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Réfugiés maliens au Burkina Faso : fêter la tabaski, même à crédit
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Burkina Faso
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- Titre
- Réfugiés maliens au Burkina Faso : fêter la tabaski, même à crédit
- Editeur
- Sidwaya
- Date
- 11 novembre 2012
- Résumé
- Comme leurs frères en islam du Burkina Faso, les déplacés maliens des sites de Déou, Fererio et Gandafabou, dans la province de l'Oudalan dans la région du Sahel, ont célébré la Tabaski 2012. Les uns l'ont célébrée à la date officielle du 26 octobre, les autres 24 heures plus tard. Les quartiers de viande de bélier dont ils ont bénéficié, n'ont pu les amener à oublier, un tant soit peu, les problèmes vécus au quotidien. La non scolarisation de leurs enfants et l'offre sanitaire constituent leurs principales préoccupations.
- Langue
- Français
- Contributeur
- Frédérick Madore
- Identifiant
- iwac-article-0001017
- contenu
-
Comme leurs frères en islam du Burkina Faso, les déplacés maliens des sites de Déou, Fererio et Gandafabou, dans la province de l'Oudalan dans la région du Sahel, ont célébré la Tabaski 2012. Les uns l'ont célébrée à la date officielle du 26 octobre, les autres 24 heures plus tard. Les quartiers de viande de bélier dont ils ont bénéficié, n'ont pu les amener à oublier, un tant soit peu, les problèmes vécus au quotidien. La non scolarisation de leurs enfants et l'offre sanitaire constituent leurs principales préoccupations.
Fererio porte bien le sobriquet de capitale des réfugiés maliens au Burkina Faso. Plus de dix milles déplacés sont recensés dans ce village situé à plus de 400 km de Ouagadougou, et à une trentaine de la frontière malienne. A j-2 de la célébration de l'Aïd El Fitr, l'effervescence des préparatifs de la fête, comme on peut le voir dans certaines localités, y est inexistante. Rien ne sort de l'ordinaire. Les réfugiés (touaregs, arabes, peulhs, tamasheqs, bêlas et sonrhaï), chaque groupe de son côté, assis sous une tente ou sous les rares arbustes, se demandent ce que sera leur fête, loin de chez eux et dans ce contexte de précarité. Mohamed Ali Ag Ahmed dit Kassis, assis sur un lit-picot, la théière à proximité, devise sur le sacrifice du mouton, avec ses frères et cousins.
En temps normal, selon ce jeune époux de 26 ans sans enfant, chaque membre de son petit « clan » devait égorger des moutons au nom de sa femme, ses enfants, ses parents, sa belle-famille et pour ses amis afin d'honorer Allah. Kassis est nostalgique des célébrations de l'Aïd Elf Fitr dans son Gao natal où les festivités commençaient trois jours avant la Tabaski pour prendre fin autant de jours après. Crise oblige, cette année, il a été contraint, comme tous les autres déplacés du site, à tordre l'habitude. Il devait tuer un animal pour le plaisir des 13 membres de sa famille et même pour l'entourage. « A l'impossible nul n'est tenu », affirme-t-il, avec nostalgie. Et de poursuivre : « Il est vrai que les conditions ne me permettent pas de bien festoyer mais je ne vais pas me laisser faire. Même s'il faut que je m'endette, je n'hésiterai pas pour remplir mon devoir religieux ». D'ailleurs, ils étaient nombreux, les déplacés maliens du camp, qui, à deux jours de la Tabaski, pensaient s'endetter pour sacrifier coûte que coûte un animal et s'acheter, si possible, des vêtements neufs. « Un habit déjà lavé ne se porte pas le jour de la fête. Depuis que j'ai connu les fêtes c'est ainsi ... », dit un membre du comité directeur du site de Fererio, Hahadou Ag Kaoussane.
Une célébration, deux dates et trois lieux de prière
Dans son boubou délavé, un turban à la tête, laissant apparaître les yeux, le sexagénaire Hahadou Ag Kaoussane ne finit pas de se plaindre du manque de soutien de la part des structures humanitaires. Aucune ONG, association ne leur a tendu la main à l'occasion de la fête. « Nous n'avons même pas eu nos six kilogrammes de vivres mensuels du Programme alimentaire mondial. C'est une quantité insignifiante mais certains d'entre nous auraient pu au moins se contenter de ce don pour fêter », lâche-t-il amèrement. A contrario, leurs frères de Gandafabou, camp situé à 17 kilomètres de Fererio, avaient le sourire aux lèvres. En effet, ils ont reçu individuellement, à la veille de la Tabaski, leur dotation mensuelle : 12 kg de riz, 3 kg de haricot, 0, 75 litre d'huile et 0, 15 kg de sel. Aussi, ils ont bénéficié de la répartition de l'aide de leur Mali natal remis via son ambassadeur au Burkina Faso.
A savoir 3,58 kg de riz, 0, 30 kg de sucre et 0,10 kg de dattes par personne. Pendant que les uns se disputent pour garder leur place dans le rang, les autres repartaient sous leurs tentes, les mains pleines de présents. Selon un bénéficiaire, Ziad Ag Ibrahim, ce soutien constitue une bouffée d'oxygène pour la communauté. Mais il le considère comme un cadeau -piège. « Cette dotation ne se fait pas dans le cadre de la fête. C'est une ration mensuelle. Après la fête, les gens risquent de souffrir parce qu'ils utiliseront ces vivres pour célébrer la Tabaski », a-t-il indiqué. Enfin, le vendredi 26 octobre, jour officiel décrété par la Communauté musulmane burkinabè pour la fête de Tabaski. A Fererio, un espace a été bien nettoyé devant la tente de l'iman, Mohamed Ag Hamide, présenté comme le guide principal. Mais à la dernière minute, cet imam décide de repousser la célébration de 24 heures sous-prétexte que la date de l'apparition de la lune ne donnait pas droit de fêter le 26 octobre. Une décision qui sème du même coup la confusion au sein des fidèles musulmans du site.
Malgré la consigne donnée, un groupe s'est démarqué pour fêter la Tabaski à la date officielle retenue par la Communauté musulmane. Selon Mohamed Ali Ag Ahmed, chaque clan suit les instructions de son marabout. Il est alors contraint de ramener « sa Tabaski » au lendemain samedi 27 octobre. Ce jour-là, le camp de Fererio a accouché de trois lieux de culte. Les arabes ont prié, guidés par leur imam. Chez les touaregs, il y a eu deux groupes. Le premier a loué Allah aux environs de 9 heures 30 minutes et le deuxième à 11 heures. Ils ont prié séparément mais avec le même objectif : prier pour que le Mali recouvre son lustre d'antan et pour l'apaisement des coeurs. Après les différentes lectures du coran faites par les imams, chaque fidèle est reparti sous sa hutte. Le jeune Kassis a tenu sa promesse. Il a sacrifié un bélier. Mais à quel prix ? Il l'a obtenu à crédit, après moult négociations. Son mouton, de couleur blanche tachetée de noir a été acheté auprès d'un boucher du site, à 25 000 FCFA.
« J'ai aussi pris à crédit 30 kg de riz, un litre d'huile et du beurre chez un boutiquier. Je vais payer ces dettes soit quand je rentrerais au pays soit avec l'argent des séminaires auxquels je participe ou celui des petits travaux que je fais sur le site », a-t-il signifié. A Gandafabou par contre, les réfugiés ont tous fêté le même jour (vendredi 26 octobre). Aussi, ils n'ont pas eu du mal à trouver chacun le mouton de la Tabaski. « Notre chance sur ce site, c'est que la majorité des réfugiés sont des éleveurs. Ils ont pu emmener avec eux du cheptel. Ceux qui n'en possèdent pas se sont endettés pour tuer un animal et habiller la famille », affirme le responsable des réfugiés maliens de ce village, Ag Mohamed Muphtah. A la tête d'un troupeau de plus de 300 bêtes, il a précisé avoir immolé une dizaine d'ovins, soit un pour chaque composante de sa famille. « J'ai fait tuer pour ma femme, mes enfants, ma belle-mère, des frères et même pour un ami qui vit à Dakar au Sénégal », confie ce chef.
Situation inquiétante pour des élèves-réfugiés
Alors que les uns et les autres se souciaient de la manière dont ils allaient célébrer la Tabaski, l'esprit de Fadimata Walet Mohamed Attaher est hanté par un autre souci. La tête à moitié couverte d'un léger foulard violet et la main sous le menton, elle pense à résoudre une équation à plusieurs inconnues : la scolarisation de ses trois premiers fils, son époux étant resté à Gao au Mali. Depuis la reprise des classes en début octobre au Burkina Faso, ses deux garçons de niveau troisième et seconde C et sa fille unique et aînée, précédemment inscrite en 2e année à la faculté de droit de l'Université de Bamako, ne savent toujours pas à quel saint se vouer. Elle s'inquiète et s'impatiente tout comme les autres parents d'élèves.
Rien que des promesses et pas d'actes concrets venant du Haut-commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR), selon des parents d'élèves. L'étudiante en droit, Zeïna Walet Hama indique que le HCR a promis de trouver des bourses d'études pouvant permettre aux étudiants réfugiés de poursuivre leur formation dans des universités des pays membres de la Communauté économique des Etats de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO). « J'ai déjà perdu une année. S'il faut en perdre une autre, c'est mon avenir et même celui de ma famille qui est hypothéqué. Le HCR a même récupéré nos dossiers il y a environ deux mois mais jusqu'à présent nous n'avons pas reçu d'information pouvant nous situer sur notre sort », explique, toute désemparée, l'étudiante de 20 ans. Les lycéens vivent les mêmes incertitudes que leurs aînés.
La plupart d'entre eux errent toujours sur les sites de Fererio et de Gandafabou. La raison, selon Elager Ag Agagar de Fererio, repose sur le fait que les humanitaires exigent que les parents trouvent des familles d'accueil pour les élèves dans les villes comme Gorom-Gorom, Dori ou même Ouagadougou avant de bénéficier du soutien. Il poursuit que les parents qui ont pu remplir cette condition disent n'avoir pas été soutenus. « Les enfants n'ont pas encore été orientés. Seuls ceux dont les parents ont pris l'initiative de les inscrire ont eu de la place. Mais dans des établissements privés. J'ai inscrit mon fils qui fait la 4e à Dori. J'ai dépensé 110 000 FCFA pour sa scolarité et ses fournitures », relève le chef du site de Gandafabou. Que deviendront les enfants des parents démunis ? S'interroge-t-il. Les enfants attendent comme Badi Ag Hama, un élève de 18 ans qui était en classe de seconde C au Mali, un hypothétique messie. Toutefois, les angoisses des écoliers du préscolaire et du primaire s'allègent de jour en jour.
Des classes sous paillotes ont été réalisées ou sont en passe de l'être sur les deux sites. Seulement, à ce niveau, les cours tardent à commencer. A Fererio, à notre arrivée le 24 octobre dernier, huit classes équipées de tables-bancs sur vingt prévues étaient dressées. Elles devront accueillir plus de 400 élèves. Le représentant du HCR au Burkina Faso, Ibrahima Coly, avoue que la situation des élèves et des étudiants réfugiés trouble ses nuits. Selon lui, les différents partenaires travaillent d'arrache-pied pour trouver des solutions. Le HCR a mis la priorité sur les écoliers du préscolaire et du primaire. M. Coly promet que ces derniers commenceront leur apprentissage dans les deux semaines à venir. « La plupart des camps sont loin des écoles secondaires. Si vous avez une trentaine d'enfants qui doivent aller au secondaire, il faut leur trouver des structures d'accueil. Il faut assurer le transport, la nourriture et la santé. Nous sommes en train de chercher des fonds. Quant aux étudiants, nous avons trouvé trois bourses pour trois d'entre eux pour étudier au Sénégal. Mais c'est une goutte d'eau dans la mer. Si la situation ne s'améliore pas, les autres devront attendre l'ouverture de la prochaine année académique », a précisé le responsable du HCR.
Qui paye la note des ordonnances médicales des réfugiés ?
Médecins sans frontières (MSF), intervient sur les différents camps de réfugiés de la province de l'Oudalan. Selon sa coordonnatrice médicale au Burkina, Dr Marie Hortense Koudika, les pathologies dont souffrent les déplacés sont d'ordre respiratoire, corporel, diarrhéique. Mais de l'avis de Mme Koudika, actuellement, c'est le paludisme qui détient la triste palme d'or. Sidi Ould Mohamed, chef des réfugiés arabes installés à Déou, commune rurale située à une quarantaine de kilomètres de Fererio n'a pas échappé à ce mal. Il a fêté la Tabaski, allongé sur un matelas d'une place que sa femme a pris soin d'aménager. Il souffre depuis une semaine, d'un paludisme avancé. Après s'être fait diagnostiqué au district sanitaire de Dori, les médecins lui tendent une ordonnance.
Mais qui doit payer cette ordonnance puisqu'il est réfugié ? Pour lui, c'est le HCR qui a la charge de sa santé. Las d'attendre un soutien du HCR au risque de passer de vie à trépas, il se résout à honorer personnellement son ordonnance. Le coût des médicaments s'est élevé à 20 000 FCFA. Il estime alors que les humanitaires ont failli à une de leur mission : celle de la prise en charge sanitaire des réfugiés. Il n'est d'ailleurs pas le seul à tirer à boulets rouges sur le HCR. Elager Ag Agagar, retraité de Fererio, témoigne avoir mis plus de 60 000FCFA pour recouvrer sa santé, sans être remboursé par la suite. Mais Ibrahima Coly balaie du revers de la main ces accusations. Selon le premier responsable de la structure humanitaire onusienne au "pays des Hommes intègres", les réfugiés ont l'obligation de suivre un circuit établi pour la circonstance afin de bénéficier gratuitement de la prise en charge sanitaire. Il s'agit de se faire soigner par des ONG comme MSF dans l'Oudalan pour les maladies moins graves. Le HCR prend le relais lorsque le mal est à un niveau supérieur après un diagnostic établi par des agents de santé de l'ONG.
« Mais il y a des réfugiés qui vont de leur propre chef dans les districts sanitaires sans suivre la procédure. Dans ce cas, ils sont traités au même titre qu'un Burkinabè qui se rend dans un hôpital. A la fin de la consultation, ils reçoivent une ordonnance. Mais, certains viennent se faire rembourser après que nous ayons vérifié l'authenticité des documents. Le processus est plus long en ce moment », a-t-il rétorqué. Contrairement aux dires des réfugiés, Ibrahima Coly estime que le niveau de la prise en charge sanitaire est satisfaisant, dans la mesure où aucune épidémie n'a été signalée sur les sites de réfugiés au Burkina Faso. « Alors que des épidémies de choléra ont été déclarées au Mali et au Niger », conclut M. Coly.