Article
Écoles coraniques : entre la mendicité et la bastonnade
- Title
- Écoles coraniques : entre la mendicité et la bastonnade
- Type
- Article de presse
- Publisher
-
Le Jour
- Date
- May 20, 2003
- DescriptionAI
- En Afrique de l'Ouest, les jeunes talibés des écoles coraniques traditionnelles (daaras) sont confrontés à des conditions de vie précaires, marquées par la mendicité forcée et la violence. Ces enfants, souvent âgés de 6 à 16 ans, sont contraints par leurs marabouts à mendier quotidiennement pour rapporter de l'argent, sous peine de bastonnade. Ils vivent dans des environnements insalubres, manquent de nourriture et de soins, malgré les dénégations de certains maîtres coraniques. Cette exploitation est dénoncée par les ONG qui soulignent l'indifférence publique et le manque d'action gouvernementale.
- number of pages
- 1
- Language
- Français
- Contributor
-
Frédérick Madore
- Identifier
- iwac-article-0011131
- content
-
Ecoles coraniques
**Entre la mendicité et la bastonnade**
Loin des salles de classe et de la modernité, l'apprentissage du Coran semble avoir de beaux jours devant lui dans les faubourg des métropoles ouest-africaine. De Kolda (Sénégal) aux quartiers précaires d'Abidjan, les petits talibets âgés de 6 à 14 ans, entre mendicité et bastonnade, tentent de perpétuer le daara (l'école coranique) traditionnel.
Au bout d'une allée sablonneuse encombrée de bric-à-brac, se dresse une maison inachevée de deux niveaux et, à l'intérieur, dans une odeur pestilentielle, une cinquantaine de «talibés», jeunes élèves de l'école coranique, sont assis sur des bancs de fortune.
Dans une salle exiguë de la maison, dans un quartier populaire de Dakar, ces petits talibés, âgés de 6 à 14 ans, sont censés apprendre les rudiments de l'enseignement coranique. Cet enseignement doit faire d'eux «des hommes» dans une société «déshumanisante», déclare à l'AFP le maître coranique ou «marabout», Pape Faye, la cinquantaine entamée et la bouche entourée d'une barbe poivre et sel. Bonnet blanc, boubou bigarré, il se dit «heureux de léguer le savoir aux talibés».
«Ce sont les parents qui envoient leurs enfants dans mon daara (école coranique) pour qu'ils apprennent le Coran au nom de la tradition et de la religion», dit-il. Après l'étude du Coran, «les enfants ont des horaires où ils vont mendier», admet le marabout, en affirmant toutefois que «le fruit de leur mendicité leur revient». Mais selon divers témoignages et ONG, les talibés sont obligés d'aller mendier une bonne partie de la journée et d'en rapporter une somme minimum, faute de quoi ils sont sévèrement punis.
Place de l'Indépendance, centre de Dakar. Gamelle en main, tricot-rouge effiloché, culotte jaunâtre, Seydou, un talibé de 16 ans, les mains rongées par la gale, témoigne. «Je demande aux gens de me donner de l'argent, (parce que) je suis tenu de rapporter tous les jours de l'argent à mon maître coranique, sinon je me fais battre. D'ailleurs, il m'a battu plusieurs fois parce qu'il estimait que je n'avais pas rapporté assez d'argent».
«Je suis originaire de Kolda (sud) et je suis du même village que mon maître. C'est par l'intermédiaire de mes parents que je suis arrivé chez lui pour apprendre le Coran», explique Moussa, sandales usées aux pieds, qui ne connaît pas son âge, peut-être 12 ans.
«On se réveille tous les matins à 05H00. Le maître nous enseigne le Coran jusqu'à 07H00. De 07H00 à 12H00, nous sommes dans les rues pour mendier. A midi, nous retournons chez le maître pour lui remettre les sous que nous avons eus», dit Moussa avec amertume.
A 13H00, poursuit-il, «on part mendier à nouveau, cette fois-ci, pour chercher à déjeuner», avant de reprendre la lecture du Coran de 15H00 à 18H00.
«Nous faisons une pause et, à 19H00, l'enseignement reprend jusqu'à 21H00. De 21H00 à 22H00, on part mendier encore pour le dîner».
Selon les enfants, les marabouts ne se préoccupent pas de leurs besoins médicaux et alimentaires. Bout d'homme ne faisant même pas 4 ans, morveux, sans chaussures, Ibrahim, les dents jaunies et l'haleine puante, s'élance: «ça me fait trois ans au daara et le marabout nous demande de mendier, parce qu'il doit payer la facture d'électricité...».
«Oui, il y a des marabouts qui ne sont pas bien. Mais dans mon daara, les enfants vont mendier pour eux-mêmes. Je ne prends que ce qu'ils me donnent», jure Pape Faye.
Les Dakarois sont devenus quasiment indifférents aux problèmes des talibés, estime Ndiaya Lô Sène, animatrice d'»Environnement et développement du tiers-monde» (Enda), ONG qui lutte contre l'exploitation des talibés et s'occupe d'une trentaine de daaras. Les enfants sont régulièrement battus, privés de nourriture, parfois enchaînés et enfermés... «C'est révoltant», soutient Mme Sène qui, «personnellement, ne voit pas d'actions concrètes que le gouvernement est en train de mener au niveau des talibés».
Ces responsables de l'école coranique doivent veiller aux comportements de leurs élèves.