Article
Adieu El hadj Bourahima Bouboukary Tall
- Hierarchies
-
Burkina Faso
- Articles de journaux (3615 items)
- Burkina 24 (279 items)
- Carrefour africain (33 items)
- FasoZine (116 items)
- L'Evénement (45 items)
- L'Observateur (61 items)
- L'Observateur Paalga (509 items)
- La Preuve (28 items)
- Le Pays (709 items)
- LeFaso.net (709 items)
- Mutations (13 items)
- San Finna (9 items)
- Sidwaya (1104 items)
- Publications islamiques (432 items)
- Al Mawadda (11 items)
- An-Nasr Trimestriel (16 items)
- An-Nasr Vendredi (318 items)
- L'Appel (48 items)
- L'Autre Regard (11 items)
- Le CERFIste (13 items)
- Le vrai visage de l'islam (15 items)
- Documents divers (Burkina Faso) (16 items)
- Photographies (Burkina Faso) (9 items)
- Références (Burkina Faso) (297 items)
- Articles de journaux (3615 items)
- Title
- Adieu El hadj Bourahima Bouboukary Tall
- Publisher
- L'Observateur Paalga
- Date
- December 7, 2001
- Abstract
-
El Hadj Bourahima Bouboukary Tall est décédé à l'hôpital Yalgado de Ouagadougou, le 6 mai 2001.
Cardiaque et diabétique, il y avait été admis suite à une fracture du col du fémur. Vu l'attention dont il a bénéficié, je remercie le personnel de la santé. - Subject
- Pauvreté
- Language
- Français
- Contributor
- Frédérick Madore
- Identifier
- iwac-article-0002527
- content
-
El Hadj Bourahima Bouboukary Tall est décédé à l'hôpital Yalgado de Ouagadougou, le 6 mai 2001.
Cardiaque et diabétique, il y avait été admis suite à une fracture du col du fémur. Vu l'attention dont il a bénéficié, je remercie le personnel de la santé.
Il a été enterré à Bossoumnoré le 8 mai en présence d'une foule énorme. Notre oncle Idrissa Hassane dit que depuis l'enterrement de l'Amirou Diadié en 1955, il n'avait jamais vu autant de monde. El Hadj était le Président fondateur de l'Association pour le développement économ ique et social de Bossoumnoré, qui, le 7 janvier 2001, avait organisé l'inauguration d'un moulin, don de FOF, une organisation danoise pour laquelle travail son neveu René établi au Danemark.
- Un Doua (funérailles musulmanes) a été organisé le dimanche 13 mai à Bobo-Dioulasso, à son domicile de Bindougousso. Des hommes et des femmes, parents, amis, sont venus très nombreux, de différentes localités du Burkina comme de la Côte d'Ivoire.
Comment comprendre qu'il y ait eu tant de monde, à l'enterrement puis au doua, alors que l'homme était un simple ancien tailleur ? C'est qu'il avait, sa vie durant, conformément à notre culture, tissé et entretenu des relations, se dépensant sans compter.
Je voudrais, pour nos enfants et nos petits-enfants, dire qui fut El hadj Bourahima Tall. Cela, en raison de nos liens exceptionnels créés par un destin peu commun. En effet, El hadj a été tout à la fois mon oncle (c'était le plus jeune frère de ma mère), mon frère de lait (j'ai tété ma grand-mère et il a tété sa grande sœur), et mon inséparable ami (malgré un curriculum très différent).
El hadj est né à Ouahigouya en 1935. Il n'a pas été inscrit à l'école française, car ses parents, comme beaucoup de Peuls de cette époque, y voyaient un instrument d'aliénation. Il a bénéficié de l'instruction et de l'éducation traditionnelles des Peuls de Bossoumnoré. Il a vécu à Ouahigouya jusqu'en 1952, conduisant le troupeau familial pendant les saisons des pluies. Cette année-là, son père décida de retourner à Bossoumnoré pour ne pas vivre dans un espace clos à Ouahigouya, qui devenait une grande ville. La famille s'y était établie, depuis un quart de siècle environ. Bourahima était le benjamin d'une famille de 7 enfants, donc corvéable à merci.
Le Bossoumnoré d'alors constituait une société très solidaire. La vie en groupe était prédominante. Les repas étaient pris ensemble, tous mangeaient à la main autour du plat. Les ensembles étaient constitués grosso modo sur la base du sexe et de l'âge. Lorsque la famille n'était pas grande, deux groupes étaient formés : les hommes et les femmes. Les garçons avant la circoncision pouvaient être avec les femmes. Ainsi un minimum d'aliments était garanti à tous.
Bossoumnoré a été un des tout premiers foyers musulmans du Yatenga, bien avant la colonisation française. Chronique d'un cercle de l'AOF Ouahigouya (Haute-Volta) 1908-1941 de J. Y. Marchai ORTOM. 1980 explique, en traitant du Yatenga et de ses populations qu'au nord des populations sédentaires mossi ou assimilés, on rencontre les Peuls éleveurs. Ils appartiennent à trois groupes que l'on trouve dans toute la boucle du Niger, les Dialube, les Torobe, les Fittobe. Les Torobe sont originaires du Fouta Toro. Ces peuls sont arrivés de l'Ouest par vagues successives entre le XVe et le XVIIIe siècles.
Au Yatenga, le berceau des Tall est Bossoumnoré. De ce foyer primitif, à l'ouest de Ouahigouya, ils ont essaimé à Todiam, au sud- ouest de Titao, à la veille de la conquête française.
Dans les années 50, l'Amirou du Canton de Bossoumnoré était Diadié Tall, un instituteur ancien élève de l'école William Ponty de Goré et un des premiers conseillers territoriaux du cercle de Ouahigouya avec le doyen Bougourawa Ouédraogo. Les valeurs que l'on préconisait à cette époque étaient surtout sociales, fondées sur l'entraide et le droit d'aînesse. Elles étaient aux antipodes de celles de l'économie de marché, qui règne aujourd'hui sous la férule de la Banque mondiale. Le troc du lait contre le mil était courant et préféré, à raison d'une mesure de mil pour deux mesures de lait.
Pendant la saison des pluies, les jeunes (15 à 35 ans) gardaient les troupeaux par groupe de 3 à 4 personnes, à tour de rôle, pour que chacun ait 2 à 3 jours pour se reposer et mener d'autres activités, notamment cultiver son champ.
La solidarité n'était pas un vain mot : il était ordinaire de voir les gens se mobiliser pour la construction d'une maison (en paille ou en banco), la culture ou la récolte d'un champ. Le bénéficiaire de ce travail collectif avait à sa charge le repas de midi avec au menu le gniri (pâte de mil cuite à l'eau) avec une sauce riche en viande, feuilles et épices, le tiobane (pâte de mil cuite et épicée) et le lait caillé. Il y était joint de la cola et parfois de la cigarette.
Une expression courante de l'époque montrait bien qu'on était loin de la civilisation de consommation : "posséder les chaussures de trois personnes", voulait dire posséder 3 paires de chaussures. Les hommes de grandes valeurs intellectuelles et morales méprisaient les biens matériels et l'argent qui est le moyen de les acquérir.
Au jeune Torodo (singulier de Torobe) il était conté qu'a sa puberté, trois navires se présenteraient à lui :
- Le premier avec de belles femmes et des virtuoses en musique. Il ne fallait pas y embarquer ;
- Le deuxième chargé de marchandises et de métaux précieux. Il ne fallait pas le prendre non plus ;
- Le troisième et dernier contenait des livres, donc de savoir. C'est là qu'il faut s'embarquer.
Celui qui s'embarque dans le premier navire aura les belles femmes, mais très rapidement, lorsqu'il cessera d'être jeune, celles-ci l'abandonneront. Celui qui entre dans le deuxième, pourra par ces richesses avoir pour toujours de belles femmes et des musiciens.
L'homme qui aura choisi le troisième, avec son savoir, fera l'acquisition d'immenses richesses et s'il le désire, il pourra également avoir de belles femmes.
Ainsi de toutes les valeurs, les Torobe doivent donner la primauté au savoir. En plus du savoir, les autres valeurs étaient la liberté, l'humilité et la fierté, le courage physique, intellectuel et moral, la croyance en la toute puissance d'Allah, le clément et miséricordieux. Allah est le seul à craindre. Un homme digne de ce nom ne devant pas avoir peur d'un autre homme. L'histoire de Moïse contre Pharaon, de David contre Goliath, étaient citée en exemple. Le musulman a généralement de bonnes connaissances de la Bible, sa religion étant la continuation et le couronnement des religions monothéistes précédentes. Tel est le contexte socioculturel qui a présidé à la formation de El hadj Bourahima, à notre formation.
Pour sortir de la pauvreté, Bourahima a été obligé, dès son jeune âge, de travailler comme "petit boy", "boy", puis "boy cuisinier" dans des familles françaises. Par la suite, il quitte le métier d'agro-pasteur pour celui plus lucratif de tailleur. Il migra à Ouagadougou puis à Bobo- Dioulasso dans les années 60.
Il avait acquis un atelier au grand marché de cette dernière ville. Il a appris à lire le français à la maison, grâce à une nièce institutrice. Dans son atelier, il cousait avec ses apprentis des habits sur mesure, mais aussi et surtout des tenues traditionnelles prêt-à-porter.
Avec le temps et son ardeur au travail, Bourahima devint relativement aisé. Dieu lui donna trois femmes et de nombreux enfants. En 1989, grâce à Dieu il fit son pèlerinage de la Mecque.
Présentons à présent quelques anecdotes qui ont ponctué la vie d'EI hadj qui, avant d'aller à la Mecque, portait le sobriquet de Captai ne : - Alors qu'il était jeune à Bossoumnoré, il lui a été demandé de descendre dans un puits pour sortir la puisette qui y était tombée. Son père attendait au bord du puits. Dans le puits Bourahima découvrit deux serpents. Père s'écria-t-il, il y a des serpents je vais sortir.
C'est impossible lui répondit son père, car il ne pourra pas être dit que mon fils a eu peur de serpents. Son père, à l'aide d'une corde, lui descendit une pioche avec laquelle les serpents furent tués. - Vers la même époque, il forma une "armée" avec ceux de ses neveux qui lui étaient les plus proches. Il en était le chef avec le grade de Capitaine. Il avait distribué les grades d'Adjudant, de Sergent, de Caporal aux autres en fonction de leur âge.
Rappelons qu'au Yatenga, avant l'indépendance, ces grades étaient les plus connus. Les Lieutenants Voulet et Chanoine, l'Adjudant Ragot au dix-neuvième siècle, le Capitaine Dorange au vingtième furent des militaires français célèbres. Leur pouvoir n'avait rien à envier aux colonels et généraux d'aujourd'hui. Cela Bourahima le savait bien, car il était féru d'histoire. De plus le grand frère de son père, Moudden Taïrou, une forte tête, avait fait l'armée française au Soudan comme engagé volontaire.
Le petit frère de son père, Séidi, avait fait la guerre 14-18. Lorsqu'on lui faisait observer que ses soldats ne changeaient pas de grade, il répondait qu'il fallait une guerre pour qu'ils montent en grade. Il a toujours appelé ces neveux par leur grade, jusqu'à son dernier souffle. - Vers les années 70, Bobo-Dioulasso a été plongé dans le drame des coupeurs de têtes.
Parmi les victimes, Captaine avait la femme d'un de ses neveux. Les enquêtes ont piétiné, le dossier a failli être classé. Par son courage, hors du commun, et sa ténacité, l'enquête aboutit à l'arrestation des coupables, leur condamnation à mort et leur exécution publique. Captaine eut de ce fait une grande renommée à Bobo- Dioulasso, surtout dans le milieu peul. Il devint même le premier notable des Torobe. - Sous la "Révolution", un de ces neveux, le Caporal alla se plaindre de ce qu'ils avaient trop de contributions à payer. Une grande partie de son salaire y passait. Après l'avoir écouté très attentivement, au grand étonnement de celui-ci, Captaine répondit : ce que Sankara fait est très bien, et il devait même faire davantage, car l'argent des fonctionnaires n'a aucune baraka.
Chacun d'eux à une villa, une femme, deux ou trois enfants, un chien, et lorsque leur frère du village vient les voir, ils vont raconter que celui-ci est venu sans les prévenir, comme si on avait besoin de prévenir son frère auparavant.
Lui Bourahima Tall, tailleur au grand marché de Bobo, il a trois femmes, et de nombreux enfants. Chaque jour il a des étrangers et en remercie Dieu. Inutile de dire que Caporal se retrouva confus et regretta même d'être venu se plaindre.
Celte attitude de Captaine s'explique parce qu'il n'a jamais pardonné aux "intellectuels" d'avoir profiter de l'effort de toute la grande famille pour réunir puis, par égoisme, de rompre le pacte social de solidarité dont ils ont profité.
N'a-t-il pas raison? - Depuis qu'il était revenu de la Mecque, sa mission de leader le préoccupait énormément.
Nous échangions très souvent, car il voulait comprendre les bouleversements qui se produisent dans nos mœurs : les femmes et les enfants refusant d'obéir au chef de famille. Il se demandait si ce n'était pas l'école qui en était la cause. Moi, j'accusais surtout le cinéma et la télévision omniprésents qui souvent offrent des produits pernicieux aux jeunes.
Que doivent retenir nos enfants et petits enfants de la vie d'EI hadj Bourahima Bouboukary Tall ?
Elle constitue un modèle pour tous les jeunes Torobe. Il a eu foi en notre culture et ses valeurs :
- il a toujours respecté son père et sa mère et leur a obéi;
- il a consacré sa vie à la famille et au Soudoubaba (la patrie);
- il s'est toujours mis au service des autres, quelles que soient leurs croyances et leurs mœurs;
- il a refusé la civilisation de consommation, égoïste et gaspilleuse de ressources.
J'atteste, en mon âme et conscience, qu'EI hadj Bourahima Bouboukary Tall a été un grand Torodo.
Allah Andi Taïrou