prévenus sont donc déclarés coupables et condamnés à 12 mois de prison et deux millions de francs d'amende chacun. On ne leur a accordé aucune circonstance atténuante. Le petit public et les journalistes de La Patrie présents pour la circonstance, restent de marbre. Quelques instants après les forces de l'ordre évacuent la salle. Esaire Ten, le rédacteur en chef de La Patrie, ne peut retenir
ses larmes. Il est même inconsolable. Les condamnés prennent place à bord d'un véhicule en stationnement dans la cour du palais de justice. Escortés par les forces de l'ordre, ils regagnent la Maison d'arrêt et de correction d'Abidjan où sont détenus depuis le 21 février les confrères de "Plume libre". Ils ont été condamnés le 2 mars à 10 mois d'emprisonnement pour incitation au désordre et à la haine tribale et religieuse.
De quel ordre public s'agit-il ? L'ordre politique, social, religieux ? Ces questions des avocats, Me Fanny et Me Samassi s'adressent particulièrement au représentant du ministère public qui a insisté, tout le long du procès, sur l'impérieuse nécessité de maintenir l'ordre public. Au cours de ce procès, la défense, une fois de plus, est revenue sur l'irrégularité de la procédure de flagrant délit à laquelle a été soumise cette affaire. Le tribunal n'entend pas les choses de cette oreille. A son tour, le procureur de la République brandit un texte de loi datant de 1990, qui mentionne que les affaires relevant de la Cour de sûreté de l'État sont traitées dans les juridictions de droit commun.
Le président du tribunal va soumettre les prévenus à une série de questions relatives à l'orientation choisie par "Plume libre", et à la communauté musulmane à laquelle ils appartiennent : Avez-vous conscience qu'une information peut troubler l'ordre public? "Plume libre" est de quelle obédience? Savez-vous ce que signifie désinformation ? Qu'entendez-vous par "dédramanisation"?
Me René Bourgoin ne nie pas que le parquet a bel et bien l'opportunité des poursuites. II s'étonne plutôt de voir à la barre ces deux jeunes gens qui avouent que leur intention n'était pas de nuire à quelqu'un. Encore moins d'inciter au désordre et à la haine tribale et religieuse.
Ces aveux sont loin d'émouvoir M. le Procureur de la République qui, dans son réquisitoire, insiste sur la gravité des faits incriminés, avant de demander au juge de condamner les prévenus comme il se doit. Le Président du tribunal n'a pas suivi le Procureur qui avait requis 4 ans de prison. Fousséni Dembélé et Ibrahima Doumbia ont été néanmoins condamnés à 10 mois de prison chacun.