Article
Convocation des Imams par le Colonel Déon : la grande colère des musulmans
- Titre
- Convocation des Imams par le Colonel Déon : la grande colère des musulmans
- Type
- Article de presse
- Editeur
-
Le Patriote
- Date
- 25 août 2000
- pages
- 1
- 2
- 3
- nombre de pages
- 3
- Sujet
- Idriss Koudouss Koné
- Amadou Seye Diaw
- Sékou Sylla
- Aboubacar Samassi
- Robert Guéï
-
Association des Élèves et Étudiants Musulmans de Côte d'Ivoire
-
Association des Jeunes Musulmans de Côte d'Ivoire
- Conseil National Islamique
- Aboubacar Fofana
-
Conseil Supérieur des Imams, des Mosquées et des Affaires islamiques
- Langue
- Français
- Contributeur
-
Frédérick Madore
- Identifiant
- iwac-article-0007057
- contenu
-
**Convocation des Imams par le Colonel Déon**
**LA GRANDE COLÈRE DES MUSULMANS**
Ce que les Imams et Déon se sont dit
**Dieu défié**
**POINT DE PRESSE Imam Sékou Sylla :**
“Nous craignons un génocide contre les musulmans."
**Convocations des Imams par le Colonel Major Déon Georges**
**LES MUSULMANS ASSIÈGENT LA BRIGADE DE RECHERCHES**
D. Al Séni
La Brigade de recherches au Plateau, c'est là que les gendarmes convoquent, entendent et écrouent les criminels, les faussaires et autres bandits de grands chemins. C'est en ces lieux que le Colonel Major Déon Georges, Commandant supérieur de la Gendarmerie, a fait convoquer les plus hauts dignitaires musulmans de Côte d'Ivoire hier. Il était 8 h 15 mn quand les Imams Kone Idriss Koudouss, Aboikary Fofana, Aboubacar Samassi et Sekou Sylla se sont présentés devant le Commandant de la section recherches de la Brigade de recherches, le Capitaine Konan Kouassi Stanislas. Ils étaient accompagnés d'un collectif d'avocats. Dans la cour, une foule de fidèles s'était rassemblée. Devant ses hôtes, le Capitaine Kouassi a indiqué qu'il s'agit d'un échange que son chef souhaite avoir avec les Imams et non d'une interpellation. Après un coup de fil au Commandant supérieur, l'officier conduit les Imams chez Déon. Les religieux, en compagnie de Diaw Amadou, président de l'Association des jeunes musulmans de Côte d'Ivoire (AJMCI), et deux avocats, sont introduits chez Déon. Après une heure d'échanges, les Imams retrouvent les fidèles dont le nombre ne cessait de s'accroître. Le président du Conseil national islamique, Idriss Koudouss, et le porte-parole du Conseil supérieur des Imams, Aboikary Fofana, ont remercié les uns et les autres pour l'élan de solidarité et de soutien à leur égard.
**COLÈRE ET INDIGNATION**
"C'est Allah qui a créé l'homme, Il a créé la terre, les étoiles, la lune. C'est Lui qui a créé les bombes, les fusils. C'est Allah qui a créé le pouvoir. Et le pouvoir appartient à Allah. En abuser et convoquer les Imams, ses représentants, est un défi lancé au créateur de l'univers." Plus qu'un cri de colère, ces phrases que scandaient les musulmans hier sont l'expression d'une indignation, indignation relative à la banalisation des guides musulmans par la junte au pouvoir. Et les fidèles de la religion du prophète Mohammad se sont dits scandalisés par la convocation de leurs représentants. "L'attitude du chef de l'État est discriminatoire. Ce qu'il reproche à nos leaders a déjà été dit par les responsables des autres religions. Ils n'ont pas été convoqués. Il a fallu que les chefs musulmans répètent ce que tout le monde sait pour que la junte se rende compte du complot," fait remarquer Guindo Ibrahim, membre de TAEEM-CI.
"Pourquoi, c'est la communauté musulmane qui est toujours dans le collimateur du pouvoir ?" s'interroge, amère, l'étudiante Doumbia Falou. "Ce que nous vivons (NDLA les musulmans) dans notre pays est un calvaire. Nous sommes traqués comme des bêtes. C'est à croire que la Côte d'Ivoire a déjà choisi sa religion," s'indigne-t-elle.
On l'aura donc constaté. Colère et indignation ont rythmé la marche. Mais cette humiliation n'entamera en rien la détermination des fidèles.
"Nous demeurons musulmans. Même dans la plus grande humiliation," ont martelé deux manifestants.
"Et que les persécuteurs des enfants d'Allah le sachent : Jupiter rend fou celui qu'il veut perdre," a averti un groupe de jeunes.
Yves-M. Ablet
Les échanges avec le Colonel Déon, ont-ils dit, portaient sur des questions sans lien avec la religion et les musulmans. Un appel au calme et à la retenue a été lancé par les dignitaires à l'endroit de tous. Les milliers de personnes qui ont fait le déplacement à la Brigade de recherches ont cependant tenu à accompagner les Imams jusqu'à la mosquée du quartier Dallas à Adjamé. On a alors assisté à la première marche des musulmans de Côte d'Ivoire contre un régime en place. Les pancartes "Laissez nos Imams en paix", "Plus jamais ça", "Guei doit respecter les religieux", disaient long sur l'état d'esprit des marcheurs. Malgré la présence des bérets rouges, des véhicules blindés et des chars anti-émeute sud-africains, tout s'est déroulé dans le calme. Notons que les jeunes musulmans et les femmes musulmanes projettent d'organiser une grande marche de protestation le mardi prochain au Plateau.
**CE QUE LES IMAMS ET DÉON SE SONT DIT**
Le Colonel Major Déon Georges, qui a reçu les Imams, leur a indiqué qu'il les a "invités" pour parler d'un certain nombre de dossiers. Au nombre de ceux-ci, le Commandant supérieur de la gendarmerie a évoqué 5000 mercenaires qu'Alassane Ouattara a introduits en Côte d'Ivoire, 1000 autres que Mme Dominique Ouattara a postés à Kong, 6000 soldats déjà mobilisés pour éliminer Guéi Robert. Pour trouver un lien avec les dignitaires qu'il a convoqués, Déon a fait état d'informations selon lesquelles Koné Idriss Koudouss (président du CNI) aurait passé une commande de 10.000 fusils à Ouaragnéné, à Korhogo. "C'est pour gérer ces informations avec vous qui êtes des religieux que je vous ai invités," a dit le patron de la gendarmerie. En réponse, les Imams, par la voix de Koné Koudouss, ont d'abord marqué leur indignation d'avoir été convoqués par la Brigade de recherches : "Au temps de Houphouët-Boigny et même de Bédié, vos prédécesseurs nous ont beaucoup rencontrés mais ils y mettaient la courtoisie et le respect," ont-ils dit à l'intention de Déon. Les Imams se sont indignés que les questions relatives à Alassane Ouattara et son épouse leur soient exposées. "Ils sont là, et on sait où les trouver."
Puis, les dignitaires musulmans ont chargé le chef de la gendarmerie de demander à Guéi Robert s'il est le président des seuls catholiques ou de tous les Ivoiriens ! Informations contre informations, ils ont, en effet, indiqué que selon des échos des casernes récemment visitées par le chef de la junte, il a été question de faire fuir, bientôt, tous les musulmans.
**DÉFIER DIEU**
Il a mis le pied dans le plat le 07 août dernier lors du 40e anniversaire de l'indépendance de la Côte d'Ivoire. Dans son homélie, Monseigneur Ahouana, Évêque de Yamoussoukro, a publiquement mis en garde le chef de l'État contre ceux qui sont autour de lui. Le chef de la junte, le Général Guéi Robert, catholique pratiquant, n'a pas daigné réagir à cette interpellation. C'est d'ailleurs le lendemain que le chef de l'État a déposé sa candidature comme pour narguer l'homme de Dieu. Aujourd'hui, c'est sur l'une des plus grandes communautés religieuses du pays qu'il s'acharne. Et celle-ci le lui a bien rendu. Pour la première fois dans toute l'histoire de la Côte d'Ivoire, un régime ivoirien a réussi l'exploit de dresser une religion contre lui. Même au summum de ses dérives, Bédié n'a jamais réalisé cette audace. Il a fallu que la Côte d'Ivoire ait à sa tête une junte militaire pour que Dieu le Tout-Puissant soit ridiculisé. Nietzsche n'avait donc pas tort lorsqu'il soutenait : "Dieu est mort." Il ne reste plus qu'à la junte à procéder au requiem.
Yves-M. Ablet
**Conférence de presse du COSIM**
**L'Imam Sékou Sylla : NOUS CRAIGNONS UN GÉNOCIDE CONTRE LES MUSULMANS**
Mamadou Doumbes
Les Imams du Conseil supérieur des Imams (COSIM) ont animé un point de presse hier à la mosquée d'Aghien pour exprimer leur indignation et dénoncer le harcèlement dont les membres de cette structure sont victimes de la part du CNSP. Preuve, la convocation de cinq des leurs à la Brigade de recherches de la gendarmerie hier au Plateau.
Au-delà du sentiment de colère, de frustration pour l'Imam Sekou Sylla, le pays court un danger imminent avec les propos tenus par le président Robert Guéi qui, en principe, est le garant de l'unité nationale et compte tenu des informations qui nous parviennent des casernes. "Nous avons des raisons de craindre un génocide contre les musulmans. Nous l'avons signalé au Colonel Déon Georges ce matin. Nous tenons à alerter l'opinion nationale et internationale sur ce péril," a-t-il révélé. Les conférenciers ont énuméré quelques actes et discours du chef de l'État qui vont des dons de Corans lors de sa tournée dans le Nord du pays à ses accusations selon lesquelles des prières sataniques auraient été faites dans les mosquées contre sa personne.
El Hadj Sékou Sylla, Imam de la petite mosquée de la Riviera.
Par ailleurs, ils se sont interrogés sur les raisons pour lesquelles ils étaient toujours convoqués pour leur opinion et pas les autres chefs religieux. "Nous avons des responsables religieux qui briguent la magistrature suprême sans que cela ne choque personne. Pour ce qui est de la situation socio-politique du pays, nous n'avons pas été les seuls à nous prononcer là-dessus, encore moins les plus durs dans notre prise de position. Il y a là une injustice criarde faite dans le traitement des confessions religieuses," ont-ils martelé. Par ailleurs, il faut dire que ce qui provoque l'ire des guides religieux, c'est que les motifs avancés pour justifier leur convocation sont en contradiction avec notre vocation. "Les accusations s'adressent plus à un parti politique et son leader qu'à nous," ont-ils poursuivi.
Dans cet amalgame, les conférenciers y voient les sources d'une dérive certaine du pouvoir contre les religieux. Pour l'Imam Cissé Djiguiba, tous ces agissements semblent justifier la rumeur selon laquelle le chef de l'État envisage de rejeter la candidature d'ADO, censé être le candidat de tous les musulmans et sa volonté de gérer les conséquences qui peuvent en découler.
Les Imams ont décidé de ne plus répondre aux convocations de la gendarmerie, car cela frise le manque de respect à leur égard.
Rappelons qu'il a été reproché à l'Imam Idriss Koudouss d'avoir commandé des armes artisanales à Ouaragnéné (village de tisserands de Korhogo) pour attenter à la sûreté de l'État. Les sept autres accusations s'adressent à ADO.
**M.D.**
**Déclaration liminaire des Imams**
Répondant à une convocation qui leur a été adressée par le Colonel Major Déon Georges, Commandant supérieur de la Gendarmerie nationale, les Imams Idriss Koné Koudouss, Fofana Aboubacar, Cissé Djiguiba, Samassi Aboubacar, Sékou Sylla et le frère Diaw, président de l'AJMCI, se sont présentés ce matin 24 août 2000 dans les locaux de la Brigade de recherches de la gendarmerie, sise au Plateau, en compagnie de leurs avocats à savoir Maîtres Van Chént et Dossolo Diarra, Folana Bakary.
Ils ont été d'abord reçus par le capitaine Konan qui les a introduits dans le bureau du Colonel-Major, situé au sein du Commandement supérieur de la Gendarmerie.
Au cours de la réunion, le Colonel Déon était entouré de son directeur de cabinet adjoint, M. Pale, du Colonel Fanny de la Gendarmerie et du Colonel Cissé Sinki du ministère de la Défense. Quant aux Imams, et le président de l'AJMCI, ils ont été assistés par leurs avocats Maîtres Van Chént et Dossolo Diarra. D'emblée, le Colonel-Major Déon Georges a tenu à préciser que contrairement à la mention "convocation", il s'agissait plutôt d'une invitation en vue d'échanger sur la situation socio-politique de façon à détendre l'atmosphère et à créer un climat de paix.
Puis, il a porté à notre connaissance des informations selon lesquelles :
1) Un réseau de distribution de fausses cartes nationales d'identité qui seraient destinées aux Maliens et aux Burkinabés, moyennant la somme de 50 000 FCFA (cinquante mille francs CFA), en vue de voter pour Alassane Dramane Ouattara aurait été découvert.
2) Le président Idriss Koudouss aurait commandé des armes artisanales à Ouaragnéné dans la sous-préfecture de Korhogo.
3) Une stratégie de déstabilisation serait orchestrée depuis Kong par M. Alassane Dramane Ouattara en intelligence avec des dignitaires religieux (musulmans) et l'appui de mercenaires au nombre de cinq (05), dont deux Français et trois Saoudiens. De même, d'autres armes seraient entrées par la ville de Pogo (frontière du Burkina) par Mme Dominique Ouattara, épouse du président du RDR.
4) Un Égyptien serait à la tête d'un réseau de trafic d'armes et serait chargé de recruter des mercenaires en vue d'orchestrer des menées subversives.
5) Un millier de mercenaires aurait été recruté par M. Alassane Dramane Ouattara pour déstabiliser la Côte d'Ivoire, en cas de rejet de sa candidature et qu'à cette fin, une campagne de sensibilisation se mènerait dans les mosquées et communautés musulmanes.
6) Une structure paramilitaire dirigée par un certain capitaine Dosso aurait été créée pour organiser une déstabilisation du pays.
7) Des menaces de mort, à l'instar de celle de Mainassara, auraient été tenues contre le Général Guéi au cours du meeting du RDR tenu le mardi 22 août 2000 à Abobo.
8) Une réunion secrète aurait été tenue au domicile d'un quidam à Anyama de 19 heures à 05 heures du matin en vue de rendre ingouvernable le pays en cas de rejet de la candidature d'ADO, au besoin en attentant à l'intégrité physique du Général Guéi.
En réaction à ces accusations gratuites et sans fondement, les Imams ont relevé d'une part la légèreté avec laquelle le Commandant supérieur de la Gendarmerie a traité des faits aussi importants. D'autre part, le caractère répétitif de ces interpellations, qui découlent d'un manque de respect et de considération à l'endroit des ministres du culte musulman et partant de toute la communauté musulmane.
En témoignent la note administrative n° 4544 du 19 juillet, signée par le Commandant supérieur de la Gendarmerie, et des interpellations précédentes. Au demeurant, tout porte à croire que ces agissements participent d'une entreprise de diabolisation et de discrédit des dignitaires musulmans et de leur communauté.
Font de ce qui précède, les chefs religieux musulmans s'indignent et dénoncent avec vigueur les interpellations et harcèlements intempestifs dont ils sont l'objet. Ils souhaitent qu'à l'avenir, le respect des autorités religieuses, la liberté d'expression et d'opinion, le droit à la différence, consacrés par la Constitution, soient observés scrupuleusement.
Aussi, ils invitent les uns et les autres à faire davantage preuve de courtoisie et de responsabilité dans leurs comportements et attitudes.
Le COSIM (Conseil supérieur des Imams) par ma modeste voix tient à remercier et à féliciter, aussi bien tous les fidèles pour leur mobilisation exemplaire, expression de leur foi et de l'estime qu'ils portent aux Imams et aux responsables d'associations religieuses, ainsi que le collectif des avocats pour leur soutien spontané et désintéressé.
Enfin, le COSIM tient à exprimer sa reconnaissance et sa gratitude à l'endroit des responsables des confessions religieuses sœurs, pour leur marque de fraternité et de compassion. Que le Seigneur Allah les rétribue au centuple.
Je vous remercie.
Abidjan, le 24 août 2000.