Article
Littérature musulmane : inorganisation du milieu, ouvrages importés, mauvaise diffusion, manque de librairie
- Title
- Littérature musulmane : inorganisation du milieu, ouvrages importés, mauvaise diffusion, manque de librairie
- Type
- Article de presse
- Creator
- Youssouf Bakayoko
- Publisher
-
Le Patriote
- Date
- July 12, 2003
- DescriptionAI
- La littérature islamique en Côte d'Ivoire est abondante mais souffre d'une inorganisation criante, de l'édition à la distribution. Cela se traduit par une faible production locale, la réticence des éditeurs, et une dépendance aux ouvrages importés. Cette situation limite la diffusion de la connaissance religieuse et pose un risque de circulation de contenus séditieux, que les autorités comme le CNI peinent à contrôler faute de moyens et de cadre réglementaire.
- Spatial Coverage
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Arabie saoudite
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Côte d'Ivoire
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Guinée
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Liban
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Mali
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Maroc
- Treichville
- Yopougon
- Adjamé
- Inde
- Grande Mosquée d'Adjamé
- Language
- Français
- Contributor
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Frédérick Madore
- Identifier
- iwac-article-0010798
- content
-
Taxée à tort ou à raison d'être une religion difficilement accessible, l'Islam se laisse aujourd'hui découvrir. Une littérature très abondante s'est développée autour des fondements d'oeuvres islamiques et surtout en qualité. Mais seulement voilà. Cette littérature souffre surtout en Côte d'Ivoire d'une inorganisation criarde allant de l'édition jusqu'à la distribution sur le marché. Fonctionnant à l'image du secteur informel dans lequel elle évolue, la littérature musulmane ne sait plus à quel saint se vouer. Le secteur se trouve donc aujourd'hui inondé par des productions venant de l'extérieur du pays.
Comme à son habitude, ce jeudi 25 au matin, le vieux Camara Daouda porte difficilement des articles islamique dans sa sacoche en bandoulière chargée de livres coraniques, de chapelets, de parfums... Le quinquagénaire du haut de son 1,90 mètre propose à tous les coins de rue, la parole de Dieu. A l'image de Camara Daouda, la multitude de vendeurs ambulants essayent tant bien que mal de vulgariser la littérature musulmane. Mais malgré la dose de bonne foi dont ils sont animés, leur commerce (ancré dans de l'informel) a du mal à décoller ou du moins à porter les fruits escomptés : c'est-à-dire apporter la connaissance divine par la lecture. En la matière, la tâche ne semble pas facile pour ces vendeurs. "Il faut reconnaître que vendre la connaissance sur la religion n'est pas facile. Les gens semblent ne pas être préoccupés à se cultiver. Ils préfèrent se limiter aux connaissances de base", confie avec regret Camara Daouda. Les préoccupations quotidiennes semblent avoir pris le dessus sur la quête de Dieu. Cela se ressent clairement par le nombre très réduit de librairies musulmanes pour vulgariser la pléthore de productions littéraires islamiques. Selon Idrissa Harouna, un autre vendeur ambulant rencontré à Adjamé, les livres ou documents sur la religion musulmane existent en quantité suffisante. "Mais c'est leur distribution ou mise à disposition du public qui pose problème", précise-t-il.
L'insuffisance de librairies musulmanes
Une chose est sûre. La religion musulmane en Côte d'Ivoire ou comme dans d'autres pays se laisse découvrir à travers sa production littéraire. Selon Koné Sounkalo de la cellule de communication du Conseil national islamique (CNI), il existe aujourd'hui des livres, des documents islamiques en quantité suffisante. Mais comme le souligne Koné Sounkalo, "c'est l'insuffisance de librairies islamiques qui pénalise l'Islam en Côte d'Ivoire. Ainsi, il n'y a pas de publicité ou de promotion autour des documents existants". En parcourant toute la grande commune de Yopougon, nous n'avons pu découvrir une librairie islamique digne de ce nom. Les baraques ou des conteneurs servant de librairies à Adjamé et à Treichville où des grossistes et demi-grossistes s'approvisionnent. De plus, le circuit d'édition est complexe. De l'avis de l'Imam adjoint de la Mosquée du Sable à Yopougon, les livres ou essais sur l'Islam ne sont même pas édités en Côte d'Ivoire. "La plupart des livres enseignés dans les médersas (écoles coraniques) sont écrits par des auteurs étrangers. Même si par moment certains de nos collègues ont rédigé des brochures qui sont distribuées au cours des différents séminaires. En somme, les livres que nous avons étudiés nous-mêmes sont importés", confie-t-il. Selon autre Imam qui n'a pas voulu décliner son identité, les nombreux ou livres islamiques qui circulent en Côte d'Ivoire nous viennent d'ailleurs. Selon Ahmed Y, vendeur de livres et documents en arabe près de la grande Mosquée d'Adjamé, la plupart de ses articles sont importés. "On reçoit nos commandes du Liban, d'Arabie Saoudite, du Maroc, de l'Inde... Je me rends compte que nos Imams n'écrivent pas assez. Donc nous vendons ce qui nous vient d'ailleurs", constate-t-il. Cet avis de ce grossiste est soutenu par le communicateur du CNI d'Idriss Koudouss. "La plupart des livres en Arabe sont importés comme nous le savons du Liban, du Mali, de la Guinée... En Côte d'Ivoire, nous sommes encore au stade des brochures. C'est une production primaire. Sous d'autres cieux, cela peut être comparée aux tracts. Même si aujourd'hui, la communauté musulmane s'organise pour prendre en main sa production littéraire. C'est donc une question de moyen financier.", déplore Koné Sounkalo. C'est donc dans cette mouvance que les intellectuels musulmans ont entrepris de traduire la plupart des documents Arabes et en français.
Ainsi des intellectuels ivoiriens ont trempé leur plume pour pondre des oeuvres de haute portée spirituelle. C'est le cas, par exemple, de El Hadj Cheick Oumar avec "Les épreuves de la vie", ou encore "Tidjane Bâ, l'Homme et l'Erudit" paru aux éditions CEDA. Même s'il faut reconnaître que les productions d'auteurs ivoiriens sont insignifiantes à côté d'un boulimique de la plume de la trempe de Tariq ramadan. On pourrait citer, entre autres, oeuvres de cet auteur, "Islam, le face - à - face des civilisations. Quel projet pour quelle modernité ?" ou "Etre musulman européen. Etude des sources islamiques à la lumière du contexte européen"...
Cependant, il ne faudrait pas se cacher derrière la pléthore d'oeuvres littéraires venant de l' étranger pour blâmer les Imams ou intellectuels musulmans ivoiriens pour leur "manque d'inspiration". A en croire la cellule de communication du CNI, les éditeurs, pour ce qui concerne les oeuvres sur les religions, en général, et en particulier, l'Islam, se montrent très hésitants. "Sinon, des personnes sont inspirées et ont produit des manuscrits, mais les maisons d'édition ne sont pas sûres de rentabiliser avec ces oeuvres d'un autre genre et surtout très sensibles. Parce que comme on le conçoit couramment, les gens sont peu respectifs aux messages religieux", explique-t-on. La communauté religieuse et le CNI pensent que l'Etat n'a pas toujours favorisé la promotion de la littérature religieuse. Le voeu formulé est donc de voir ce tort réparé. "Le nouveau ministre des cultes peut donc nous mettre à disposition une imprimerie digne de ce nom pour ne pas être toujours confrontés aux exigences des maisons d'édition classiques", renchérit un Imam. Mais en attendant la réalisation de ce souhait, la communauté musulmane se tourne vers la fondation, Ahmed Deeddat pour avoir des financements et même des oeuvres déjà éditées. Mais le problème de la littérature islamique reste entier.
Les risques de sédition dans les oeuvres importées
A défaut d'avoir un droit de regard sur les livres ou documents qui circulent entre les mains des fidèles, la communauté musulmane, de Côte d'Ivoire, regrette que les Ivoiriens des autres obédiences religieuses pourraient être exposés aux "flammes" des livres séditieux. Selon le CNI, la menace des livres séditieux est réelle. "Mais malheureusement, il n'y a pas de structure au sein de notre communauté pour prévenir cela ou même de sanctionner. La plupart des livres sont importés. Il n'y a donc pas de comité de lecture des manuscrits ou des livres avant leur distribution dans le circuit littéraire", déplore koné Sounkalo. Le Conseil national islamique (CNI) en tant qu'organe représentatif des musulmans n'a pas le pouvoir de retirer du marché un livre qui porterait atteinte ou préjudice à la communauté. "Le CNI ne peut qu'attirer l'attention des gouvernants sur le caractère séditieux ou confligène d'une oeuvre. Sans plus", assure Koné Sounkalo. Avant d'ajotuer ceci : "C'est Dieu seul qui combat pour sa religion, l'Islam. Sinon de tout temps, des personnes se sont attaquées à notre religion. Mais l'Islam a toujours triomphé".
Il faut reconnaître, cependant que, les livres séditieux ne sont pas forcément "musulmans". Mais malheureusement, certaines publications empruntent les chemins tortueux. Il y a environ un an, un livre a été publié en Côte d'Ivoire et intitulé "Quarante jours de jeûne contre les musulmans". Un livre que certaines ont imputé à l'Eglise catholique qui a démenti le fait. Mais fort heureusement des voix bien indiquées se sont élevées pour condamner cette parution. "Pour notre part, nous avons à travers nos démonstrations et arguments prouvé que ce livre n'était pas bon pour la cohésion sociale en Côte d'Ivoire et même pour la cohabitation des religions", indique-t-on du côté du CNI. Selon toujours le CNI, il ne faut pas trop condamner ces livres qui paraissent échapper au contrôle de la hiérarchie religieuse. "En plus, la parution d'oeuvre qu'elle soit musulmane ou chrétienne est d'abord à but commercial. Partant de cette base, on ne peut donc pas, en principe, censurer une oeuvre. Aussi, l'être humain est toujours curieux de découvrir ce qui lui est interdit. C'est donc l'esprit critique du fidèle qui doit faire le reste", ajoute la cellule de communication du CNI.