Article
Adresse des Imams à la Côte d'Ivoire : "Il faut extirper en nous la xénophobie et la haine religieuse"
- Titre
- Adresse des Imams à la Côte d'Ivoire : "Il faut extirper en nous la xénophobie et la haine religieuse"
- Type
- Article de presse
- Editeur
-
Le Patriote
- Date
- 14 août 2000
- pages
- 6
- nombre de pages
- 1
- Langue
- Français
- Contributeur
-
Frédérick Madore
- Identifiant
- iwac-article-0007015
- contenu
-
Adresse des Imams à la Côte d'Ivoire : IL FAUT EXTIRPER EN NOUS LA XENOPHOBIE ET LA HAINE RELIGIEUSE
Le samedi dernier, le COSIM a tenu son Conseil consultatif à la grande Mosquée de la Riviera. À cette occasion, les Imams de Côte d'Ivoire ont livré un important message à la Nation. Une analyse pertinente de la situation socio-politique en Côte d'Ivoire que nous vous proposons en intégralité.
Les 23 et 24 juillet 2000, par voie référendaire, les Ivoiriens ont adopté une Loi fondamentale qui est censée refonder la Nation et réconcilier les Ivoiriens avec eux-mêmes.
Nous observons malheureusement que la nouvelle Constitution, comme la défunte, continue de diviser les filles et les fils de ce pays. L'atmosphère qui a régné avant, pendant et après cette consultation nationale l'atteste. Au fur et à mesure que la date des élections générales approche, l'inquiétude, la peur et même l'angoisse envahissent les cœurs aussi bien des Ivoiriens que de leurs amis de l'extérieur. Ici comme ailleurs, tout le monde s'interroge : Que va-t-il se passer en Côte d'Ivoire ? Cette terre d'hospitalité pour de nombreux Africains de l'Ouest, de l'Est, du Nord et du Sud, cette Côte d'Ivoire qui était un havre de paix jusqu'au décès de celui qui fut son premier président, feu Félix Houphouët-Boigny.
C'est pourquoi, pour les mêmes raisons qu'en 1995 et en 1999, les Imams de Côte d'Ivoire, face aux mêmes angoisses, sont encore ce matin réunis, en ce jour, samedi 12 août 2000, comme il y a presque un an (02 octobre 1999) dans cette même Mosquée. Face aux mêmes inquiétudes, ils sont encore là dans le cadre du Conseil consultatif extraordinaire afin de s'adresser, une fois encore, au peuple de Côte d'Ivoire, aux habitants de la Côte d'Ivoire, au gouvernement, aux responsables des partis politiques et ONG, aux hommes des médias, aux confessions religieuses, aux femmes et à la jeunesse.
Les Imams, hommes de foi, hommes de Dieu, se tournent vers le peuple de Côte d'Ivoire pour dire qu'ensemble, nous avons un grand défi à relever : celui du vouloir vivre ensemble en parfaite harmonie. Cela, pensons-nous, est une exigence fondamentale. Aussi souhaiterions-nous que chacun entre en lui-même pour extirper les vilains sentiments que sont le mépris de l'autre, le tribalisme, l'ethnocentrisme, la xénophobie, la haine religieuse. Cela, si nous le voulons, nous le pouvons.
Aux Ivoiriens dans leur diversité, aux frères africains, européens, asiatiques et américains du Sud et du Nord, pendant la période de l'incubation de cette fièvre appelée Ivoirité, des mots durs, choquants, ont été dits, des actes de provocation de toutes sortes ont été posés. Et tout récemment, nos frères les jeunes "mutins", appâtés par le gain facile, ont eux aussi, bafoué l'honneur de la République en quête de référence identitaire. Ils ont pillé et saccagé les biens d'autrui, petits et grands commerçants, importateurs et exportateurs de biens manufacturés, banques, etc. Tous ceux et toutes celles qui ont été victimes de ces dérapages inacceptables dans un État qui se veut démocratique et républicain, méritent de la part de la Nation, sinon réparation, du moins des excuses publiques.
Au nom de la Communauté musulmane, les Imams de Côte d'Ivoire présentent à toutes ces victimes des errements incontrôlés leurs excuses et leur compassion. Ils demandent aux uns et aux autres le pardon des offenses et des blessures non encore cicatrisées. L'avènement du CNSP (à l'instar de l'immense transport de joie dans les rues d'Abidjan et des villes de l'intérieur) avait suscité beaucoup d'espoir. Malheureusement, depuis un certain moment, l'incompréhension et la suspicion se sont installées d'une part entre les principaux acteurs de la vie politique et d'autre part, entre ceux-là et le CNSP. Mais rien n'est encore perdu, car en hommes avertis et d'honneur, ils peuvent encore se ressaisir.
C'est pourquoi le COSIM en appelle à leur sens de responsabilité pour agir vite, et très vite, afin de permettre à la paix de triompher.
Mesdames et Messieurs, membres du CNSP et du gouvernement, leaders politiques, comme disent les athlètes, la balle se trouve à présent dans votre camp. Honorables membres du CNSP, la Côte d'Ivoire et ses habitants vous observent. L'Afrique vous observe. Le monde entier vous observe sous le regard impitoyable de l'histoire et des générations futures.
Fort de tout ce qui précède, le Conseil consultatif des Imams de Côte d'Ivoire demande au CNSP :
- d'observer la stricte neutralité entre les partis politiques et leurs responsables. Ils sont les représentants du peuple dans toute vraie démocratie. Ils méritent par conséquent de la part des autorités administratives et politiques respect et courtoisie.
- de veiller à l'accès équitable de tous les Ivoiriens de tous les partis politiques et leurs représentants aux médias d'État. Cela est une condition minimale pour permettre aux Ivoiriens et aux Ivoiriennes de s'informer, de s'écouter, de se comprendre et de s'accepter selon la vérité et non sur la base des fausses rumeurs, des calomnies faciles et de l'invective.
- de garantir la liberté de mouvements, les droits fondamentaux de tous les Ivoiriens à l'intérieur et à l'extérieur de la Côte d'Ivoire dans la sécurité et la dignité.
- d'interdire à certaines unités des forces armées nationales d'appliquer un traitement discriminatoire, inhumain et humiliant comme ce fut le cas le lundi 31 juillet 2000 au cours de la marche des jeunes du Forum. En effet, lors de cette manifestation, des militaires de l'Armée nationale de Côte d'Ivoire ont obligé des jeunes musulmans à prendre de l'alcool tandis que les jeunes filles musulmanes étaient déshabillées et mises nues en public. En somme, un comportement indigne d'une armée républicaine dont les contribuables sont en droit d'attendre autre chose. Et Dieu dit dans la Sourate 5, verset 8 : "Ô les croyants ! Soyez stricts (dans vos devoirs) envers Allah et (soyez) des témoins équitables. Et que la haine pour un peuple ne vous incite pas à être injustes. Pratiquez l'équité : cela est plus proche de la piété. Et craignez Allah, car Allah est certes parfaitement connaisseur de ce que vous faites."
- de mettre en place, conformément à la Constitution et avant les élections générales, la Commission électorale indépendante, afin de rassurer les Ivoiriens et l'opinion internationale. Les Ivoiriens devraient pouvoir jouir pleinement de leurs droits en choisissant librement le candidat dont ils partagent les idéaux dans des conditions de totale transparence. Car de tous les acquis démocratiques du peuple ivoirien, cette Commission électorale indépendante est la plus importante. Pour rentrer définitivement dans l'histoire, le CNSP doit en faire une réalité et maintenant.
- de prendre des mesures pour permettre à tout Ivoirien de voter sans influence aucune, et à sanctionner ceux qui empêchent les citoyens sans reproche d'exercer leurs devoirs civiques. Dans le cas contraire, le déroulement des prochaines élections générales pourrait donner lieu à des contestations qui entacheraient inutilement l'honneur et la probité reconnus aux forces armées nationales et au CNSP de veiller à une lecture positive de la nouvelle Constitution pour permettre à tous les principaux candidats déclarés, et en particulier ceux désignés librement par les partis représentables, de prendre part aux élections du 17 septembre 2000. Les électeurs doivent être les seuls juges. Toute autre alternative serait antidémocratique, contraire à l'éthique politique et mettrait les membres du CNSP devant l'histoire et la mémoire collective du peuple ivoirien.
L'environnement régional et mondial.
C'est pourquoi le COSIM invite tous les acteurs politiques à méditer le verset suivant :
"Dis : Ô Allah, maître de l'autorité absolue. Tu donnes l'autorité à qui tu veux, et tu arraches l'autorité à qui tu veux ; et tu donnes la puissance à qui tu veux, et tu humilies qui tu veux. Le bien est en ta main et tu es omnipotent." S. 3, V. 26
Aux religieux de toutes confessions :
Le COSIM invite tous les dignitaires religieux :
- à tenir chacun dans sa Mosquée, dans sa chapelle, dans son temple, un discours de rapprochement des consciences, et de respect de l'hospitalité légendaire de notre pays ;
- à agir autour de projets communs tels que la lutte contre le SIDA, la moralisation de la vie publique, la formation spirituelle et morale des jeunes de Côte d'Ivoire, la lutte contre la pauvreté et la misère dans les hôpitaux publics et l'action citoyenne ;
- à mettre en place un Collectif des religieux, indépendant de tous les pouvoirs et hommes politiques ;
- à organiser une concertation nationale interconfessionnelle sur le statut et le Code de déontologie des religieux en Côte d'Ivoire ;
- à créer un observatoire de la laïcité de l'État afin de garantir à toutes les confessions un traitement égalitaire.
Aux hommes de presse :
Le COSIM demande :
- de mettre enfin un terme à la politique d'interpellation systématique des dignitaires religieux musulmans et aux accusations publiques sans aucun fondement sur les intentions des musulmans dans la perspective des prochaines élections générales. Car Dieu dit dans le Saint Coran : "Malheur à tout calomniateur et diffamateur." S. 104, V. 1
Aux acteurs politiques :
Le COSIM exhorte instamment les partis politiques :
- à faire preuve d'élégance et de courtoisie dans leurs rapports ;
- à sensibiliser leurs militants à cultiver un esprit de fraternité malgré leurs divergences ;
- à conseiller aux journaux qui leur sont proches, le bon ton et l'esprit d'unité entre les Ivoiriens ;
- à organiser dans les meilleurs délais un sommet de concertation patriotique entre les partis politiques significatifs, pour un sursaut national. Il s'agit, là, de préserver dans l'honneur et la dignité, les acquis de leurs luttes communes contre l'arbitraire et par fidélité à la mémoire de leurs martyrs. Les hommes politiques se doivent de tenir leurs engagements comme le stipule le Saint Coran : "Ô les croyants ! Remplissez fidèlement vos engagements." S. 5, V. 1.
- à éviter de tenir à leurs militants des propos susceptibles de diaboliser l'islam et les musulmans. Les portes du COSIM leur sont toujours ouvertes afin de dissiper tout éventuel malentendu. En retour, nous souhaitons de leur part une lecture plus saine des préoccupations légitimes et des frustrations dont des millions de musulmans sont et continuent d'être victimes sur le sol de leurs ancêtres, sans faux-fuyant et sans démagogie électoraliste.
- à poursuivre leur engagement à œuvrer ensemble, conformément à la déclaration de Yamoussoukro du 10 août, afin de redonner à la Côte d'Ivoire l'image d'une Nation unie, éprise de justice et d'égalité.
Nos relations avec les partis politiques et leurs leaders sont en effet guidées uniquement par leur attitude par rapport à leur engagement à consolider davantage l'unité et la cohésion nationales, leur capacité à assurer à notre pays un développement équilibré en harmonie avec...
Le COSIM demande :
- de préserver la noblesse de leur profession tout en favorisant le rapprochement des idées, des hommes et des peuples ;
- d'observer dans le traitement des informations religieuses leur sens d'objectivité, d'équité et de tolérance entre toutes les confessions du pays. C'est pourquoi, nous déplorons la légèreté avec laquelle certains journaux ont diffusé le contenu d'un tract qui serait de la Ligue islamique des prédicateurs en Côte d'Ivoire (LIPCI) sans prendre le soin de vérifier la source de cette information pernicieuse, aux desseins inavoués ;
- d'éviter d'exacerber les tensions et les antagonismes entre les confessions, car la Côte d'Ivoire est déjà suffisamment traumatisée par les contradictions politiques, régionales et tribales. Il faut éviter d'en rajouter.
C'est à juste titre que le 125ème communiqué du 05 août 2000 interpelle nommément "Le Bucheron" et "Le National" pour incitation à la haine religieuse.
C'est pourquoi le COSIM a décidé de mettre en place un collectif d'avocats, non pour attaquer le métier de journalisme, un métier si noble, mais plutôt pour se donner les moyens légaux d'apporter l'éclairage nécessaire pour le triomphe de la vérité et le respect du droit de nos compatriotes à une information juste et correcte, comme le Coran nous y invite en ces termes : "Et ne mêlez pas le faux à la vérité. Ne cachez pas sciemment la vérité." S. 2, V. 42
Aux pays amis :
Le COSIM se félicite de leurs nombreuses tentatives pour aider les fils et les filles de Côte d'Ivoire à se comprendre pour mieux travailler ensemble dans la paix et la concorde. Que le Tout-Puissant les remercie au centuple.
Aux adeptes musulmans :
Le COSIM demande instamment à chaque musulman et chaque musulmane de garder leur sérénité dans la détermination contre l'arbitraire, l'injustice et l'exclusion d'où qu'elle vienne et quelle qu'en soit la victime. En outre, il faut opposer à la haine de l'autre, l'amour et la compassion. Seul Dieu est le maître de l'univers et du destin et récompense toujours ceux qui sont généreux de cœur et d'esprit. Le Coran n'a-t-il pas défini notre mission en ces termes ? "...Que soit issue de vous une communauté qui appelle au bien, ordonne le convenable, et interdit le blâmable. Car ce seront eux qui réussiront." S. 3, V. 104
Aux fidèles des confessions religieuses sœurs :
Le COSIM réaffirme son engagement au respect de la croyance de tous sans exclusive. Cette attitude est une obligation religieuse, un impératif social et un devoir humain comme l'indique ce verset coranique : "Dites : Nous croyons en Allah et en ce qu'on nous a révélé, et en ce qu'on a fait descendre vers Abraham et Ismaël et Isaac et Jacob et les tribus, et en ce qui a été donné à Moïse et à Jésus, et en ce qui a été donné aux prophètes venant de leur Seigneur. Nous ne faisons aucune distinction entre eux. Et à Lui nous sommes soumis." S. 2, V. 136
C'est pourquoi le COSIM maintient les meilleurs rapports avec tous les responsables religieux.
Aux femmes :
Chères mères et chères sœurs, le COSIM vous demande de prendre vos responsabilités historiques face aux enjeux qui divisent la Nation. Il s'agit de participer par votre attachement à la vie à la réunification des enfants de ce beau pays et à l'apaisement des cœurs. Soyez à la pointe du combat pour l'unité, contre l'exclusion et contre la xénophobie, car nombreux parmi vos enfants vivent loin de vous et de la mère patrie. Et mieux que quiconque, vous savez la valeur de la vie et le prix de la paix familiale comme le proclament les Saintes Écritures : "Et parmi Ses signes, Il a créé pour vous des épouses, afin que vous trouviez auprès d'elles du repos, et Il a mis entre vous de l'affection et de la bonté. Il y a en cela des signes pour ceux qui réfléchissent." S. 30, V. 21.
À la jeunesse de Côte d'Ivoire :
Le COSIM lance un appel à tous les jeunes, de toutes origines, de toutes confessions et de toutes tendances politiques, à se donner la main pour bâtir ensemble leur avenir dans la paix et la concorde et d'éviter d'être des instruments au service d'intérêts égoïstes. Jeunes de Côte d'Ivoire, vous êtes l'avenir, mais l'avenir se construit dans le travail et la culture de l'excellence soutenue par des valeurs morales intangibles et universelles. Le Saint Coran attache une importance particulière à la jeunesse. C'est pourquoi nous vous invitons à méditer ces conseils du sage Luqman : "Ô mon enfant, accomplis la prière, commande le convenable, interdis le blâmable, et endure ce qui t'arrive avec patience. Telle est la résolution à prendre dans toute entreprise. Et ne détourne pas ton visage des hommes, et ne foule pas la terre avec arrogance, car Allah n'aime pas le présomptueux plein de gloire." S. 31, V. 17/18 (Luqman)
Au Tout-Puissant Allah :
Enfin, en homme de foi, nous nous tournons vers Allah, le Maître des cieux et de la terre, pour qu'il éclaire de sa lumière savante le peuple de Côte d'Ivoire, les habitants de Côte d'Ivoire, les membres du CNSP, les responsables des partis politiques et des ONG, les hommes de médias, les Nations amies, les femmes et les jeunes, afin que notre pays retrouve la paix et la quiétude d'antan. Allah est certes miséricordieux par essence et par excellence, mais craignons sa colère.
Assalam Aleikoum wa rahamatoullahi ta'ala wa barakatouhou.
Abidjan, le 10 août 2000
À la Mosquée de la Riviera Golf