Article
François et Assimi veulent la tête de l'Imam Sana
- Title
- François et Assimi veulent la tête de l'Imam Sana
- Creator
- Abdoulaye Ly
- Publisher
- Mutations
- Date
- August 1, 2014
- Abstract
- L’imam de la grande mosquée de Ouagadougou, Aboubacar Sana, a saisi la fête de fin de ramadan pour jeter un pavé dans la mare. A l’instar de l’ambassadeur français, il a aussi déconseillé de franchir la ligne rouge. Comme ce dernier, il n’a pas nommé ce qu’est cette ligne, mais on aura compris le message. Le référendum avec en ligne de mire la révision de l’article 37 de la constitution serait la « fitna » qu’il faut éviter pour garantir la paix et la stabilité au Burkina Faso.
- Subject
- Aboubacar Sana
- Assimi Kouanda
- Association des Élèves et Étudiants Musulmans au Burkina
- Blaise Compaoré
- Cercle d'Études, de Recherches et de Formation Islamiques
- Chef de File de l'Opposition Politique
- Congrès pour la Démocratie et le Progrès
- Fédération des Associations Islamiques du Burkina
- François Compaoré
- Sénat et article 37
- Souleymane Compaoré
- Oumarou Kanazoé
- Zéphirin Diabré
- Language
- Français
- Contributor
- Frédérick Madore
- Identifier
- iwac-article-0002323
- content
-
L’imam de la grande mosquée de Ouagadougou, Aboubacar Sana, a saisi la fête de fin de ramadan pour jeter un pavé dans la mare. A l’instar de l’ambassadeur français, il a aussi déconseillé de franchir la ligne rouge. Comme ce dernier, il n’a pas nommé ce qu’est cette ligne, mais on aura compris le message. Le référendum avec en ligne de mire la révision de l’article 37 de la constitution serait la « fitna » qu’il faut éviter pour garantir la paix et la stabilité au Burkina Faso.
« Si le pays est en paix, c’est grâce à vous. S’il est détruit, c’est aussi à cause de vous et soyez sûrs qu’en retour, Dieu vous le rendra. » C’est le message adressé aux hommes et femmes politiques burkinabè par la communauté musulmane du Burkina Faso. Ces paroles de l’imam Sana sont iconoclastes quand on connait la tradition conservatrice de cette communauté. De l’indépendance à nos jours, elle s’est toujours en effet placée dans une posture légitimiste vis-à-vis des régimes qui se sont succédé. Elle fait tout pour ne pas déplaire au pouvoir en place. Sous la 4è République surtout, les relations entre les responsables religieux musulmans et ceux du parti au pouvoir ont été poussés très loin au point qu’on a parfois du mal à savoir sous quelle casquette s’expriment certains leaders religieux. Ces derniers occupent des postes de responsabilité aussi bien au sein de leur communauté que dans le parti au pouvoir. De nombreux leaders religieux ont été des conseillers officiels ou officieux du président Blaise Compaoré. De Cheick Doucouré de Hamdallaye au Cheick de Ramatoulaye en passant par feu Oumarou Kanazoé, El hadj Sasnaaba et bien d’autres, ils ont ouvertement travaillé à asseoir les bases sociales du régime. Plus récemment, la Fédération des associations islamiques du Burkina (FAIB) a apporté sa caution à la mise en place du sénat. Son porte-parole, Souleymane Compaoré, s’est d’ailleurs cru obligé de rappeler l’importance démographique des musulmans au Burkina pour légitimer ce « machin de sénat ». Il a fallu qu’il soit désavoué par deux composantes de la fédération, notamment le CERFI et l’AEEMB pour qu’il retrouve ses esprits et sa sérénité. Mais la communauté musulmane (vue ici comme association membre de la FAIB et non la communauté de tous les fidèles) était restée dans les rangs. Des soubresauts se faisaient sentir à l’intérieur, mais ils étaient plutôt liés à des querelles de positionnement. Il a fallu attendre la fête du mouloud passé (le 14 janvier) pour voir apparaitre publiquement des dissensions politiques dans le bureau de la structure.
François et Assimi veulent la tête de l’imam Sana
Ces deux responsables du CDP ont boudé cette année la fête du Mouloud à la grande mosquée. Ils ont annulé à la dernière minute leur déplacement sur ce lieu pour se rendre directement à Hamdallaye chez Cheick Doucouré. Ils étaient furieux d’apprendre que le chef de file de l’opposition, Zéphirin Diabré, faisait partie des invités d’honneur de la grande mosquée. De retour d’Hamdallaye, ils auraient passé des coups de file aux responsables de l’association de la communauté musulmane pour savoir qui a osé « amener » leur « bèèba », ennemi en moré, à la grande mosquée. On leur a fait comprendre que l’invitation de Diabré était une initiative de l’imam Sana. Le bureau exécutif de la structure ne serait en rien responsable de cette invitation. Certains sont allés jusqu’à affirmer que le bureau a été mis devant les faits accomplis. Quelques jours après, François Compaoré aurait appelé l’imam pour lui dire qu’il n’a pas bien fait. Il aurait même parlé d’ingratitude de l’imam. On lui aurait rappelé que c’est le président Blaise Compaoré qui aurait par deux fois assuré les frais de son évacuation en France pour ses soins. Une de ses proches aurait également bénéficié des largesses du président pour des soins. Au regard de toutes ces largesses du régime à sa faveur, l’imam devrait trier ses invités lors des fêtes. L’imam Sana a expliqué que c’est à la demande du CFOP que Diabré a été invité à la grande mosquée la nuit du Mouloud. Quelques jours avant, ce dernier serait passé le voir à son domicile et aurait souhaité assister à la cérémonie marquant la nuit de la naissance du prophète Mohamed. Il n’aurait pas trouvé d’inconvénient qu’il vienne. Il a souligné qu’il n‘avait aucun motif pour refuser cette demande à partir du moment où d’autres personnes qui ne sont pas non plus de confession musulmane ont l’habitude de se faire inviter. Cette explication de l’imam n’a pas convaincu les deux responsables du CDP (François et Assimi) qui voient dans son acte une adhésion pure et simple aux positions de l’opposition sur les questions qui fâchent, notamment la mise en place du sénat et la révision de l’article 37 de la constitution. Estimant qu’il a franchi la ligne rouge, les responsables du CDP ont engagé des manœuvres pour destituer l’imam de sa chaire de la grande mosquée. Deux arguments ont été mis en avant. Le premier se rapporte à son état de santé. Depuis ces dernières années, la maladie l’éloigne souvent de ses fonctions religieuses. Pour lui permettre de « bien se reposer », la proposition lui aurait été faite de céder officiellement le poste de grand imam à quelqu’un d’autre. Mais il pourrait diriger la prière du vendredi chaque fois qu’il le souhaite. Le deuxième argument a trait à la discipline dans la structure. Il aurait enfreint les règles en acceptant la demande du CFOP sans avoir eu au préalable l’avis du bureau de l’association. Comme il fallait s’y attendre, l’imam Sana a balayé ces arguments, jugeant malhonnête la démarche de ceux qui lui proposent de raccrocher. Pour lui, ces derniers n’ont pas le courage tout simplement, sinon ils savent que c’est une manœuvre politique qui n’a rien à voir avec la religion ou son état de santé. Informés de la volonté du bureau de le débarquer, ses nombreux partisans se sont organisés pour le maintenir à son poste. Ils se recrutent dans le milieu des commerçants du grand marché et ceux qui sont aux alentours de la grande mosquée. Même dans les provinces, des centaines de personnes se disent prêts à descendre sur la capitale pour le défendre. Pour eux, on veut lui faire la force parce qu’il ne s’aligne plus derrière les dirigeants du CDP.
L’imam imprime sa marque
La ténacité de l’imam Sana et de ses partisans a fini par amener la communauté musulmane à revoir sa position sur la situation politique nationale. En validant le sermon de l’imam à l’occasion de la fête de fin ramadan, la plus grande et ancienne structure associative musulmane du Burkina opère un revirement important dans son positionnement dans le débat politique qui agite le pays depuis des mois. Plusieurs facteurs pourraient expliquer ce retournement. C’est d’abord la survie des membres du bureau actuel à leur poste. Ils ont compris que pour conserver ou terminer tranquillement leur mandat, il fallait lâcher du lest pour ne pas être emporté par la vague contestatrice née de l’incident du Mouloud. Dans le milieu musulman, on avait fini par considérer beaucoup d’entre eux comme des pantins des responsables du CDP. Ils ont compris que persister dans l’alignement systématique derrière le parti au pouvoir était plus source d’insécurité que de confort qu’ils recherchent. Ils ont été instruits par la huée servie au secrétaire exécutif du CDP, Assimi Kouanda, quand il s’était aventuré en fin 2013 à la grande mosquée. Pour ne pas subir la même réprobation populaire, il vaut mieux se ranger, même si c’est pour se réfugier dans une position équilibriste.
Autre facteur non moins important, c’est la déroute du CDP au stade du 4 Août. Les images des responsables du parti au pouvoir prononçant leurs discours devant des gradins vides ont amené certaines personnes à prendre le pouls réel de l’opinion. Elles ont compris que le CDP est sur une pente raide. Les grandes mobilisations de l’opposition depuis 2013 vont crescendo et la mise en place des comités contre le référendum connait des succès dans beaucoup de provinces. Continuer à soutenir le CDP risque dans ce contexte d’engendrer une situation de déflagration qu’autre chose, surtout pas la paix et la stabilité dont ils se disent les chantres. Il y a enfin le lâchage des grandes puissances. Les Etats-Unis et la France ne sont pas favorables à la révision constitutionnelle pour sauter encore le verrou de la limitation des mandats présidentiels. Leurs ambassadeurs l’ont fait comprendre à l’occasion de leurs fêtes respectives du 4 et 14 Juillet dernier. Le tableau n’est donc pas reluisant, pour ne pas dire qu’il est assez sombre. A l’intérieur comme à l’extérieur, les soutiens s’amenuisent comme une peau de chagrin. Que reste-t-il à faire, sinon quitter le navire avant qu’il ne chavire si toutefois, c’est la volonté de son capitaine. En interpellant la classe politique, particulièrement ceux qui sont au gouvernail, les responsables de la communauté musulmane montrent qu’ils ont maintenant pris conscience du moment politique actuel qui est suffisamment critique pour que les leaders religieux restent silencieux.
Abdoulaye Ly
In MUTATIONS N° 58 du 1er août 2014.