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Blaise se trompe de majorité
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Burkina Faso
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- Title
- Blaise se trompe de majorité
- Creator
- Abdoulaye Ly
- Publisher
- Mutations
- Date
- May 15, 2014
- Abstract
- Dans la plupart de ses sorties publiques et médiatiques de ces derniers mois, le président Blaise Compaoré avance qu’il a la majorité du peuple avec lui. Ayant cette majorité, il serait alors bien fondé de faire passer tous ses projets de réformes, même les plus controversés comme ceux relatifs au sénat et à la révision de l’article 37 de la constitution. Pourtant, quand on y observe de près, la majorité dont il se réclame est plus fictive que réelle. Sur la base des élections présidentielles organisées au Burkina Faso depuis 1991, les scores obtenus par le candidat Blaise Compaoré n’ont jamais approché la majorité du corps des inscrits, encore moins la majorité du potentiel électoral. Sa majorité électorale a toujours été une minorité dans le corps social.
- Subject
- Ablassé Ouédraogo
- Association des Élèves et Étudiants Musulmans au Burkina
- Blaise Compaoré
- Cercle d'Études, de Recherches et de Formation Islamiques
- Congrès pour la Démocratie et le Progrès
- Conseil Consultatif sur les Réformes Politiques
- Fédération des Associations Islamiques du Burkina
- Sénat et article 37
- Souleymane Compaoré
- Zéphirin Diabré
- Spatial Coverage
- Dori
- Language
- Français
- Contributor
- Frédérick Madore
- Identifier
- iwac-article-0002321
- content
-
Dans la plupart de ses sorties publiques et médiatiques de ces derniers mois, le président Blaise Compaoré avance qu’il a la majorité du peuple avec lui. Ayant cette majorité, il serait alors bien fondé de faire passer tous ses projets de réformes, même les plus controversés comme ceux relatifs au sénat et à la révision de l’article 37 de la constitution. Pourtant, quand on y observe de près, la majorité dont il se réclame est plus fictive que réelle. Sur la base des élections présidentielles organisées au Burkina Faso depuis 1991, les scores obtenus par le candidat Blaise Compaoré n’ont jamais approché la majorité du corps des inscrits, encore moins la majorité du potentiel électoral. Sa majorité électorale a toujours été une minorité dans le corps social.
Les majorités électorales lors des élections passées peuvent-elles fonder indéfiniment une légitimité démocratique pour « imposer ses choix » aux autres ? C’est l’équation à laquelle le président Blaise Compaoré convie ses concitoyens qui refusent d’acheter ses différents produits manifestement avariés comme le sénat et le fameux référendum. A défaut de les convaincre, il rappelle tout simplement que depuis 1991, il a toujours été élu à plus de 80%. Mais ces « majorités » étaient en réalité l’expression d’une minorité d’électeurs conquis par tous les moyens. Malgré la débauche de moyens matériels, financiers et les pressions morales diverses, le pouvoir n’a jamais réussi à réunir autour de son candidat inamovible deux millions d’électeurs. A la première présidentielle de décembre 1991, le candidat solitaire Blaise Compaoré avait recueilli 645 406 suffrages sur 750 473 votants, soit 86,19% des voix.
Rapporté au nombre d’inscrits sur la liste électorale (3 466 548), le candidat Compaoré se retrouve à 18% des potentiels électeurs. Il s’est évertué lors des présidentielles suivantes à améliorer ce score, mais il n’a jamais atteint la barre symbolique de 50% des électeurs inscrits. En novembre 2005, 1 668 696 électeurs ont porté leur choix sur son nom sur près de 4 millions d’inscrits (3 918 102), soit 42%. C’est d’ailleurs son meilleur score parce qu’en 2010, ils n’étaient que 41% des 3 234 246 inscrits à voter « le candidat de l’émergence ». Si l’on devait considérer le potentiel électoral et non celui des inscrits, ces taux allaient encore dégringoler à moins de 30%. Par exemple, les projections sur la base du recensement général de la population en 2006 indiquaient plus de six millions de personnes remplissant le critère de l’âge électoral (18 ans) en 2010.
Les taux d’abstention très élevés traduisent en grande partie le manque de confiance des citoyens sur le processus électoral mis en place par le régime. Ils sont nombreux en effet, les Burkinabè qui n’accordent aucun crédit aux élections présidentielles tant que Blaise Compaoré est sur la ligne de départ. Pour eux, il ne pourrait pas s’empêcher d’user de tous les moyens pour se faire élire, peu importe la manière et le taux de participation. Ils se disent que le Burkina Faso ne connaitra jamais une vraie démocratie sous le régime de Blaise Compaoré. Cette perception est corroborée depuis quelques années par des gens qui ont été aux côtés du président. De Zéphirin Diabré au trio RSS en passant par Ablassé Ouédraogo, tous ont compris que leur « homme » n’est pas prêt à céder quoi que ce soit. C’est pourquoi ils ont préféré sortir du jeu des dupes dans lequel ils étaient confinés.
Les mensonges présidentiels
La controverse qui a suivi les travaux du CCRP, notamment la question sur le sénat a été une grande école pour de nombreux Burkinabè pour lire davantage la personnalité de leur président. Ils ont vu à quel point il pouvait mobiliser toutes les ruses et servir à ses interlocuteurs toutes les contrevérités pour tenter d’atteindre son objectif. En déplacement à Yamoussoukro en Côte d’Ivoire en juillet 2013 pour la conférence au sommet du traité d’amitié et de coopération ivoiro-burkinabè, Blaise Compaoré déclarait : « J’avais annoncé que ce qui ne serait pas consensuel dans ce cadre [conseil consultatif sur les réformes politiques] ne sera pas pris en compte… ». On sait tous que la question de la révision de l’article 37 n’a pas fait l’objet de consensus. Lors des Assises qui ont suivi la tenue du CCRP, la même position s’est dégagée.
Le président lui-même a assuré aux leaders religieux musulmans lors de l’audience qu’il leur a accordée en juillet 2013 qu’il ne se représenterait pas en 2015. C’est ce qui expliquerait la position ambiguë de la communauté musulmane sur le sénat, ayant naïvement cru aux paroles du président selon lesquelles la deuxième Chambre ne servirait aucunement à sauter le verrou de la limitation des mandats présidentiels. Les leaders musulmans se sont rendus compte par la suite de la fourberie et certains comme les responsables du CERFI et de l’AEEMB ont tenté de corriger le tir en se désolidarisant du porte-parole de la fédération des associations islamiques, le très controversé Souleymane Compaoré. Les catholiques et les autorités coutumières ont été plus vigilants. Ils n’ont pas eu tort car Blaise Compaoré va finir par laisser tomber les masques à Dori le 12 décembre 2013. A défaut du sénat pour « imposer ses choix », il va recourir à l’arbitrage du peuple par le référendum. L’argument avancé, c’est que les acteurs politiques n’arrivent pas à s’entendre. Or, bien avant, pendant et après le CCRP, cette question n’a jamais fait l’objet de consensus. L’argument est forcément fallacieux. Le fait d’avoir des avis divergents sur un article de la constitution peut-il servir de prétexte pour le soumettre à un référendum ? Dans ce cas, on en ferait tous les mois.
Pour son référendum, Blaise Compaoré ne compte pas non plus respecter la procédure qui l‘oblige à requérir le vote de l’Assemblée nationale. Pourquoi a-t-il peur de se conformer à l’article 163 de la constitution ? C’est simple. Malgré l’expression écrite de leur loyauté à son endroit, il n’a pas confiance aux 70 députés de son parti. Ce qui veut dire qu’il craint de ne pas avoir la majorité des voix des élus du peuple. Dans ce cas, il ne peut plus revendiquer d’avoir la majorité avec lui. Il devrait alors tirer toutes les conséquences, soit en dissolvant l’Assemblée pour solliciter une nouvelle majorité parlementaire soit en démissionnant lui-même pour permettre l’organisation de nouvelles élections présidentielle et législatives pour conférer une vraie légitimité aux institutions de la République. Mais comme Tandja en 2009, Blaise Compaoré veut passer par la force, quitte à se mettre à dos tout le monde.
Le temps des invectives
A l’âge primaire de la politique, Hegel disait : « Qui a la force a le droit ». Au 21è siècle, on se rend compte qu’un chef d’Etat d’une République qui se proclame démocratique peut épouser une telle philosophie du pouvoir. « Nous sommes là pour être vigilant avec notre peuple. Si vous êtes là, c’est pour dire avec moi que nous resterons ensemble vigilants ; parce que nous sommes majoritaires dans ce pays ; parce qu’il y a une grande majorité de Burkinabè qui sont pour la paix, pour la cohésion sociale de notre nation, qui sont pour le progrès continu du Burkina Faso et cette majorité va imposer le choix qui va nous indiquer qui va nous conduire sur le respect de ces engagements partagés par la majorité. » Par cette phrase lâchée à Réo le 10 mai dernier, le président Blaise Compaoré confirme ce que beaucoup de Burkinabè savaient déjà, à savoir que le processus démocratique sous son régime a atteint ses limites. Il ne compte pas quitter le pouvoir par la voie démocratique. Le message est clairement annoncé et envoyé à tous ceux qui se faisaient encore des illusions sur la capacité de Blaise Compaoré à s’inscrire dans le sens de l’histoire. Il montre par ses propos qu’il n’a pas beaucoup évolué.
Il est comme bloqué dans sa mentalité au temps du RDA quand ses dirigeants entonnaient : « on se soumet ou on se démet ». La démocratie suppose des règles de base sur lesquelles tout le monde s’accorde au départ. C’est le cas de la constitution. Elle est le consensus minimum de tous les acteurs de la vie nationale pour leur garantir l’exercice des libertés fondamentales et la jouissance de leurs droits. Quand une partie manifeste des velléités d’imposer ses choix, on sort du cadre démocratique. On entre dans une dictature institutionnalisée. Dans ce type de régimes, on peut effectivement changer les règles du jeu quand on veut et comme on veut parce qu’on croit avoir la force des armes. Le député Salam Dermé ne s’est donc pas trompé quand il a affirmé lors d’une rencontre avec les militants de son parti qu’ils ont l’argent et les armes avec eux pour imposer leur position. Il a simplement dit haut et fort ce que le vrai patron du CDP pense tout bas.
Abdoulaye Ly
MUTATIONS N° 53 du 15 mai 2014
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