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Islam et coronavirus : « Aucun hadith ne fixe la distance entre les fidèles » (Ismaël Tiendrébéogo, imam au CERFI et à l’AEEMB)
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- Title
- Islam et coronavirus : « Aucun hadith ne fixe la distance entre les fidèles » (Ismaël Tiendrébéogo, imam au CERFI et à l’AEEMB)
- Creator
- Aboubacar Dermé
- Publisher
- L'Observateur Paalga
- Date
- May 5, 2020
- Abstract
- S’il y a une mesure barrière qu’on a du mal à respecter scrupuleusement en matière de lutte contre le Covid-19, c’est bien la distanciation sociale. Mais selon Ismaël Tiendrébéogo, imam au Cercle d’études, de recherches et de formation islamiques (CERFI) et à l’Association des élèves et étudiants musulmans du Burkina (AEEMB), elle peut bien s’appliquer dans les mosquées à condition que la Fédération des associations islamiques du Burkina (FAIB) engage une sensibilisation et une bonne communication en direction des fidèles ; certains la considérant comme un phénomène nouveau, car ne l’ayant jamais pratiqué.
- Subject
- Association des Élèves et Étudiants Musulmans au Burkina
- Cercle d'Études, de Recherches et de Formation Islamiques
- Charia
- Covid-19
- Fédération des Associations Islamiques du Burkina
- Ismaël Tiendrébéogo
- Spatial Coverage
- La Mecque
- Language
- Français
- Contributor
- Frédérick Madore
- Identifier
- iwac-article-0004869
- content
-
S’il y a une mesure barrière qu’on a du mal à respecter scrupuleusement en matière de lutte contre le Covid-19, c’est bien la distanciation sociale. Mais selon Ismaël Tiendrébéogo, imam au Cercle d’études, de recherches et de formation islamiques (CERFI) et à l’Association des élèves et étudiants musulmans du Burkina (AEEMB), elle peut bien s’appliquer dans les mosquées à condition que la Fédération des associations islamiques du Burkina (FAIB) engage une sensibilisation et une bonne communication en direction des fidèles ; certains la considérant comme un phénomène nouveau, car ne l’ayant jamais pratiqué.
Dans l’entretien qu’il nous a accordé, par téléphone, hier 5 mai 2020, il a par ailleurs indiqué que, dans la charia, la nécessité lève la loi.
Quelle appréciation faites-vous de la manifestation qui a eu lieu le 2 mai dernier au siège de la Fédération des associations islamiques du Burkina (FAIB) ?
Ce sont de jeunes musulmans qui se sont réclamés tels. La manifestation ayant eu lieu pendant le ramadan, je peux comprendre un certain engouement ou l’envie des gens de se retrouver dans des célébrations publiques parce que l’islam encourage la vie en communauté. Le Prophète lui-même nous enseigne qu’il n’y a pas de bien à attendre de celui qui fuit les autres. Dans ce cas, le mouvement peut être compris. Mais peut-être que la communication a manqué ou a été insuffisante pour qu’on en arrive à cette situation qui n’aurait pas dû se produire. C’est un cas notoire qui ne devait pas arriver.
Mais est-ce que cela ne contribue pas à ternir l’image de la Oummah ?
Non, pas du tout. Je pense plutôt que c’est un signe de vitalité, c’est la preuve de l’intérêt de cette jeunesse pour ce qui se fait en matière de pratique de leur foi. Cela peut être apprécié de cette façon mais comme indiqué plus haut, c’est une jeunesse qui a manqué d’information, et sa manière de se comporter vis-à-vis de la faîtière n’a pas été celle qu’il fallait adopter.
Que disent le Coran et les hadits du Prophète sur le respect des obligations religieuses en période d’épidémie ou de pandémie ?
Pour ce qui est des épidémies et des maladies contagieuses en général, l’islam nous enseigne que sa finalité première est de préserver la vie. Ses finalités sont au nombre de cinq : la préservation de la vie, de la raison, de la religion, de la santé et celle de la richesse ou de la propriété privée. La protection de la vie venant en première position, toutes les lois islamiques en tiennent compte et, dans la charia, la nécessité lève la loi. Cette nécessité, ce sont les cas où on risque de perdre la vie ou de faire perdre la vie à quelqu’un d’autre. Dans ce cas, la loi musulmane cesse de trouver son application. Il y a deux exemples dans le Coran en la matière : premièrement, pour quelqu’un qui est en voyage et manque de provisions, on dit qu’il ne peut pas manger la chair de la bête noire sans l’avoir égorgé, mais il doit la manger pour préserver sa vie, il le fait même s’il enfreint un interdit ; deuxièmement, c’est la situation de quelqu’un qui est fait prisonnier par des gens qui veulent lui ôter la vie à cause de sa foi. Le Coran dit que s’il renonce à sa foi de façon verbale et que son cœur reste attaché à sa foi pour sa survie, cela ne constitue pas un péché. Il y a également des fatwas qui interdisent à celui qui souffre d’une maladie contagieuse de fréquenter une mosquée. Dans ce cas, il fait sa prière à l’écart des autres tout simplement pour ne pas les contaminer.
Concernant la distanciation sociale, son application ou pas serait une question d’école. Quelles sont d’abord ces écoles ?
Toutes les mosquées ont à cœur de respecter la préservation de la vie, ce qui incombe à tout responsable religieux musulman. Personne n’a intérêt à exposer la vie de quelqu’un à des risques. Pour ce qui est de la distanciation physique, il y a deux éléments. Le premier : elle se fait car dans la tradition du Prophète, il n’y a aucun hadith qui fixe la distance maximale entre deux personnes dans le rang. Certains savants ont dit que cette distance maximale entre deux personnes est équivalente à l’espace occupé par trois personnes dans le rang. Ils disent que si l’écart entre deux personnes dépasse ce que trois personnes auraient pu occuper, on suppose qu’il y a une rupture du rang. Cette question de la distanciation peut bien s’appliquer dans nos mosquées. Il ne devrait pas y avoir de question d’école lorsqu’il y a un problème de préservation de la vie. Il n’y a pas une seule école juridique musulmane qui dira de ne pas respecter la distanciation physique au péril de la vie d’autrui, puisque cela concerne la première finalité de l’islam. Vous verrez également que cette pratique se fait à La Mecque, où des gens prient tout en respectant cette mesure. Mais nous n’y sommes pas habitués, nous ne l’avons jamais appliqué si bien qu’il nous faudra une sensibilisation et une bonne communication là-dessus. Je pense que c’est ce à quoi doit s’atteler la FAIB. Elle doit l’expliquer pour que les gens sachent qu’elle veut préserver la vie de tous les musulmans et celle de tout autre individu émanant de n’importe quelle association. Elle constitue le regroupement de toutes ces associations et a donc le devoir de les protéger.
Le fait de prier serrer les uns contre les autres ne relève donc pas d’un dogme
Non. On parle de dogme quand c’est en rapport avec la nature de Dieu et le type de relation que nous avons avec Lui. L’entrée d’un individu malade dans une mosquée n’est pas une question de dogme mais de préservation de la vie. Je constate que la réouverture des mosquées a soulevé plus de commentaires que celle des marchés. Au marché, quelqu’un peut passer plus de trente minutes dans une boutique, mais la prière musulmane ne fait pas plus de dix minutes. Je crois, sous réserve de l’avis de spécialistes, qu’il y a une durée minimale d’exposition aux germes du Covid-19 pour qu’ils puissent infecter une personne. Cela peut être des éléments à prendre en compte pour demander aux spécialistes de conseiller les musulmans dans la gestion de cette pandémie en tenant compte de la distanciation physique.
Nous avons l’habitude de voir lors des prières des gens collés, orteils contre orteils, épaules contre épaules ; y a-t-il une symbolique particulière liée à cela ?
La prière dans les conditions telles que nous les connaissons s’effectue justement les pieds collés les uns aux autres afin de donner cette image d’unité du corps. Le Prophète à ce sujet disait que l’on doit être le plus droit possible dans l’alignement et laisser le moins d’espace possible parce qu’en ne le faisant pas, les cœurs vont s’éloigner, que la proximité physique induit celle des cœurs et vice-versa. Mais je répète qu’il n’y a pas d’espace maximal qu’il a précisé dans l’alignement du rang pour qu’on parle de rupture. Mais les savants, eux, en ont fait cas.
On entend parfois que le fait de ne pas se coller les orteils donne l’occasion au Diable d’entrer dans les rangs et de distraire ceux qui prient. Qu’en est-il au juste ?
Quand on parle de désunion ou d’union, il faut voir la symbolique, l’image. Si je suis par exemple dans un rang et que je m’éloigne suffisamment de mon voisin de droite ou de gauche, au fond de lui, il pourrait se demander par exemple pourquoi je ne veux pas m’approcher de lui. Et à ce moment, Satan va le pousser à se dire que c’est parce qu’il sent peut-être mauvais ou que l’autre a des habits bien propres, entre autres, et dès lors son esprit ne sera plus à la prière. C’est un peu dans cet ordre d’idée. Au temps du Prophète également, il interdisait l’accès à la mosquée à ceux qui avaient une haleine malodorante, pour ne pas déranger les autres. C’est le cas de ceux qui consommaient l’oignon, l’ail, ils y étaient interdits d’accès pendant trois jours.
Vous qui connaissez bien le milieu de la Oummah, pensez-vous qu’à l’occasion de la réouverture des mosquées les fidèles pourront respecter scrupuleusement les mesures édictées tant par le gouvernement que par les responsables de la Fédération ?
Je pense que si les gens se sont adressés à la faîtière pour demander la réouverture des lieux de culte, c’est parce qu’ils reconnaissent son autorité. Mais ce qu’elle fera certainement, c’est communiquer encore avec les fidèles au-delà des mesures qu’elle avait suggérées au gouvernement avant cette réouverture (la désinfection des mosquées, la mise à disposition des lave-mains, le port du masque, entre autres). C’est une fédération qui est consciente des enjeux, et la correspondance qu’elle a adressée au ministère de l’Administration territoriale prouve qu’elle se préoccupe de la santé de tous les Burkinabè en général et de ceux qui fréquentent les mosquées en particulier. Il lui faut donc communiquer davantage pour que tous les fidèles prennent également conscience du danger et prennent leurs dispositions pour ne pas contracter la maladie et la transmettre aux autres.
Entretien réalisé par
Aboubacar Dermé