Article
Interview. Accusé d'avoir abandonné des pèlerins à l'aéroport, Béma Fofana (président du syndicat des encadreurs autonomes du hadj en Côte d'Ivoire) : "Ma vérité sur les pèlerins bloqués à Abidjan"
- Title
- Interview. Accusé d'avoir abandonné des pèlerins à l'aéroport, Béma Fofana (président du syndicat des encadreurs autonomes du hadj en Côte d'Ivoire) : "Ma vérité sur les pèlerins bloqués à Abidjan"
- Type
- Article de presse
- Publisher
-
Le Patriote
- Date
- February 2, 2004
- DescriptionAI
- Béma Fofana, président du syndicat des encadreurs autonomes du Hadj en Côte d'Ivoire, s'explique sur le blocage de 300 pèlerins en 2004. Il attribue la situation à des retards de transfert de fonds par la banque imposée par le ministère, ainsi qu'à des entraves administratives et au monopole de transport mis en place par le ministère des Cultes. Fofana dénonce le coût excessif du pèlerinage en Côte d'Ivoire et milite pour une organisation libéralisée, transparente et moins chère.
- pages
- 6
- number of pages
- 1
- Language
- Français
- Contributor
-
Frédérick Madore
- Identifier
- iwac-article-0007174
- content
-
INTERVIEW
Accusé d'avoir abandonné des pèlerins à l'aéroport
Béma Fofana : président du syndicat des encadreurs autonomes du hadj en Côte d'Ivoire
“MA VÉRITÉ SUR LES PÈLERINS BLOQUÉS À ABIDJAN"
Impliqué dans l'organisation du Hadj 2004, Béma Fofana a été mis en cause dans les difficultés qu'ont connues 300 candidats au pèlerinage qui n'ont pu effectuer le voyage en terre sainte. Il donne ici sa part de vérité sur cette question qui était au centre de l'actualité cette semaine.
Propos recueillis par Touré Moussa et Kossou Jean-Marc
Le Patriote : Comment se fait-il que plus de trois cents pèlerins inscrits auprès de vous n'ont pu effectuer le voyage de la Mecque cette année ?
Béma Fofana : C'est d'abord pour des raisons financières. Les fonds que j'ai mis en place pour payer le charter n'ont pas été transférés à temps chez l'avionneur par la banque que le ministère nous a imposée. Lorsque le ministre des Cultes a mis en place la nouvelle organisation du hadj, nous avons soulevé un certain nombre de problèmes. Nous avons expliqué au ministre que si on ne faisait pas attention, on en serait à la situation que nous vivons présentement. Le ministre, en accord avec les treize associations agréées, a décidé qu'il y ait un seul transporteur, une seule banque, un seul logeur. Ce système élimine complètement les démarcheurs alors qu'on ne peut pas organiser le Hadj sans eux. Le nouveau ministre, ne le sachant pas, ces associations lui ont fait croire qu'elles pouvaient organiser le Hadj sans les démarcheurs. Le ministre nous a fait l'honneur de nous recevoir deux fois. Nous lui avons exprimé notre souhait de voir libéraliser l'organisation du Hadj comme nous l'avons fait sous Boga Doudou. Si on avait libéralisé le transport, on n'aurait pas connu les problèmes auxquels nous assistons.
Le Patriote : Qu'est-ce que la banque a à voir avec le blocage des pèlerins ? Si vous avez payé, il n'y a pas de raison qu'il n'y ait pas d'avion. Et quelle compagnie avez-vous choisie ?
B. F. : La banque Omnifinance, qui a été imposée pour l'organisation du Hadj, n'a effectué le transfert de fonds à mon avionneur que le 24 janvier alors que nous lui avons demandé de le faire depuis le 14 du mois. Le 24 janvier, on était pratiquement à la veille de la fermeture de l'aéroport pèlerin de Djeddah. Donc, mon avionneur n'a pas eu le temps nécessaire pour faire les documents administratifs qu'il faut pour effectuer le déplacement. Lorsque nous avons su cela, nous avons informé le ministère. Ensemble, on cherchait un autre avionneur pour contourner cette difficulté lorsqu'une dame, Mme Ollo Honorine, nous a dit qu'elle avait un avion. Nous avons pris contact avec elle mais son avionneur était cher. Nous avons pris aux pèlerins 610 000 francs pour le billet alors que son avionneur demandait 760 000 francs. Face à ce manque à gagner, sous le couvert du ministre des Cultes, nous avons écrit au Président de la République pour nous aider à payer le différentiel de 90 millions, afin que les pèlerins puissent effectuer leur voyage. Il nous a accordé le montant que nous avons demandé pour pouvoir faire le vol. Mais, malheureusement, lorsque nous avons demandé à notre banque de transférer les fonds sur le compte de l'avionneur en Arabie, il a préféré remettre le chèque au consulat de Côte d'Ivoire en Arabie. Ce chèque est revenu pour insuffisance de provision. Nous l'avons appris à 17h20, ce qui correspondait à 20h30 de l'autre côté. Donc, l'opération n'a pas pu se faire.
Le Patriote : Pourquoi n'avez-vous pas fait corps avec l'organisation mise en place par le ministère ? Pourquoi avoir fait prendre un risque à vos pèlerins en faisant cavalier seul ?
B. F. : Mais c'est avec l'organisation du ministère que nous avons travaillé. C'est ce qu'on évite de dire aux gens. Nous avons travaillé sous le couvert de l'Association de Bouaké qui fait partie des treize associations agréées. Nous avons fait tous nos documents avec elle. Nous avons tout payé avec le ministère. En dehors du transport, tout le reste a été fait avec le ministère. Parmi les pèlerins qui ont été abandonnés, il n'y a pas que les nôtres. Il y a les pèlerins du Front de la Oumma Islamique (FOI) qui sont restés. Il y a également vingt pèlerins du Conseil Supérieur Islamique (CSI) qui sont là. Et puis, ne croyez pas que le ministère a eu une organisation fluide, sans problèmes. Il avait les mêmes problèmes que nous. Vous avez vu combien de temps ses avions ont mis ici. Et le dernier avion est resté là pendant trois jours et est reparti à moitié vide. Le ministère aussi avait des problèmes de papiers administratifs. Ce n'était pas aussi fluide qu'on veut le faire croire.
B. F. : Pour avoir l'autorisation de faire venir un charter, j'ai dû remuer ciel et terre. Alors que le ministre m'avait donné son accord. Le deal qui était entre nous, c'est que sur le quota de 1500 pèlerins que le ministre a fixé pour cette année, s'il atteignait le nombre de 1 200, il me laisserait compléter le reste avec mon propre vol. Quand je suis allé à l'ANAC pour avoir les autorisations de faire venir un avion charter, ils m'ont demandé d'aller chercher une lettre du ministre. Car ce dernier leur aurait dit qu'en dehors de sa compagnie, aucune autre ne devrait organiser le voyage des pèlerins. J'ai rencontré le ministre des Cultes et je lui ai dit que l'ANAC demandait un document. Il m'a répondu qu'il n'est pas le ministère des Transports et que si mon avion a les documents techniques nécessaires, il n'y aurait aucun problème. Donc, je suis retourné en informer l'ANAC. Et ils m'ont dit que tant que je n'ai pas un document du ministère, ils ne m'accorderaient pas d'autorisation. Je suis retourné au ministère et j'ai dû faire intervenir des hautes personnalités pour avoir ce document. J'ai donc envoyé ce document à l'ANAC.
Le Patriote : Vous vous plaignez d'entraves qui auraient été mises sciemment par le ministère des Cultes pour vous ralentir, voire des coups bas qu'on vous aurait donnés...
Béma Fofana : président du syndicat des encadreurs autonomes du hadj en Côte d'Ivoire
C'est au vu de ce document que l'ANAC m'a donné l'autorisation d'atterrissage à Abidjan et a fait un deuxième document pour l'aviation civile d'Arabie Saoudite. J'ai faxé ces deux documents en Arabie Saoudite via notre consulat. Et ils devraient être traduits par notre consulat. Mais le consulat a refusé de traduire ces documents. J'ai appelé pour savoir pourquoi. On m'a dit qu'ils avaient reçu des instructions du ministre des Cultes disant que seul Air Universal devait faire le pèlerinage. Et si quelqu'un d'autre devait le faire, il fallait qu'il ait un document venant de ce ministère. Je leur ai faxé le document du ministère m'autorisant à organiser un vol charter. Quand ils l'ont reçu et que je les ai appelés, ils m'ont dit qu'il fallait malgré tout que le ministre les appelle. Je suis revenu voir le ministre qui a demandé à son Directeur de cabinet d'appeler. Après cet appel encore, on m'a dit qu'il faut un document signé du ministre. J'ai dû aller au ministère des Affaires étrangères voir le Secrétaire général qui a appelé le Consul qui, maintenant, m'a dit qu'il avait reçu une information selon laquelle j'irais jeter les pèlerins à l'aéroport sans les loger. Et m'a demandé de lui faxer mon contrat de logement. Je lui ai dit que mes pèlerins logeraient avec tous les pèlerins voisins puisque le ministre a décidé que tous les pèlerins devaient être regroupés chez un logeur unique. Il m'a dit qu'il allait le vérifier. Et que si j'avais vraiment payé les frais d'hébergement de mes pèlerins, il traduirait le document. Après vérification, il s'est rendu compte que j'avais payé effectivement à ce niveau-là. Il m'a rappelé le lendemain pour m'informer qu'administrativement, il a fait tous les papiers. Ceci pour vous dire qu'on n'a pas travaillé en dehors du ministère.
Le Patriote : Vous avez décidé de prendre un charter de la compagnie Almanah Charter au lieu de la compagnie Air Universal qui était le choix du ministère. Ne pensez-vous pas que faire voyager tous les pèlerins sur la même compagnie, cela revient moins cher pour tout le monde et évite de créer ce flou autour du transporteur officiel ?
B. F. : Il y a des compagnies traditionnelles qui font le Hadj. En Côte d'Ivoire, ce sont Ethiopian Airlines et Egypt Air. J'ai dit au ministre que j'étais contre le monopole. Nous sommes dans un pays libéral, il faut laisser les gens voyager par les compagnies qu'ils veulent. Plusieurs personnes avaient l'habitude de voyager par Ethiopian Airlines ou par Egypt Air. Mais le ministre a dit qu'à un moment donné, il leur a fait appel mais ils n'ont pas voulu. Donc, il est avec Air Universal. Or cette compagnie est nettement plus chère. Et cela, nous ne le comprenons pas. Voilà des années qu'on organise le Hadj. On doit pouvoir maintenant maîtriser tous les contours et réduire le coût du pèlerinage. D'ailleurs, cette année encore, beaucoup d'Ivoiriens sont partis par le Ghana. Habituellement, compte tenu du coût élevé du pèlerinage ici, les zones à partir d'Abengourou, Agnibile Krou, Bondoukou et Bouna préfèrent aller par le Ghana. Là-bas, le pèlerinage coûte 1 million 80 000 F CFA. Chez nous ici, une année on était à 1 million 250 000 F CFA. L'année d'après, on passe à 1,3 millions et cette année on parle d'1 million 500 mille. Pourquoi cela ? On habite les mêmes endroits, les mêmes locaux que ceux qui payent seulement 1 million. Et ce sont les mêmes avions que nous empruntons. Le pèlerinage à Lomé coûtait 960 000 F CFA cette année. Pourquoi faisons-nous plus cher alors que nous n'offrons pas des services meilleurs ? C'est contre cela que je veux lutter.
Le Patriote : Comment peut-on, selon vous, réduire les frais du pèlerinage pour permettre aux plus pauvres d'accomplir ce pilier fondamental de l'Islam ?
B. F. : Il faut éliminer un certain nombre d'éléments dans la composition du montant de pèlerinage, notamment, les 120 000 francs de frais d'encadrement. Il faut aussi éliminer les 30 000 francs de vaccination. Moi, je vais en Arabie Saoudite pour le petit pèlerinage mais je ne paie pas autant. C'est de l'arnaque tout cela. Pour ce qui concerne le billet d'avion, le prix est normal. Mais là où les gens se sucrent, c'est dans le logement. Pour des logements décents, il faut payer entre 800 et 1000 rials. Raisonnablement, on peut demander aux pèlerins 1200 rials. Cela fait la bagatelle de 40 000 francs qu'on ramasse sur le dos de chaque pèlerin. Mais lorsqu'on le fixe à 1800, cela est trop, surtout qu'ils ne sont pas logés dans des maisons de 1800 rials.
Le Patriote : On sait que le pèlerinage est une affaire de milliards chaque année. Est-ce qu'au fond vous ne vous battez pas parce qu'on veut vous écarter de la poule aux œufs d'or ?
B. F. : Je ne suis pas un misérable, je gagne bien ma vie. Je suis cadre supérieur au Trésor et banquier de formation. Je n'ai pas besoin d'attendre le hadj pour vivre. Mais je suis un musulman et je veux apporter ma modeste contribution. En 2001, quand j'organisais les démarcheurs, nous avons eu 1080 pèlerins. Et je fais le Hadj à mes propres frais. J'ai même perdu au moins 35 millions dans cette affaire. Malgré cela, on nous combat. C'est déplorable.
Le Patriote : Que comptez-vous faire avec ces gens qui ne sont pas partis ? Allez-vous les rembourser ?
B. F. : C'est très important. Il faut que les gens comprennent que s'il y a à rembourser, ce n'est que le titre du transport. Parce que c'est ce que j'ai pris avec eux. Les autres éléments doivent être remboursés par le ministère, et moi-même je suis dans ce cas. Car j'ai payé le logement avec le ministère, les taxes saoudiennes aussi. Si j'ai quelque chose à rembourser, c'est exclusivement le billet d'avion. Mais, en ce moment, je n'ai pas ces fonds parce que nous les avons transférés en Arabie Saoudite. Il faut attendre que ces fonds-là reviennent à Abidjan. Et ceux qui ont la signature sur ces différents comptes sont à la Mecque. Donc, il faut que les signataires de ces comptes viennent pour me faire un chèque me permettant de retirer cet argent. Ce n'est qu'après cela que je pourrai rembourser les pèlerins. Il ne faudrait pas que les gens pensent que je suis un vulgaire individu. Je travaille au Trésor public et je ne suis pas quelqu'un qui se cache. Je suis en congés. Et je profite de ce temps-là pour m'occuper de ce problème. Je tiens à cette précision car j'entends dire que j'ai disparu, ce qui n'est pas vrai.
Le Patriote : Au cas où le ministère ne s'exécutait pas. Sachant que c'est vous que les pèlerins connaissent. Qu'est-ce que vous allez faire ?
B. F. : Je traduis la banque au tribunal parce que je ne peux pas concevoir qu'on me fasse un virement qui prend dix jours. Donc je les assigne en justice.
Le Patriote : Au cas où certains pèlerins voudraient laisser leur argent avec vous et attendre l'année prochaine pour voyager avec cette somme. Est-ce que c'est possible ?
B. F. : C'est effectivement possible. Et il n'y a aucun problème à ce niveau. Mon objectif, c'est d'alléger la souffrance des pèlerins, mais malheureusement, les voies du Seigneur sont insondables. Cela étant, je voudrais dire qu'aujourd'hui, on doit tendre vers une structure indépendante qui va gérer le Hadj. Une structure qu'on mettra en place avec des gens expérimentés pour gérer cette opération. Je vous assure qu'on peut gérer le Hadj dans la transparence. Et ça, c'est ma conviction. Mais après ce qui m'est arrivé cette année, je suis ébranlé et je me demande si je dois continuer. Ce qui m'est arrivé m'a assommé complètement. Je suis vraiment malheureux. Et je le dis sincèrement. En dehors du Hadj, vous avez du respect pour certaines personnalités. Mais quand vous les voyez dans le milieu du Hadj, vous êtes déçu. L'avidité prend le pas sur la foi.
T.M. et K.J.M. (Coll. F.Y. et C.C.)