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Dr Han-Madou Ilboudo, enseignant-chercheur en sciences de gestion
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Burkina Faso
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- Titre
- Dr Han-Madou Ilboudo, enseignant-chercheur en sciences de gestion
- Créateur
- Boureima Kindo
- Editeur
- Le Pays
- Date
- 16 avril 2020
- Résumé
- Lors de sa dernière interview accordée à Radio France internationale (RFI), le président français, Emmanuel Macron, est revenu, comme cela a été affirmé dans certains milieux, sur la question de la suppression d’une grande partie de la dette ainsi que sur le moratoire tant souhaité par les pays africains. Pour comprendre ces décisions envers l’Afrique et leurs incidences, nous avons approché Han–Madou Ilboudo, enseignant-chercheur, spécialiste des questions de la finance islamique. Ce dernier, peu connu du grand public, pense que la suspension de cette dette permettra aux Etats bénéficiaires, d’améliorer leur situation de trésorerie.
- Langue
- Français
- Contributeur
- Frédérick Madore
- Identifiant
- iwac-article-0004861
- contenu
-
Lors de sa dernière interview accordée à Radio France internationale (RFI), le président français, Emmanuel Macron, est revenu, comme cela a été affirmé dans certains milieux, sur la question de la suppression d’une grande partie de la dette ainsi que sur le moratoire tant souhaité par les pays africains. Pour comprendre ces décisions envers l’Afrique et leurs incidences, nous avons approché Han–Madou Ilboudo, enseignant-chercheur, spécialiste des questions de la finance islamique. Ce dernier, peu connu du grand public, pense que la suspension de cette dette permettra aux Etats bénéficiaires, d’améliorer leur situation de trésorerie.
« Le Pays » : Comment avez-vous accueilli la décision du FMI d’alléger la dette de certains pays africains dont le Burkina Faso ?
Han–Madou Ilboudo : J’ai accueilli cette décision avec joie, même si je m’attendais à mieux. Mais comme on le dit, il vaut mieux prendre le peu et continuer à travailler pour obtenir encore plus. Le fait pour un créancier (individu, Etat ou institution) d’annuler tout ou partie de sa créance sur son débiteur (individu, Etat ou institution), est une bonne chose qu’il faut féliciter. Car, cela relève de la solidarité et de l’entraide mutuelle qui sont des valeurs morales et éthiques essentielles pour le bien-être des individus et le développement des nations. Vous allez voir que dans toutes les religions, il existe des recommandations demandant à ceux qui sont dans l’aisance, d’exprimer leur générosité à l’endroit de ceux qui sont en difficulté en prolongeant le délai de paiement de la dette ou mieux, en l’annulant totalement. Par exemple, au niveau de l’Islam, il est mentionné : « A celui qui est dans la gêne, accordez un sursis jusqu’à ce qu’il soit dans l’aisance. Mais il est mieux pour vous de faire remise de la dette par charité si vous saviez » (Coran sourate 2 verset 280). Je fais allusion à la religion, parce que justement je fais partie de ceux qui pensent que les hommes, en se basant sur les recommandations de la religion dans leurs rapports sociaux et économiques, arriveront à bannir entre eux des comportements nuisibles au vivre-ensemble comme la corruption, la fraude, etc., et pourront au contraire se développer ensemble en appliquant la justice, l’équité, la transparence, la solidarité, etc. En conclusion, comme cet allègement de la dette au profit de certains pays africains entre dans ce que je viens de développer, c’est alors une bonne chose. Mais j’estime que ce pouvait être mieux.
« Où va-t-on affecter les ressources précédemment utilisées pour payer la dette annulée? C’est là où se situe l’enjeu et c’est de là que cet allègement peut être bénéfique ou pas pour nos pays »
Concrètement parlant, quelles pourraient être les retombées d’une telle décision ?
Les retombées d’une telle décision vont dépendre du bénéficiaire de l’allègement, autrement dit de nos gouvernants. Vous savez qu’en élaborant le budget de fonctionnement de nos Etats, une partie des recettes est consacrée au paiement des échéances de la dette. L’allègement va donc prévoir les modalités qui vont aller dans le sens de l’allègement des échéances de la dette sur une période donnée; ce qui va permettre aux Etats bénéficiaires d’améliorer leur situation de trésorerie. Où va-t-on affecter les ressources précédemment utilisées pour payer la dette annulée? C’est là où se situe l’enjeu et c’est de là que cet allègement peut être bénéfique ou pas pour nos pays. Je vous prends l’exemple d’un chef de famille qui doit 100 000 F CFA à son voisin et que par acte de générosité, ce dernier décide d’annuler 50 000 F de la dette. Sans modifier le terme de la dette, le débiteur qui payait 10 000 F à la fin de chaque mois, est autorisé à payer 5 000 F maintenant, compte tenu de la diminution de la dette. Ce chef de famille peut profiter de cette situation pour améliorer la situation de sa famille tout comme cet allègement peut ne pas profiter à sa famille. Si les 5 000 F qu’il ne paie plus vont constituer une ressource pour passer au maquis les gaspiller parce que c’est de l’argent gratuit, cet acte de bienfaisance de son voisin ne profitera pas à sa famille. Par contre, s’il profite de cet allègement pour prendre un répétiteur pour améliorer le niveau scolaire de son enfant ou acquérir une machine à laver qu’il met en location et que cela lui rapporte 1 000 F par jour, il aura 30 000 F le mois comme recettes supplémentaires grâce à l’allègement de sa dette. Les deux exemples pour cet individu sont valables pour nos Etats, par rapport à l’utilisation qui sera faite de cet allègement. Les gouvernants vont-ils en profiter seuls en oubliant leurs gouvernés comme le cas de l’usage par le monsieur au maquis ou vont-ils en profiter pour faire des réalisations qui vont faire progresser le pays comme les deux derniers exemples? Pourront-ils montrer des écoles ou des centres de santé qui ont été réalisés en profitant de cet allègement ? Pourront-ils montrer des emplois qui ont été créés au profit de la jeunesse en profitant de cet allègement ? En tout cas, des retombées positives, on devrait en avoir si l’on sait bien en profiter. Ce qui manque aussi dans nos pays, c’est la culture de la redevabilité et pour cela, la responsabilité est partagée. Au niveau des dirigeants qui n’en font pas un mode de gouvernance et au niveau des populations qui n’en font pas une exigence. Je m’attends par exemple à ce que le gouvernement communique pour dire voilà ce dont nous avons bénéficié comme allègement et voilà comment nous allons mettre cela à profit sur telle durée, et qu’une structure ou des individus soient responsabilisés pour revenir communiquer quelque temps après sur ce qui a été annoncé comme réalisations à faire de l’allègement de la dette.
Est-ce que cet allègement résout véritablement le problème ?
Cela ne résout pas tout le problème, mais peut être considéré comme une épine en moins pendant qu’on travaille à trouver une solution définitive et durable au problème.
« Je m’attends par exemple à ce que le gouvernement communique pour dire voilà ce dont nous avons bénéficié comme allègement et voilà comment nous allons mettre cela à profit sur telle durée »
A l’issue d’une réunion du G20, les Chefs d’Etat ont décidé d’un moratoire sur la dette des pays africains. Quel commentaire cela vous inspire-t-il ?
Mon commentaire est que c’est bon à prendre tout en continuant les discussions pour obtenir mieux. Ici, il s’agit d’un rééchelonnement des échéances de la dette au profit des pays bénéficiaires. Le problème, c’est toujours comment nos Etats vont travailler à tirer profit de cette situation. Par exemple, on devrait travailler entre- temps à créer des situations qui vont nous permettre de ne pas continuer à s’endetter. Sinon, si on annule ou on prolonge le délai de paiement pendant qu’on ne fait que s’endetter davantage, on ne peut pas espérer un jour sortir de cette dépendance financière lourde de conséquences sur les plans économique et politique.
La dette extérieure africaine est estimée à 365 milliards de dollars. Pensez-vous que l’Afrique a les moyens de sortir de cet engrenage ?
L’Afrique a bel et bien les moyens de sortir de cet engrenage. Seulement, l’Afrique semble ne pas savoir en sortir avec ses moyens ; c’est là la triste réalité. En réalité, l’Afrique enrichit les autres pour qu’ils reviennent lui faire des prêts et des dons pour la maintenir ainsi dans sa dépendance. Ce que par exemple, les pays dits riches tirent de l’Afrique est largement au-delà de ce que l’Afrique leur doit. Donc, l’Afrique peut s’en sortir mais à condition qu’on change notre façon de coopérer avec les autres. La coopération entre les pays est indispensable. Chacun a forcément besoin de quelque chose avec l’autre. Mais dans cette coopération, chacun doit négocier les règles en tenant compte de ses propres intérêts. L’Afrique ne fait pas ou ne fait pas encore assez à mon avis.
Faut-il, selon vous, purement et simplement annuler la dette ?
Annuler purement et simplement la dette est une très bonne chose, mais comment y arriver ? C’est la question qui se pose. Pour qu’on y arrive, il faut que les Africains apprennent à s’assumer et à défendre leurs intérêts de façon responsable et solidaire.
Avez-vous l’espoir que cette option soit adoptée un jour ?
L’espoir est très mince si les choses vont continuer comme cela se passe actuellement. Mais comme il faut toujours garder l’optimisme, on a espoir qu’un jour, les Africains arriveront à parler d’une même voix et obtenir la place qui est la leur. Sinon, de façon individuelle et isolée, ce sera difficile. Si en peu de temps, les USA sont devenus une grande puissance devant les pays européens, c’est parce qu’on a des Etats qui se sont mis ensemble avec un gouvernement fédéral pour défendre leur cause commune et se faire respecter.
Qu’est-ce qui pourrait expliquer cet empêchement ?
Ce qui pourrait empêcher cela, c’est que l’annulation totale de la dette n’a pas seulement un enjeu économique. L’enjeu géopolitique est encore plus important pour les créanciers. En effet, la dette est un moyen de domination sur les pays endettés. Quand tu dois à quelqu’un, tu ne peux pas discuter avec lui d’égal à égal et donc, dans les règles de la coopération dont je venais de parler, les pays riches, avec leurs institutions que sont le FMI et la Banque mondiale, arrivent à imposer des règles avantageuses pour eux. Quand on n’est pas indépendant financièrement, on ne peut pas l’être économiquement et on ne peut pas l’être politiquement, car l’un détermine l’autre. A un moment donné, on a forcément besoin de ressources financières pour la réalisation de projets et d’infrastructures socio-économiques. Mais on n’est pas tout le temps obligé de tendre la main à l’extérieur pour trouver ces ressources. Il existe des mécanismes qu’on peut mettre en place en interne pour mobiliser ces ressources ou à la limite le faire dans une coopération entre Africains ; la coopération Sud-Sud doit être encouragée à ce niveau. Le problème même est qu’en fait, les ressources dont regorgent nos pays, sont exploitées au profit de ceux auprès de qui nous allons nous endetter. Si on arrivait, dans le cadre de l’exploitation de nos ressources abondantes, à établir des règles avantageuses pour nos pays, on ne serait peut-être pas dans le besoin d’aller s’endetter auprès de quelqu’un qui va utiliser juste une petite partie de ce qu’il a pris chez nous pour nous prêter encore. Ce faisant, cela augmente notre dette ; cela va augmenter notre dépendance et cela va augmenter notre pauvreté puisque compte tenu de cette dépendance, les règles de la coopération sont établies à son profit et à notre détriment.
Pensez-vous que le Burkina Faso pourra se relever de cette tragédie sanitaire ?
Avant de répondre à cette question, permettez que je souhaite prompt rétablissement aux malades du Covid-19 et que je présente mes condoléances à ceux qui ont perdu des proches. J’adresse mes encouragements au personnel soignant et à tous ceux qui sont impliqués dans la gestion de cette pandémie. Oui, le Burkina Faso, s’il plaît à Dieu, pourra se relever de cette tragédie sanitaire. Mais pour que cela se fasse dans les meilleurs délais, il va falloir corriger certaines choses, notamment au niveau des prises en charge des malades et des mesures de prévention. Il faut, par exemple, que ceux qui sont en isolement pour traitement, soient bien alimentés et bénéficient de conditions d’hygiène améliorées. Aussi il faut que les structures dont le fonctionnement est nécessaire, puissent aider les populations à respecter les mesures prises en leur créant le cadre approprié. Sur ma route, je voyais, par exemple, au niveau d’une banque dont je tais le nom, des clients alignés sur une longue file sous le soleil au dehors de la banque, sans masque ni rien. Une cinquantaine de personnes alignées, on n’a pas besoin de réfléchir pour savoir que la distanciation de 1 mètre souhaitée ne peut pas être respectée. C’est comme si pour la banque, c’est la santé de la dizaine de ses employés à l’intérieur qui compte mais pas celle de ces centaines ou milliers de clients. Et j’ai fait aussi le constat du manque de gel hydroalcoolique devant les GAB de plusieurs banques où on a juste déposé un premier flacon mais après, pas de suivi pour renouveler. J’ai juste pris cet exemple pour montrer qu’il y a encore du boulot sinon, la situation est pareille dans beaucoup d’autres structures. Avec un peu plus d’efforts et de prière, ça pourra aller à mon avis dans un délai court. Par contre, il faut noter qu’au-delà de la maladie, il y a les conséquences économiques qui sont énormes et qui pourront continuer d’impacter, même après, la maladie. C’est pour cela qu’il faut déjà penser à des mesures de relance économique.
Propos recueillis par Boureima KINDO
Fait partie de Dr Han-Madou Ilboudo, enseignant-chercheur en sciences de gestion