Article
Interview. M. Hamed Bakayoko (fondateur de "Le Patriote") s'occupera des commanditaires, pas des valets"
- Title
- Interview. M. Hamed Bakayoko (fondateur de "Le Patriote") s'occupera des commanditaires, pas des valets"
- Type
- Article de presse
- Creator
- Sindou Méité
- Publisher
-
Le Patriote
- Date
- July 5, 1999
- number of pages
- 2
- Subject
- Hamed Bakayoko
- Language
- Français
- Contributor
-
Frédérick Madore
- Identifier
- iwac-article-0007025
- content
-
**Interview**
M. HAMED BAKAYOKO (FONDATED “LE PATRIOTE S'OCCUPERA DES COMMANDITAIRES, PAS DES VALETS”)
Cinq ans après sa suspension, Le Patriote renaît. Son promoteur, Hamed Bakayoko, pour célébrer cette renaissance, lève le voile du silence et donne son témoignage dans l'histoire récente de la Côte d'Ivoire. Alassaniste convaincu, il jette également un regard critique sur le régime actuel et appelle au ralliement de toutes les forces du changement qui peuvent empêcher la déchirure de la Côte d'Ivoire.
**M. Hamed Bakayoko : "Nous voulons préparer le grand retour"**
Le Patriote : Monsieur Bakayoko, "Le Patriote" a été suspendu en février 1994, et jusqu'en juillet 1999, il n'est plus reparu. Hamed Bakayoko est devenu muet. Que s'est-il passé pour que vous disparaissiez ainsi ?
Hamed Bakayoko : D'entrée, je voudrais vous dire merci de me donner l'opportunité de faire une première vraie interview sur toutes les questions. Avant tout, je voudrais avoir une pensée respectueuse et affectueuse pour la mémoire du Président Houphouët-Boigny. Ce fut un grand homme. Il a été pour moi un grand repère : il a marqué mes débuts dans la politique et aujourd'hui qu'il n'est plus, je voudrais saluer sa mémoire.
Je pense aussi à Oré Lakpé, directeur de publication du journal "Le Populaire Nouvelle formule", actuellement en prison. Je trouve que l'emprisonnement des journalistes est la pire des barbaries dans un système politique. Il est inadmissible que pendant que des individus qui ont volé des milliards et surfacturé sont en liberté, jouissant de façon injuste des biens de la collectivité, qu'on prive de leur liberté des personnes qui ont simplement décidé d'être les porte-voix des peuples, d'être la conscience des citoyens. Je voudrais également rendre hommage aux journalistes de Côte d'Ivoire qui se battent. Je prends un seul exemple : l'affaire de la pédophilie. Je ne veux pas porter de jugement sur la personne qui y est incriminée, mais sur le phénomène en lui-même. Je voudrais dire à quel point ce dossier, traité par le quotidien "Le Jour" et repris par la plupart des journaux de la place, va protéger beaucoup d'enfants en Côte d'Ivoire. Les pédophiles, après cette campagne, feront vraiment attention avant de toucher à nos enfants.
C'est en cela que la presse, par son interpellation quotidienne, arrive à améliorer la vie des Ivoiriens. C'était un préliminaire que je voulais faire avant de répondre à votre question.
Le Patriote : Revenons donc à la question : pourquoi vous êtes-vous retiré ?
HB : "Le Patriote", après sa suspension et mon incarcération en février 1994, a été, je l'avoue, profondément désorganisé. Il était difficile à cette époque de refaire immédiatement quelque chose de bien. Notre imprimerie était saisie (nous l'avons retrouvée depuis une année), le matériel informatique et les supports techniques avaient disparu. De plus, il me fallait parfaitement réorienter la ligne éditoriale ; toutes ces questions méritaient une profonde réflexion. J'ai estimé, à ce moment-là, qu'il fallait prendre le temps, quel qu'il soit, pour mener à bien cette réflexion.
C'est pourquoi nous nous sommes tus un moment. C'était un repli stratégique. Nous avons, comme nous le pouvions, apporté notre contribution à la presse en général. Aujourd'hui, nous estimons que la Côte d'Ivoire va vivre ce que j'appelle un tournant décisif. Je pense que nous ne pouvions pas continuer de nous taire devant ces événements majeurs. C'est la raison pour laquelle nous revenons pour apporter notre soutien et notre contribution aux forces du changement et à toutes les forces du progrès dans notre pays. En plus de tous ces problèmes, je dois avouer que le développement de "Radio Nostalgie" en Côte d'Ivoire et en Afrique m'a pris beaucoup de temps. J'ai préféré m'y consacrer. Bien faire une seule chose plutôt que de mal faire plusieurs choses à la fois.
Le Patriote : On dit plutôt que vous avez été traumatisé par votre séjour carcéral.
HB : Ceux qui connaissent la Côte d'Ivoire me sentent. Les Ivoiriens qui ont parcouru l'ensemble de nos travaux savent que la peur est un sentiment que nous ne connaissons pas. Aujourd'hui, nous sommes là et les uns et les autres jugeront. Mais je pense que si nous étions des peureux, nous ne serions pas là au moment où des menaces de toutes sortes planaient sur la tête de tous ceux qui osent exprimer une autre opinion.
Le Patriote : Certaines rumeurs soutiennent que vous avez négocié votre sortie de prison avec le Président Bédié. Vous lui avez promis notamment de ne plus faire de la politique, de vous taire, de ne plus lancer de journal sur le marché.
HB : C'est archi-faux. J'ai été libéré dans des conditions spectaculaires. J'étais tranquillement assis le dimanche 3 juillet dans ma cellule de la MACA, quand le directeur de la prison est venu m'annoncer que le ministre de la Justice (NDLR Faustin Kouamé) voulait me voir. Je lui ai dit que dans mon état de prisonnier condamné, mon seul interlocuteur devrait être le juge chargé de l'application des peines. Je ne voyais pas pourquoi je devais rencontrer le ministre. Il m'a fait comprendre que je devais y aller. Je l'ai donc suivi. C'était quel-
que temps après, le ministre nous a annoncé qu'en fait, c'était le Président de la République qui, avant de se rendre le lendemain à Paris, avait souhaité me recevoir. Avec le ministre, nous nous sommes rendus à la résidence du chef de l'État où nous avons trouvé M. Noël Nemin, à l'époque directeur de cabinet du Président, Mme Boni Claverie, ministre de la Communication, et un certain nombre de cadres. Avec eux, il y avait des personnes âgées qu'on disait venues de Séguéla. C'est là qu'après l'introduction du ministre de la Justice, le Président a pris la parole pour annoncer qu'il avait décidé de m'élargir. C'est ainsi qu'on m'a annoncé que j'étais libre. Le Président a même demandé qu'on me ramène directement chez moi au lieu de retourner à la MACA. Prenant la parole, j'ai remercié le Président de me redonner ma liberté confisquée. Ensuite, j'ai dit, et les témoins sont vivants, que je ferais ce que ma conscience me commanderait et que je restais un homme libre. Le gouvernement a ensuite publié un communiqué qui, je l'affirme, ne traduisait pas la réalité des faits. J'ai voulu y répondre immédiatement. Mais des parents, qui avaient souffert de mon incarcération, avaient souhaité que je ne réagisse pas. Mais ce que je veux souligner, c'est que Hamed Bakayoko, en tant que tel, n'a pas souffert. Je suis un enfant du ghetto qui a connu la souffrance, qui a grandi à Adjamé, à Treichville et à Koumassi... J'avoue que j'ai été peiné par la douleur que mon incarcération a pu causer à mes parents et aux gens qui me sont très proches. Ce sont toutes ces questions qui m'ont fait prendre du recul pour mieux apprécier les axes de notre action future.
Le Patriote : Vous n'avez passé aucun accord ni signé aucun document pour obtenir votre libération ?
HB : Jamais ! Au grand jamais, je n'ai signé aucun document où je m'astreignais à quelque condition que ce soit. Certaines personnes, pendant mon incarcération, m'ont approché pour me dire que ma libération tenait à une lettre d'excuses au Président. Ce que je n'ai jamais fait.
Le Patriote : Qui a entrepris ces démarches ?
HB : Je préfère taire les noms. Ces personnes étaient sûrement de bonne volonté. Dire leur nom n'apporterait pas grand-chose au débat.
Le Patriote : Dans cette affaire, vous avez été débarqué puis reconduit à la présidence du conseil d'administration de "Radio Nostalgie". Pouvez-vous expliquer ce qui a justifié ces mouvements ?
HB : C'est simple. Pendant ma détention, la radio avait besoin d'être gérée. Les administrateurs ont donc décidé de nommer quelqu'un à ma place. Conformément aux statuts, les textes disent clairement qu'en cas d'empêchement du président, le conseil élit un autre président jusqu'à la fin de cet empêchement. Cet empêchement ayant été levé par ma libération, c'est le plus naturellement du monde qu'ayant toujours la confiance de mes partenaires, j'ai été réélu président directeur général de "Radio Nostalgie". C'est vrai, le pouvoir à cette époque avait tenté de m'en empêcher, mais j'ai été ferme. C'est une entreprise privée et en rien il n'avait été écrit dans le cahier des charges que le gouvernement devait s'ingérer dans le processus de désignation de son président.
Le Patriote : "Un journal qui ne s'intéresse pas aux valets, mais aux commanditaires". Quel type de journal est-ce ? Quelle en est la ligne éditoriale ?
HB : "Le Patriote" va travailler à la moralisation de la société en dénonçant tous les responsables véreux. En dénonçant la gabégie, la corruption, la surfacturation, la pédophilie, en mettant en valeur les forces du changement et ceux qui les incarnent. Un journal qui éclairera les Ivoiriens sur bien des questions, qui contribuera à sauvegarder la paix en Côte d'Ivoire. Nous sommes venus préparer le grand retour et enfoncer le clou.
Le Patriote : On remarque dans l'ours du journal que vous n'êtes pas présent. Même si vous êtes le promoteur du projet, vous n'êtes ni directeur de publication ni présent à aucun poste. Pourquoi ?
HB : J'ai décidé de ne pas assumer les fonctions de directeur de publication, parce que les tâches que j'ai actuellement et surtout celles à venir ne me donneront pas toute la disponibilité pour être DP, compte tenu d'un certain nombre de missions qui me sont et qui me seront assignées. Mais je serai très présent dans la vie du journal et je ne manquerai aucune occasion d'y apporter ma contribution.
Le Patriote : Il y a une question que tous les Ivoiriens se posent. Chaque fois qu'Alassane Dramane Ouattara paraît, on le voit avec Hamed Bakayoko. Quand il arrive et quand il repart, vous êtes toujours là. Quelle est la nature de vos liens avec l'ancien Premier ministre ?
HB : Dans un premier temps, je peux vous dire que je suis un disciple d'Alassane Dramane Ouattara, je suis à son école. C'est quelqu'un qui m'a appris à travailler. Il m'a appris la rigueur dans le travail. Nos liens sont devenus tellement forts qu'aujourd'hui, je les considère comme des liens familiaux. M. Alassane Dramane Ouattara est extraordinaire dans sa vie privée comme publique. J'ai été frappé par ce qu'il convient d'appeler son sens élevé du "môgôya" (dans la civilisation mandingue, “môgôya" c'est la considération pour l'homme). Alassane respecte le petit comme le grand, le pauvre comme le riche. C'est un homme de vertu. L'un des éléments essentiels, c'est sa grande ouverture d'esprit et son respect absolu de la liberté des autres. Beaucoup de gens ont cru que nous avons été pendant longtemps manipulés par lui. Jamais il ne l'a fait. Il a estimé que tout un chacun était libre de faire ce qu'il veut. Aujourd'hui, nous revenons parce que nous avons décidé de le faire. C'est une fierté pour la Côte d'Ivoire et le continent africain d'avoir un tel fils.
Le Patriote : En 1993, au moment où M. Bédié et M. Ouattara étaient tous au PDCI, il s'est déclenché une guerre de succession et "Le Patriote" a décidé de choisir le camp d'Alassane Ouattara. Qu'est-ce qui a expliqué cette option ?
HB : Nous étions un groupe de jeunes au PDCI qui avions une dette, ceux qui ont surendetté le pays par des projets faramineux, inutiles et improductifs. Donc, nous avions senti une grande différence dans le style. Alassane nous a accrochés. À la différence de certains barons, il avait une vision moderne de la gestion du pays. Et cela correspondait parfaitement à la nôtre. Nous avons constaté que nous devions résolument tirer un trait sur le parti unique et ses méthodes. C'est pourquoi je vous fais une révélation : quand le président Houphouët-Boigny nous a rencontrés pour la première fois, il était étonné que nous ne soyons pas venus lui demander de l'argent. C'était la mode à l'époque. Nous lui avons répondu que nous appartenions à une nouvelle génération de jeunes Ivoiriens qui ont envie de faire leurs preuves. Et donc forcément, à l'intérieur du parti, nous savions qu'il y aurait des forces rétrogrades, constituées généralement de ceux qui ont mis ce pays à genoux, ceux pour qui aujourd'hui nous payons. À l'intérieur du parti, certains, jaloux des succès de sa gestion, ont commencé à lui mettre les bâtons dans les roues. Nous nous sommes interposés et nous avons clairement pris position. C'est de là qu'est partie la démarcation. Aujourd'hui, nous sommes fiers d'avoir mené ce combat et beaucoup de gens nous interpellent pour nous dire que nous avons eu raison trop tôt.
Interview réalisée par MEITE Sindou
Demain Hamed Bakayoko : "Châtier Alassane ? Il faut arrêter de se faire peur."