Article
La vérité, rien que la vérité : ni jihad, ni croisade
- Titre
- La vérité, rien que la vérité : ni jihad, ni croisade
- Type
- Article de presse
- Créateur
- Diégou Bailly
- Editeur
-
Notre Temps
- Date
- 1 avril 1992
- pages
- 3
- nombre de pages
- 1
- Langue
- Français
- Contributeur
-
Frédérick Madore
- Identifiant
- iwac-article-0007481
- contenu
-
La vérité,
rien que la vérité
NI JIHAD, NI CROISADE
par Diégou Bailly
JE SUIS CATHOLIQUE NON PRATIQUANT. Je suis un être de chair vendu au péché. Je ne comprends pas ce que je fais; car je ne fais pas ce que je veux (...) Si dans mon être, l'homme intérieur aime la loi de Dieu, une autre loi dans mes membres lutte contre la loi de ma raison. Malheureux que je suis!» (1).
QU'EST-CE QUI A PU DÉCHAINER CE FLOT DE HAINE ET DE VIOLENCE de la part de MM. Lamine Diabaté et Balla Keita, deux anciens ministres de la République laïque de Côte d'Ivoire? La peur. Tous les deux, ils ont peur de voir la vérité éclater enfin au grand jour. Ce grand jour où M. Lamine Diabaté répondra, devant le peuple ivoirien, des malversations financières qu'il a commises à la BNDA et à la SOCIDO. Ce grand jour où M. Balla Keita se repentira d'avoir sacrifié plusieurs générations d'Ivoiriens sur l'autel de ses ambitions et de sa mégalomanie. Il répondra de huit années de gestion désastreuse du ministère de l'Éducation nationale.
Rassurez-vous donc. Je ne me sens pas apte à lancer un appel à tous les chrétiens pour une croisade en vue de libérer l'archevêque d'Abidjan, le Cardinal Bernard Yago, des griffes acérées - ironie du sort de trois musulmans: Hamed Bakayoko, Lamine Diabaté et Balla Keita.
Je m'en veux presque d'avoir dit que ces deux messieurs étaient musulmans. Dieu est Dieu et il ne peut être que Dieu de vérité. Or, pour échapper à son châtiment inéluctable, ces deux personnalités souhaitent, du fond de leur cœur, que la Côte d'Ivoire qui vient à peine d'échapper à une guerre civile, sombre dans une guerre sainte. Foin d'eux! Ni Jihad, ni croisade. Les vrais patriotes ivoiriens et amis de la Côte d'Ivoire ne se laisseront pas berner par la dérive démagogique de deux hommes dont le patriotisme et le nationalisme se limitent au volume de leur panse. Aujourd'hui, la seule question qui se pose à la conscience des vrais nationalistes ivoiriens est celle-ci: Sommes-nous pour la vérité ou pour le mensonge?
Le Cardinal Bernard Yago a donné sa réponse, le 22 février dernier, en s'adressant à ses frères et sœurs chrétiens en ces mots: "Que dans votre comportement rien ne puisse approfondir le fossé qui se creuse entre les hommes qui sont des frères, rien ne vienne fortifier et rendre fatal, irréversible le mur de haine qui cherche à se dresser".
IL RESTE MAINTENANT AUX AUTRES ÉVÊQUES DE CÔTE D'IVOIRE DE RÉPONDRE. Individuellement. Déjà, en 1990, certains parmi eux avaient pris parti pour le régime en place contre le peuple de Dieu; pour l'illusion éphémère contre la vérité éternelle. Ces évêques qui avaient refusé de voir que la magnificence de la Basilique Notre-Dame de la Paix de Yamoussoukro est une insulte à la misère et à la pauvreté du peuple ivoirien, doivent choisir, ici et maintenant, entre le camp d'un des leurs, le cardinal Bernard Yago, et le camp du pouvoir en place.
En effet, c'est tous les évêques de Côte d'Ivoire qu'interpelle M. Lamine Diabaté quand il traite l'archevêque d'Abidjan d'ingrat. Il veut dire que les autres qui se voilent la face et se ferment la bouche devant l'éclat de la vérité le font par reconnaissance du ventre. C'est aussi à eux que s'adresse M. Balla Keita quand il dit: "L'appel insensé du Cardinal Yago n'engage que sa propre personne et non l'ensemble de l'Église de Côte d'Ivoire. Son engagement politique déguisé aux côtés des casseurs et de leurs commanditaires n'engage que lui seul, dans son diocèse". Autrement dit, si, contrairement à l'archevêque d'Abidjan, les autres prélats continuent de se taire, c'est soit parce qu'ils ont peur de s'engager politiquement, soit parce qu'ils reconnaissent implicitement que les personnalités arrêtées le 18 février dernier et emprisonnées arbitrairement se confondent avec les casseurs et leurs commanditaires. En somme, entre les opprimés et les oppresseurs, certains évêques doivent choisir leur camp. Clairement et individuellement.
L'APPEL DE M. BALLA KEÏTA S'ADRESSE AUSSI À TOUTE LA COMMUNAUTÉ CATHOLIQUE et principalement à l'association des catholiques de Côte d'Ivoire dirigée par M. Charles Donwahi. Si leur engagement chrétien devait se limiter à la mobilisation des fidèles pour la consécration des cathédrales et basiliques ou si leur foi ne devait consister qu'à se pavaner et à se bousculer, tous les dimanches, autour de la table de communion, il nous faudra désespérer des catholiques de Côte d'Ivoire. Devant les attaques répétées contre le cardinal Bernard Yago, la communauté chrétienne - principalement les chrétiens du PDCI-RDA - doit se déterminer entre son engagement politique et sa loi. Car c'est avec la bénédiction du PDCI-RDA que MM. Balla Keita et Lamine Diabaté couvrent d'opprobre un chef religieux.
Quand je dis "chrétien", je pense naturellement à tous les protestants et à tous les fidèles des églises du christianisme syncrétique. En effet, dès lors qu'il s'agit de choisir entre la vérité et le mensonge, tout silence devient coupable.
ENFIN, MM. LAMINE DIABATÉ ET BALLA KEÏTA ONT PARLÉ À LEURS CORELIGIONNAIRES, LES MUSULMANS. Ceux-ci se montrent souvent plus prompts à louer les mérites du FIS (Front islamique du salut) en Algérie qu'à se prononcer sur les événements qui se déroulent sous leurs yeux. À défaut de pouvoir prendre ouvertement la défense du Cardinal Bernard Yago, la communauté musulmane devrait au moins préciser à tous les Ivoiriens si MM. Lamine Diabaté et Balla Keita parlent au nom de l'Islam. J'en doute. Mais ne pas l'affirmer clairement peut contribuer à créer une confusion dommageable.
Il leur aurait peut-être fallu ne jamais prêter attention aux délires de deux hommes arc-boutés sur leur passé honteux pendant que le train du futur entre en gare. En outre, comme je l'ai déjà dit, je ne suis pas habilité à prendre la défense du cardinal Yago. Mais, pour ce cas précis, il ne s'agit pas de soutenir un chef religieux. Il est plutôt question de choisir entre la vérité et le mensonge.
(1) - Épître de Saint Paul aux Romains, chap. VII, versets 14 à 15 et 18 à 24.
D.B.