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Moutons de Tabaski : les lendemains qui déchantent
- Classe de ressource
- Article
- Collections
- L'Observateur Paalga
- Titre
- Moutons de Tabaski : les lendemains qui déchantent
- Créateur
- Souleymane Ouattara
- Editeur
- L'Observateur Paalga
- Date
- 29 mai 1997
- Résumé
- L'euphorie de la fête passée, les exportateurs de bétail sahéliens font grise mine. Trop de béliers burkinabè, maliens et nigériens déversés sur le marché ivoirien ont "cassé" les prix.
- Langue
- Français
- Contributeur
- Frédérick Madore
- Identifiant
- iwac-article-0002642
- contenu
-
L'euphorie de la fête passée, les exportateurs de bétail sahéliens font grise mine. Trop de béliers burkinabè, maliens et nigériens déversés sur le marché ivoirien ont "cassé" les prix.
Avec son bonnet à mailles délicatement posé sur le crâne, sa barbe finement, taillée et son grand boubou brodé, Issiaka Kaboré cultive soigneusement sa réputation de notable. Cet éleveur et commerçant de bétail, réputé à Pouytenga pour son inaltérable sourire et ses manières policées, doit sa fortune à la Tabaski. Mais cette année, il ne veut plus entendre parler du sacrifice d'Abraham. “La Tabaski ? Une vraie catastrophe", tempête ce musulman fervent. Dans son étable presque vide, un mouton aux longues cornes lui rappelle sans cesse son infortune. "On voulait me l'acheter à 20.000 F cfa. Je préfère le garder que de perdre", dit-il outré.
A Pouytenga, le principal marché de bétail du Burkina, les exportateurs de moutons râlent. Ils rêvaient bénéfices, ils n'ont récolté que ruine: 25 à 30.000 F de perte sèche par bête sur le marché d'Abidjan. “Ce fut une hécatombe, tout le monde a perdu. On nous avait laissé entendre que le marché allait reprendre des couleurs. Jusqu'au jour de la fête, rien ne s'est confirmé", se rappelle Kaboré. Vivant de ce commerce depuis 15 ans, l'homme est coutumier des fluctuations, mais cette année, dit-il, la situation fut exceptionnellement mauvaise.
La Côte d'Ivoire reste le principal débouché du bétail burkinabè. Boeufs, moutons, chèvres y sont acheminés par camions entiers. Période privilégiée pour la vente des moutons, la Tabaski attire sur le marché quantité d'opérateurs. En l'espace de 15 jours, près de 10 000 béliers ont quitté Pouytenga pour la Côte d'Ivoire, rejoignant ceux des autres villes burkinabè, du Mali et du Niger. Trop de moutons “bouchonnant” le marché, les prix ont chuté.
Un débouché bouché
“Cette année, nous avons acheté les moutons plus cher localement, à cause des commerçants ghanéens et togolais. Le Niger aussi est venu “gâter" le marché", s'indigne Kaboré. Absents l'année dernière sur le marché ivoirien pour causes de troubles politiques, les Nigériens ont acheminé 52 remorques sur le marché d'Abidjan, ébranlant ainsi l'hégémonie burkinabè. La “conjoncture”, nom donné à la crise économique par les Ivoiriens, a elle aussi considérablement réduit les. achats.
Un convoyeur témoigne: “Cinq jours avant la Tabaski, on ne vendait plus rien. Les moutons étaient là, pas les clients". Les coûts de transport élevés à cette période, les taxes sauvages ont fini par mettre les exportateurs à genoux. Après avoir investi près de 2 millions F cfa dans l'achat d'animaux, Issiaka Kaboré est rentré au Burkina avec 700.000 F cfa en poche. “Sur place, on ne trouve pas de fourrage. Les remorques remplies de moutons arrivaient sans cesse. Il valait mieux vendre à perte et se sauver", dit-il.
Depuis quelques années, la Tabaski transforme le premier boutiquier ou transporteur venu en exportateur de bétail. Chacun veut faire sa marge sur ce marché. “On y trouve du tout: le commerçant qui brasse des millions et celui qui a à peine 100.000 F", dit Nemaoua Banaon de Vétérinaires Sans Frontières. “Que voulez-vous, se plaint un exportateur professionnel, vous avez votre neveu au chômage. Il se débrouille pour engraisser quatre à six béliers pour la Tabaski qu'il compte revendre à Abidjan pour se constituer un fonds de commerce. Son père vous le confie. Pouvez-vous refuser ?"
Issiaka Kaboré compte sur la sélection naturelle pour mettre les canards boiteux sur la touche. “C'est notre travail et nous ne savons rien faire d'autre. L'année prochaine, nous allons continuer, les autres vont couler", prédit-il. Pour Banaon, “il faudrait organiser la filière. Mais les gens de Pouytenga ont peur de tout ce qui est organisé de crainte que l'administration ne procède à des contrôles, des taxations, etc. Ici, poursuit ce spécialiste, c'est le règne de l'individualisme Les professionnels les plus expérimentés doivent accepter de partager leur expérience, s'ils veulent que leur activité perdure. Sinon, j'ai peur qu'à terme, le marché des animaux sur pied du Burkina ne soit plus compétitif".
Cette année encore, la Tabaski a été une aubaine pour les éleveurs qui ont bien tiré leur épingle du jeu en s'y prenant tôt pour vendre leurs animaux à l'intérieur. L'embouche des moutons est une activité rentable. Un mouton efflanqué acheté à 20.000 F dans un hameau du Burkina peut se revendre 75.000 F, voire 100.000 F, après seulement trois mois d'engraissement avec des tourteaux et des sous produits agroindustriels. Le bénéfice net par tête de mouton avoisine les 25.000 F cfa. Mais rien ne dit que le marché, qui semble faire sa loi, n'imposera pas aux éleveurs de réviser leurs prix à la baisse et aux exportateurs des pays sahéliens de s'organiser mieux. Pour le moment, les consommateurs ivoiriens festoient à bon compte.
Souleymane Ouattara
(SYFIA)
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