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Du port du voile lors des concours
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- Titre
- Du port du voile lors des concours
- Créateur
- Ismaël Tiendrébéogo
- Editeur
- L'Observateur Paalga
- Date
- 20 mai 2012
- Résumé
- Le débat qui a secoué et qui continue de diviser la société française sur le port du voile islamique dans les espaces publics va-t-il également agiter l'opinion nationale burkinabè ?
- Sujet
- 11 septembre 2001
- Femme en islam
- Ismaël Tiendrébéogo
- Laïcité
- Hijab
- Droits de l'homme
- Violence
- Terrorisme
- Radicalisation
- Langue
- Français
- Contributeur
- Frédérick Madore
- Identifiant
- iwac-article-0000655
- contenu
-
Le débat qui a secoué et qui continue de diviser la société française sur le port du voile islamique dans les espaces publics va-t-il également agiter l'opinion nationale burkinabè ?
En tout cas, dans une lettre ouverte au ministre de la Fonction publique et de la Réforme de l'Administration, l'imam Ismael Tiendrébéogo, au nom de ses soeurs, s'insurge contre le zèle de certains agents "qui interdisent l'accès à des salles de concours à des musulmanes dont le voile n'empêche pas l'identification".
Monsieur le Ministre, le port du voile musulman pose encore problème à certains de nos concitoyens malgré la garantie de la liberté de culte par la Constitution du Burkina et les nombreuses circulaires (N° 2000-199/MESSRS/SG et N° 2006-009/MESSRS/SG) de votre collègue des Enseignements secondaire et supérieur.
En effet, aussi bien dans les établissements publics que lors de l'accès aux salles de composition des examens et concours, même si le MESS a eu le mérite de rappeler dans sa circulaire de 2006 l'absence de base légale aux expulsions de salles de classe de filles pour port de voile, qui ne sauraient donc «se justifier car il n'y a aucun texte en la matière», force, malheureusement, est de constater que des expulsions ont continué pour ce motif illégal.
Mais ce n'est pas l'objet de cette lettre que je vous adresse. Ce pour quoi je vous écris est relatif au traitement réservé aux musulmanes voilées prenant part aux concours de la fonction publique. Il me vient à l'esprit le cas de cette musulmane intégralement voilée, rapporté avec force détails par les médias.
Son accès à une salle de concours avait été conditionné au dévoilement de son visage aux fins d'identification ; ce qu'elle a refusé, sans tenir compte malheureusement de la possibilité de montrer son visage quand sa relation avec les autres nécessite qu'elle soit identifiée.
Ce cas ne fera pas non plus l'objet de ma lettre, puisque, normalement et selon les enseignements de l'islam, la musulmane voilée intégralement doit se dévoiler le visage afin de se faire identifier lors des contrôles d'identité préalables à l'accès aux salles d'examens et de concours et toutes les fois où elle contracte avec les autres.
Le zèle de certains agents
L'objet de ma lettre, j'y arrive finalement, est relatif au zèle de certains de vos agents qui interdisent l'accès à des salles de concours à des musulmanes dont le voile n'empêche pas l'identification, au motif effarant d'exigence de la laïcité.
Je parle de zèle pour ces agents qui ont interdit l'accès à un certain nombre de musulmanes voilées, car jusqu'à présent et à ma connaissance, aucune disposition n'a été prise dans ce sens par vos services.
Que faut-il comprendre par ce comportement ? La laïcité est-elle vraiment remise en cause par le voile de la musulmane quand elle accède à l'espace public ?
Certains de mes concitoyens le croient et appellent à preuve la compréhension et l'application de la laïcité par la France. Le modèle français de la laïcité, il faut bien le comprendre, n'est pas particulièrement un modèle respectueux des droits et libertés individuels.
Car, comme l'a rappelé sur LCP (La Chaine parlementaire), Daniel VAILLANT, député PS et ancien ministre de l'Intérieur et du Culte de la France, la laïcité est la possibilité donnée à chacun de pouvoir pratiquer dignement sa religion et d'être respecté par les autres dans sa différence.
Comment la France en est-elle donc arrivée à interdire le voile dans les établissements d'enseignement et services publics et sur la tête des mères qui venaient à l'école chercher leurs enfants ou voulaient les accompagner dans des sorties scolaires ?
Elle y est arrivée après que certains, un ministre du gouvernement Fillon, entre autres, ont 'constaté' que les musulmanes qui portaient le voile y étaient contraintes par les parents ou leur entourage.
Au-delà de ce que ce constat a de trop général pour être sincère, la solution que l'on y a trouvée en interdisant à toutes les musulmanes de porter le voile est tout autant critiquable !
Pour être démontée, elle se suffirait du fait que la première affaire de voile, en 1989, sous Lionel Jospin alors ministre de l'Education nationale, fut celle des soeurs Levy (Alma et Ila Levy), dont le père, juif non-pratiquant, et la mère, musulmane non-pratiquante, vraisemblablement n'ont pu contrainte leurs filles à porter le voile.
Ce qu'il est intéressant de soulever est qu'à ce temps-là, le Conseil d'Etat, la plus haute juridiction administrative, avait vu juste en affirmant que les insignes religieux, dont le voile et la croix, n'étaient jamais a priori, par eux-mêmes, des contraventions à la laïcité.
Selon le C.E., ces signes ne contrevenaient à la laïcité dans l'espace public scolaire, que si leurs porteurs, par ailleurs, se livraient à du prosélytisme ou ne remplissaient pas normalement leurs obligations scolaires ou perturbaient l'ordre public.
«Cette position a été réaffirmée par François Bayrou, nommé ministre de l'Education national en 1993, et elle a fondé la jurisprudence des tribunaux administratifs chaque fois qu'ils ont été saisis du règlement d'un établissement interdisant le port du voile ou d'une décision d'exclusion prononcée à l'encontre d'une élève», si l'on en croit l'Encyclopédie Ecarta. Mais voilà ! Malheureusement, la volonté d'interdire le voile trouva son chemin et le voile ses contempteurs.
Procès d'intention et comique habillage juridique
Par la suite, on mit une forme juridique à cette obligation de ne pas se voiler pour que des parents ou l'entourage d'une musulmane ne puissent plus l'obliger à se voiler !
Le voile était interdit dans l'espace public, particulièrement dans les établissements d'enseignement publics, maintenant parce qu'il était un signe ostentatoire, c'est-à-dire porté d'une façon qui n'est pas naturelle avec l'intention de faire remarquer, puis ostensible, c'est-à-dire de manière à être vu.
Au-delà de ce jeu sur ces mots-là, souvent synonymes, la préférence est allée à 'ostensible' pour permettre de faire un procès au voile parce qu'il est apparent, visible.
Le mot ostentatoire, quant à lui, faisait le procès d'intention aux musulmanes de vouloir faire remarquer le voile. Ce qui, soit dit en passant, était moralement inacceptable et juridiquement difficile à étayer.
Le comique de cet habillage juridique de l'interdiction du voile est que dans le même temps, on acceptait le port de la petite croix, dont la présence au-dessus d'un habit signait ostensiblement l'intention de son porteur de la faire remarquer.
Une exception qui se justifie sans doute moins juridiquement, mais mieux historiquement. En effet et selon les termes mêmes du concordat de 1801, le catholicisme, « religion de la majorité des Français », ne peut être effacé de l'espace public français.
Mais il faut reconnaitre que la haine du foulard musulman est assez répandue dans la société française ou à tout le moins y est visible.
Pour vous en convaincre, je me garderai volontiers de citer le rapport convaincant de la Commission de l'Union européenne qui pointe du doigt les discriminations et les stigmatisations dont souffrent les musulmans français.
Je ne vous citerai que ce cas symptomatique, de Marlène (63 ans). Le 24 février, cette enseignante d'anglais à la retraite, a arraché le voile d'une musulmane dans un magasin.
Celle-ci, sans se plaindre a remis en place son voile et a continué de faire ses emplettes. Mais retrouvant sa victime quelques instants plus tard dans le même magasin, avec le voile remis en place, la retraitée lui a alors expédié un coup de poing, l'a griffée et mordue à la main, selon le rapport de police lu à l'audience.
Une amie qui portait un voile ne couvrant pas le visage, venue au secours de la victime, a aussi été agressée », rapporte le journal français L'Express sur son site.
Le deuxième cas, tout aussi symptomatique de la situation des voilées en France est le cas Ilham Moussaïd, candidate éphémère du Nouveau parti anticapitalisme d'Olivier Besancenot.
Sa candidature a été si décriée à cause de son voile qu'elle dut y renoncer, notamment sous les coups de boutoir de la Ligue du droit (sic.) international des femmes, créée par des militantes du Mouvement de libération (sic.) des femmes. La Ligue a en effet exprimé «son indignation» pour le choix du NPA d'aligner une musulmane voilée et dénoncé le «double langage» du NPA.
Pour elle, «d'un côté, il se revendique comme le parti des opprimés mais de l'autre, il adhère à un symbole, le voile islamique, qui sous toutes les latitudes signifie ségrégation entre les sexes, invisibilité du corps des femmes dans l'espace public, statut de second rang pour les femmes».
N'eût été le pathétique de la situation des musulmanes qui souffrent pour avoir librement choisi une foi, on rirait de tels arguments. Ainsi, le voile signifierait «la ségrégation entre les sexes».
Mieux ou moins que la robe ? peut-on demander aux rédacteurs de ce coup de gueule, qui n'ont pas pour autant demander l'interdiction de la robe.
En outre, le voile signifierait «l'invisibilité du corps des femmes dans l'espace public», comme si le corps des hommes n'y était pas invisible sous la chemise manches longues, la veste et le pantalon ! S'agissant du troisième prétexte contre le choix du NPA, Rosine LAMBIN, une Française bon teint et plus érudite que moi y a spectaculairement répondu : de toutes «les écritures monothéistes (Bible juive, Nouveau Testament et Coran), seule la première lettre de Paul au Corinthiens (chapitre 11, versets 2-6) [dans le nouveau Testament] justifie le port du voile par les femmes en l'appliquant aux rapports qu'ont les hommes et les femmes à Dieu» (voir www.clio.revues.org). En plus clair, l'islam ne prescrit pas le voile (sourates 33, verset 59 ; 24, verset 31) sur la base d'une infériorité de la femme vis-à-vis de l'homme.
Imitation de modèles discriminatoires
Monsieur le Ministre, cette digression, que je vous prie de bien vouloir excuser, peut sembler assez loin de nos préoccupations au Burkina, où la situation des musulmans n'est pas celle de minorité des musulmans français que l'on présente comme allochtones.
De plus, il s'agit de deux Etats tous souverains qui n'ont pas besoin de jeter des coups d'oeil copiste sur la réglementation de l'autre. Quoique ! Force est de constater que beaucoup de Burkinabé ne tiennent pas compte de ces différences.
Cette digression est donc pour attirer l'attention de tous sur la tentation que certains de nos concitoyens ont de suivre la laïcité à la sauce française, avec ce qu'elle présente comme excès et discrimination.
Je me permets de vous rappeler la teneur des préoccupations de la Commission des Droits de l'Homme de l'ONU, lors de sa session en Afrique du Sud, le 30 mars 2007 : « Le Conseil se déclare préoccupé par les images stéréotypées négatives des religions et par les manifestations d'intolérance et de discrimination en matière de religion ou de conviction.
Il se déclare en outre profondément préoccupé par les tentatives visant à associer l'islam avec le terrorisme, la violence et les violations des droits de l'homme.
Il note avec une vive inquiétude l'intensification de la campagne de diffamation des religions, et la désignation des minorités musulmanes selon des caractéristiques ethniques et religieuses depuis les événements tragiques du 11 septembre 2001».
Monsieur, pour barrer la route à l'imitation par des agents burkinabè de modèle discriminatoire et stigmatisant des musulmanes, un texte ou une directive précisant les conditions d'accès aux salles de composition donnerait aux musulmanes voilées les moyens juridiques de s'opposer à l'arbitraire de certains examinateurs et organisateurs des concours de la Fonction publique.
Tout en vous souhaitant bonne réception de la présente, je vous prie de bien vouloir l'expression de mes très distingués sentiments.