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Les relations bénino-égyptiennes, l'intégrisme et la coopération arabo-africaine vus par l'ambassadeur d'Egypte au Bénin
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- Titre
- Les relations bénino-égyptiennes, l'intégrisme et la coopération arabo-africaine vus par l'ambassadeur d'Egypte au Bénin
- Créateur
- Akuété Assevi
- Editeur
- La Nation
- Date
- 19 janvier 1995
- Résumé
- Le bilan de la coopération bénino-égyptienne, les perspectives qui s'offrent aux échanges entre nos deux pays, les moyens mis en oeuvre au pays des Pharaons pour parer à l’intégrisme, les atouts et les difficultés de la coopération arabo-africaine, tels sont les points abordés par le Dr Fayez Bictache dans cette Interview exclusive à «La Nation»
- Page(s)
- 4
- 6
- Sujet
- Agriculture
- Coopération arabe
- Développement économique
- Éducation
- Fayez Bictache
- Nicéphore Soglo
- Paix
- Violence
- Intégrisme
- Terrorisme
- Radicalisation
- Couverture spatiale
- Bénin
- Égypte
- Porto-Novo
- Cotonou
- Abomey
- Mono
- Aplahoué
- Borgou
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- Détenteur des droits
- La Nation
- Langue
- Français
- Identifiant
- iwac-article-0003259
- contenu
-
Le bilan de la coopération bénino-égyptienne, les perspectives qui s'offrent aux échanges entre nos deux pays, les moyens mis en œuvre au pays des Pharaons pour parer à l’intégrisme, les atouts et les difficultés de la coopération arabo-africaine, tels sont les points abordés par le Dr Fayez Bictache dans cette Interview exclusive à «La Nation».
La Nation: Excellence Monsieur l’ambassadeur, où en est aujourd’hui la coopération bénino-égyptienne?
Dr Fayez Bictache: Merci à «La Nation» et à vous-même de me donner l’occasion d’avoir un échange d’idées avec vous.
S’agissant de la coopération bilatérale entre nos deux pays, il faut bien savoir que cette coopération existe depuis l’ouverture d’une mission diplomatique résidente d’Egypte au Bénin c’est-à-dire depuis 1973. Aujourd’hui, cette coopération a acquis une vitesse de croisière. On peut donc en parler et on peut aussi essayer d’en faire un bilan dans un but bien clair: la dynamiser davantage et accroître ses potentialités.
A titre de preuve d’existence de cette coopération, je vous indiquerai que l’Egypte a été invitée à participer en tant que partenaire au développement à la dernière table ronde qui s’est tenue à propos du secteur de la santé.
En effet, la santé est l’un des secteurs où l’Egypte en tant que pays africain essaie de développer une coopération technique avec le Bénin.
L’Egypte est un pays africain qui lutte contre le sous-développement. Ce n’est pas un pays pourvoyeur de capitaux; c’est un pays qui a besoin de capitaux pour se développer lui aussi. Par contre, il a une certaine expérience et il a des cadres et certaines compétences. C’est pour cela que la coopération technique représente une pierre angulaire de la politique égyptienne. Dans celte politique, le Fonds égyptien de coopération technique avec l’Afrique (FECTA) occupe une place de choix. Dans cette coopération technique, le secteur de la santé est en première ligne.
Nous avons actuellement au Bénin 10 coopérants médecins de diverses spécialisations (des chirurgiens, des généralistes, un analyste et des anesthésistes). Ils travaillent à Porto-Novo, à Cotonou, à Abomey et dans le Mono à Aplahoué. La plupart d’entre eux dépendent du FECTA, et trois dépendent du Fonds arabe d’assistance technique pour les Etats africains, un fonds qui dépend de la Ligue arabe. Nous avons pu, à l’ambassade, réussir à réaliser un accord entre le gouvernement béninois et le Fonds arabe afin de développer les possibilités offertes par la coopération technique, c’est-à-dire offrir au Bénin, en plus du fonds égyptien, un autre fonds qui, pour le moment, est déjà arrivé à fournir au Bénin trois nouveaux médecins. Voilà ce qui concerne le secteur de la santé qui bénéficie aussi de temps en temps de dons de médicaments par le truchement du Croissant rouge égyptien qui traite directement avec la Croix Rouge béninoise.
En deuxième ligne, se trouve le secteur de l’enseignement. Dans ce secteur, il y a plusieurs sous-secteurs. Il y a d’abord un secteur de l’enseignement de la langue arabe. Là, nous avons sept coopérants. Les uns sont répartis dans des écoles privées. Il s’agit de 4 coopérants qui dépendent de l’université Al Azhar qu’on appelle «la Sorbonne du monde arabe» et trois autres dépendent du FECTA (deux au niveau secondaire et un au niveau universitaire pour l’institut des langues arabes).
Nous avons en plus des bourses.
A l’heure actuelle, il y a huit bourses pluriannuelles qui sont offertes au Bénin. Chaque année ces 8 bourses sont offertes par Al Azhar pour des études pré-universitaires et une bourse d’université pour les études modernes comme la médecine, l’agronomie etc...
Dans le secteur de l'enseignement, nous avons aussi l’Université Senghor qui est un des rouages de la francophonie. C’est une bonne chose de remarquer que pour la promotion 92-93, il y avait 16 Béninois; le Bénin heureusement est bien logé dans cette université qui dispense des cours d’études supérieures orientées sur le développement en Afrique. C’est donc une université francophone pour le développement en Afrique.
Le 3e secteur de notre coopération avec le Bénin est l’agriculture. Là, nous avons 5 bourses que nous présentons annuellement au gouvernement béninois, cinq bourses de quatre mois dans dix spécialisations agronomiques dans lesquelles le Bénin peut en choisir cinq à son gré. Mais là, nous sommes en train d’étudier avec nos frères béninois comment dépasser ce niveau et élargir les perspectives de coopération.
Par ailleurs, l’institut diplomatique offre chaque année au Bénin en moyenne deux bourses en plus d’invitations qui sont faites pour participer à des colloques thématiques qui se tiennent au Caire. Le dernier en date en 1994 concernait le fameux mécanisme africain de prévention des conflits.
La Nation: Après ce bilan succinct de la coopération bénino-égyptienne, quelles perspectives s’offrent à ces relations bilatérales et à travers quels projets ou domaines précis?
Dr Fayez Bictache: Du point de vue d’un aperçu général, la valeur moyenne par an de notre contribution se situe à 270.000.000 F CFA pour la coopération technique. C’est assez substantiel, vu que l’Egypte d’abord du point de vue géographique est éloigné du Bénin et vu que le Bénin, malheureusement jusqu’à cette date, n’a pas de mission résidente au Caire. C’est donc déjà un niveau très appréciable.
Lorsque j’ai pris fonction ici au Bénin à la fin 1991, nous nous sommes fixé comme objectifs d’utiliser toutes les perspectives de l’actuelle coopération. Pourquoi ? Parce que nous avions constaté qu’il y avait bon nombre de bourses qui n’étaient pas employées. Je vous ai dit qu’il y a 5 bourses en agronomie. Ces 5 bourses n’étaient pas employées tout comme les 8 bourses pour l’enseignement. Le premier objectif était donc d’utiliser toutes les possibilités déjà offertes. Nous pouvons heureusement dire aujourd’hui début 95 que le taux d’utilisation des possibilités est d’environ 90%. Il y a déjà là un grand progrès qui a été fait Ceci dit, nous pouvons déjà passer à un deuxième niveau qui consiste à examiner les possibilités qui n’ont pas encore été expérimentées.
Je parle avant tout dans ce domaine de l’agriculture parce que des contacts ont été pris. Il y a une invitation qui a été adressée au ministre du Développement rural et nous avons eu une mission d’agronomes égyptiens qui ont séjourné au Bénin pendant une douzaine de jours fin 92 et qui ont visité le Bénin du Borgou au Mono, et du Mono à l’Atlantique. Nous avons là aussi plusieurs perspectives qui s’offrent à nous. Nous sommes en train d’étudier avec la partie béninoise la perspective de mettre sur pied une uni de production du biogaz.
Le 2e volet, c’est l’irrigation, un des aspects qui intéressent le Bénin actuellement, l’Egypte dont on dit qu’il est un don du Nil étant un pays d’irrigation. Nous pensons que lors de la visite du ministre du Développement rural en Egypte en réponse à celle effectuée par une délégation égyptienne lui et ses collaborateurs pourront trouver les modalités pratiques de la coopération en matière d’irrigation, de l’exploitation du biogaz et dans le domaine vétérinaire où nous devons travailler ensemble; je pense aussi à l'enseignement, non pas l’enseignement seulement de la langue arabe mais à l’enseignement moderne. Nous avions un professeur dame qui travaillait à l’Ecole nationale d’administration en informatique et en mathématiques modernes. Je suis personnellement attaché à développer cette dimension de l’enseignement Le directeur de l’institut national d’économie a participé au Caire à une Conférence annuelle des statisticiens et je pense que ce domaine est très important.
La Nation: Monsieur l’ambassadeur, nous savons que l’intégrisme constitue aujourd’hui un danger pour les pays africains. Où en est l’Egypte dans sa lutte acharnée contre ce danger?
Dr Fayez Bictache: L’intégrisme a plusieurs formes, plusieurs visages et plusieurs degrés. Il se manifeste un peu partout, il se manifeste en Algérie, et dans d’autres pays, en Egypte, au Maroc ou en Tunisie à des degrés différents.
Pour ce qui concerne l’intégrisme sous son visage terroriste, c’est-à-dire à travers des actes, des attentats etc..., nous notons depuis maintenant 5 à 6 mois une nette baisse des activités terroristes.
Ceci dit, la parade à l’intégrisme ne peut pas dépendre seulement de moyens sécuritaires. Il s’agit de toute une politique et de toute une stratégie culturelle. Dans certains pays où on a mis seulement l’accent sur les moyens sécuritaires pour parer à l’intégrisme, nous voyons que cela est insuffisant parce que l’intégrisme est un phénomène global qui comprend plusieurs dimensions: une dimension politique, une dimension militaire et une dimension culturelle ou idéologique. Il faut donc, à la lecture intégriste de la réalité, proposer une autre lecture. Cette autre lecture que j’appellerai une lecture moderniste est une interprétation moderniste de l’islam parce que l’intégrisme veut s’arroger le monopole de l’interprétation d’une religion. Dans tous les intégrismes, dans toutes les religions, c’est cela. Ils disent en résumé, c’est moi ,1a vraie religion. Or, il y a d’autres lectures de la religion. On le voit dans la chrétienté, on le voit dans la religion juive où il y a plusieurs interprétations.
Nous pensons qu’actuellement en Egypte, il faut mettre en avant le volet culturel. Il faut mettre en avant une interprétation moderniste, une interprétation du siècle de l’islam qui viserait à redonner à cette religion ses vraies valeurs, à les réactualiser, c’est-à-dire les valeurs de tolérance, de coexistence, les valeurs de raison et de science car c’était une religion qui mettait l’accent très tôt sur la raison humaine. La raison humaine était considérée dans l’islam comme un argument pour vérifier l’authenticité de Dieu.
Pour parer à l’intégrisme, il faut mettre l’accent sur le développement culturel. C’est ce que nous essayons de faire en Egypte et je crois que nous avons réussi à marquer des points importants. Nous avons quand même un développement culturel général significatif qui barre la route à des interprétations réactionnaires et rétrogrades, qui s’alimentent par des conditions sociales, politiques etc...
La Nation: Quelles leçons un pays comme le Bénin peut-il tirer de l’expérience égyptienne dans la lutte contre l'intégrisme?
Dr F. B.: Je pense que là nous rejoignons les préoccupations des responsables béninois et notamment du président Soglo.
Le président Soglo a plusieurs fois mis l’accent sur le fait que la religion ne peut pas être laissée à la seule interprétation des activistes intégristes, que la religion a d’autres interprétations. Même dernièrement, quand il a reçu les chefs religieux, il a mis l’accent sur les vraies valeurs de toutes les religions (les valeurs d’amour, d’entraide, de solidarité et les valeurs de tolérance). Cela rejoint exactement notre propos dans ce sens où toute religion ou toute pensée humaine est susceptible de plus d’une interprétation. S’il y a des interprétations de violence et d’intransigeance, il faut savoir y parer par des interprétations de tolérance, de coexistence et de paix.
La Nation: Monsieur l’ambassadeur, nous nous rappelons que la coopération arabo-africaine avait suscité d’immenses espoirs. N’avez-vous pas vous aussi l’impression que cette coopération s’est essoufflée? Quelles peuvent être, selon vous, les causes de cet essoufflement précoce?
Dr F. B.: Je suis tout à fait d’accord avec vous dans le sens où la coopération arabo-africaine qui a été institutionnalisée par la conférence des chefs d’Etat africains et arabes tenue au Caire en 1977 avait soulevé de très grands espoirs. On avait cru que c’est fini, que tout est joué et’ qu’on peut sortir mutuellement du sous-développement. C’étaient de grands espoirs mais c’étaient aussi des espoirs qui, comme tout grand rêve, dépassaient les possibilités pratiques car il s’agissait de deux ensembles de pays eux-mêmes en proie au sous-développement Il s’agissait de la première expérience de cette envergure. Nulle part ailleurs, nous n’avons vu deux grands groupes de pays sous-développés qui essayent réellement pas dans les proclamations, des déclarations ou des discours - de mettre sur pied des institutions et des fonds, de se sortir ensemble du sous-développement.
De grands espoirs, oui, il faut les garder mais il faut aussi être réaliste. Nous avons tous des insuffisances, des insuffisances notoires. C’est cela les caractéristiques de la coopération Sud-Sud.
La coopération Sud-Sud, ce sont des pays qui, eux-mêmes souffrent de certaines lacunes et qui essayent de s’aider.
La deuxième chose est que les pays arabes du Golfe qui étaient les pourvoyeurs en capitaux ont vu les prix du brut du pétrole baisser de façon significative depuis 1977 et ces pays eux-mêmes aujourd’hui (les plus grands d’entre eux) sont des pays endettés. Nous avons eu là un frein certain.
Le 3e facteur, c’étaient les divergences politiques qui ont paralysé la machine de la coopération arabo-africaine pendant très longtemps. Même l’Egypte, après les accords de Camp David, a dû sortir de ce mécanisme en raison des désaccords contre les pays arabes. Nous avons donc une série de facteurs qui ont obéré, ou qui ont pu gréver la dynamique de cette coopération. Mais malgré cela, quand vous examinez le flux matériel des capitaux qui ont été mobilisés dans les pays africains, il reste très significatif. Il n’y a pas d’autres exemples d’une telle coopération, c’est-à-dire il n’y a pas d’autres groupes de pays du Tiers Monde qui ont fait autant que les pays arabes et les pays africains ensemble jusqu’à ce jour tant en volumes mobilisés que dans la nature des projets impliqués. D’habitude, les pays du Nord sont réticents à investir dans certains secteurs qui ne sont pas à haute rentabilité. Ce qui n’est pas le cas dans la coopération arabo-africaine.
Je vais vous donner un exemple plus concret : les grands barrages. Vous vous intéressez au barrage d’Adjaralla. C’est un barrage très important pour l’indépendance énergétique du Bénin, pour le coût de l’électricité, de l’énergie et donc pour les investissements ultérieurs. Un tel projet on peut le dire - je crois que je ne me trompe pas - n’est pas réalisable sans la contribution de la coopération arabo-africaine.
Pour preuve, vous avez les barrages de Diama et Manantali au Sénégal. Pour ces deux grands barrages qui sont des monuments, 40 à 45 % de leurs financements ont été assurés par cette coopération. C’est une coopération très importante qu’il faut absolument préserver mais qui a ses problèmes. Je remarque que le président Soglo, en bon connaisseur du financement international est très conscient de l’importance de cette coopération. C’est avec ses efforts et ceux de tous les autres chefs d’Etat africains et arabes que nous pourrons redynamiser cette coopération qui bat de l’aile.