Article
La mendicité : une gangrène des temps nouveaux
- Titre
- La mendicité : une gangrène des temps nouveaux
- Créateur
- Charles Ouédraogo
- Editeur
- Sidwaya
- Date
- 3 octobre 2002
- Résumé
- La paupérisation croissante des pays en développement pousse à des solutions de facilité comme la mendicité. Tendre la main semble être le geste le plus banal que tout le monde peut faire. Le phénomène prend de l'ampleur dans les grandes villes au Burkina Faso.
- Langue
- Français
- Contributeur
- Frédérick Madore
- Identifiant
- iwac-article-0000869
- contenu
-
La paupérisation croissante des pays en développement pousse à des solutions de facilité comme la mendicité. Tendre la main semble être le geste le plus banal que tout le monde peut faire. Le phénomène prend de l'ampleur dans les grandes villes au Burkina Faso.
Le constat est révélateur dans la ville de Ouagadougou, la capitale.
Autour de la grande mosquée de Ouagadougou et au milieu des étals des commerçants, des mendiants ont élu domicile. Aux coins des hangars de fortune ou complètement assis à même le sol sous le soleil parfois ardent. "J'habite le quartier Zangouétin. J'ai perdu la vue depuis 20 ans", se lamente Amidou Zabré, les soixante-cinq ans bien sonnés, une bouilloire dans une main et une canne dans l'autre. Adama Sebgo a plus de soixante-dix ans. En dépit des arachides qu'elle vend juste à la porte, elle ne peut s'empêcher de prendre les pièces de monnaie qu'on lui tend. Originaire de Kombissiri, elle serait arrivée à Ouagadougou depuis une dizaine d'années afin de gagner de quoi manger pour ne pas mourir. Issaka Balima, âgé de 33 ans habite le secteur n° 24 de Ouagadougou. "Avec un peu de chance, je peux me retrouver avec 2000 FCFA par jour", affirme-t-il.
En effet son habillement étaye ses propres dires. Tout de blanc vêtu assis dans son tricycle, il respire la pleine forme. Handicapé physique, Issaka soutient mendier pour se nourrir parce qu'il n'arrive pas à trouver un boulot. Ousmane Pafadnam vient de Kaya, vieux de 80 ans et habite à Kalgodin chez son fils. " J'ai eu quelques enfants qui sont aujourd'hui mariés, mais ils ne s'occupent pas de moi. Par jour, il m'arrive d'avoir entre 250 et 300 FCFA qui me permettent de manger". A l'instar de ces mendiants, beaucoup d'autres de tout âge étaient dans la cour où picoraient des pigeons, attendant l'arrivée des fidèles musulmans pour la prière de 13h. En ville, ils déambulent à longueur de journée. Les mendiants ont envahi toute la ville de Ouagadougou. Ils sont dans les débits de boissons, aux feux tricolores, aux ronds-points, dans les lieux de culte, etc. Qu'est-ce qui peut expliquer ce phénomène de mendicité qui gagne de plus en plus les grandes villes du Burkina, plus précisément à Ouagadougou et à Bobo-Dioulasso.
Les écoles coraniques sont-elles pourvoyeuses de mendiants ?
Certaines critiques tentent de lier systématiquement la mendicité à l'école coranique. Ils fondent surtout leurs critiques par le fait que les maîtres coraniques se retrouvent très souvent avec un grand nombre d'enfants qu'ils sont incapables de nourrir. Ils sont alors obligés de les envoyer mendier pour se nourrir eux-mêmes et également la famille de leur maître.
Une telle assertion est battue en brèche par Idrissa Soré (80 ans) qui enseigne le Coran dans son domicile au secteur 13 de Ouagadougou. "J'enseigne le Coran, pour faire connaître Dieu à mes élèves. Je le fais sans aucune rémunération", souligne-t-il. Il ajoute que la mendicité n'est pas une obligation pour les élèves coraniques. Toutefois, il reconnaît la difficulté pour un maître coranique de pouvoir nourrir une trentaine d'écoliers. Les élèves peuvent satisfaire leurs besoins en nourriture en demandant l'aumône. "Sillonner les bars et les rues pour mendier n'est nullement conseillé par le Coran" reconnaît le maître coranique Idrissa Soré. Il souligne que tous ceux qui sillonnent la ville de Ouagadougou pour quémander ne sont pas des élèves coraniques. "Nombreux sont ceux qui n'ont pas suivi les conseils de leurs parents", renchérit Soré. En effet, certaines personnes bien portantes n'hésitent pas à se transformer en mendiants.
L'imam du secteur n° 30, Ousmane Compaoré, maître coranique également reconnaît "qu'il est difficile de s'occuper des élèves coraniques". Pour lui, leurs parents ne viennent pas en aide aux maîtres, les laissant ainsi prendre totalement en charge les élèves.
"Nous devons nous occuper de leur nourriture, de leur santé, les héberger, note-t-il. Et d'affirmer comme son homologue Idrissa que tous les enfants qui mendient ne sont pas des élèves coraniques. Dans tous les cas, Idrissa Bilgo originaire de Manga et âgé de 14 ans qui vit 5 ans déjà avec son maître Compaoré ambitionne de devenir un grand musulman.
Entre pauvreté, exode rural et manque de solidarité
Le Burkina Faso qui est aussi frappé des bouleversements sociaux de la mondialisation, ressent avec acuité les problèmes qui en découlent. Classé 159e sur 162 pays selon l'indice de développement humain du PNUD en 2001, notre pays a beaucoup de difficultés à contenir la montée du chômage et la paupérisation croissante dont la mendicité est un corollaire. On assiste à un fort exode rural, occasionnant une croissance démesurée des villes où maintes ménages sont incapables d'obtenir ou de perpétuer un niveau de vie correspondant à un minimum acceptable. En 1994-1995, 34,6 % des ménages des principales villes du Burkina étaient déclarés pauvres selon le seuil de pauvreté qui était de 41 099 F CFA par personne et par an, 20,3 % des ménages déclarés ultra-pauvres selon le seuil de 31 749 F CFA par personne et par an (source INSD). Cette pauvreté est aggravée par le chômage dans les villes de Ouagadougou et de Bobo-Dioulasso où il atteint 18,2 %. La première de ces conséquences est que dans ces villes, l'éducation bat de l'aile pour les ménages pauvres. Aussi, le manque de qualification et la nécessité de satisfaire les besoins fondamentaux amènent certains citadins à s'adonner à toutes sortes d'activités dont la mendicité.
En effet, tous les mendiants interrogés reconnaissent ipso-facto le fait qu'ils pratiquent cette activité pour ne pas mourir de faim, même si derrière cela, se cache parfois une malhonnêteté.
Un forum national à l'horizon
En tout état de cause, le ministère de l'Action sociale et de la Solidarité nationale envisage des études plus approfondies sur le phénomène de la mendicité au Burkina Faso, ses causes réelles. Ces études seront ciblées sur les enfants, les personnes âgées, etc. Elles permettront la tenue d'un forum national qui se penchera sur les voies et moyens d'éradiquer le phénomène du moins le minimiser. Ce forum accordera une place de choix aux communes car dans le cadre de la décentralisation, le problème de la mendicité relèvera désormais de leur ressort.
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