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"Adossa" des Tem, une manifestation culturelle et une séance de défoulement
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- Title
- "Adossa" des Tem, une manifestation culturelle et une séance de défoulement
- Creator
- Jean Ayi
- Publisher
- Togo-Presse
- Date
- April 16, 1973
- Abstract
- Comment organiser un festival qui soit à la fois une manifestation de la culture populaire en même temps qu’une séance de défoulement collectif, permettant à la violence qui constitue la seconde nature de l’homme, de se libérer ? Comment surtout organiser un tel festival sans que la vie de tous les jours en soit perturbée ?
- Page(s)
- 1
- 4
- number of pages
- 2
- Language
- Français
- Contributor
- Frédérick Madore
- Identifier
- iwac-article-0006393
- content
-
Comment organiser un festival qui soit à la fois une manifestation de la culture populaire en même temps qu’une séance de défoulement collectif, permettant à la violence qui constitue la seconde nature de l’homme, de se libérer ? Comment surtout organiser un tel festival sans que la vie de tous les jours en soit perturbée ?
Le peuple Tem détient le secret d’un tel tour de force. A une époque où le recours à l’authenticité bat son plein, une telle performance mérite considérablement, et surtout, que l’ont rende tout d’abord à ce peuple, son appellation d’origine pour lui reprendre ce sobriquet de « Kotokoli » — celui qui reprend d’une main ce qu’il donne de l’autre — que lui avaient donné les peuples venus l'islamiser.
Donc les « Tem » viennent de célébrer le festival Adossa. Les festivités, étalées sur trois jours ont commencé vendredi, pour ne prendre fin qu'hier, avec comme clou, la < danse des couteaux ». C’était samedi après-midi. Tout le monde s'était donné rendez-vous au stade municipal. Chacun avait devoir de se munir de didats au suicide », des couteaux, de coupe-coupe, de yatagans, de tout ce qui coupe. Et pendant deux heures d’horloge, sous un ciel de plomb et devant une assistance médusée au premier rang de laquelle M. Frédéric Dermane Ali, ministre de l’Information, l'on s'est évertué à simuler le geste de vouloir s'ouvrir le ventre et de se couper la gorge. La règle principale du jeu : s'y prendre avec le bon côté du couteau, c'est-à-dire le dos. Et ensuite, ne pas s'exercer sur autrui. On pouvait prendre toutes les libertés avec son propre corps.
La plupart de ces « canjeuncs, des vieux, certaines femmes et jeunes filles, avaient le torse nu, tenue de combat par excellence. Certains jeunes gens avaient exprimé leurs violences refoulées en se faisant tresser les cheveux, à la mode féminine, pour signifier qu'ils rompaient avec l'ordre établi. D'autres s'étaient mis une robe, par-dessus pantalon. Le monde à l’envers en somme.
Pourtant, l’heure venue tous ces couteaux ont disparu comme ils étaient venus, sans qu'une goutte de sang soit versée, sans qu'une bagarre toujours possible dans de telles conditions éclate. L'explosion de violence avait été parfaitement contrôlée. C’est une performance de plus à mettre à l'actif des Tem qui ont donné par là, la preuve d'une auto-discipline extraordinaire.
Bien évidemment, il y a eu d'autres danses. Des groupes folkloriques avaient accueilli les différentes délégations qui ont commencé à débarquer dès vendredi, à la gare routière. De plus il n'a pas été rare d'assister, pendant ces trois jours, au détour d'une rue, ou sur une place publique, à des exhibitions gratuites. Toutes les spécialités de la chorégraphie traditionnelle Tem ont été ainsi données en pâture, aux spectateurs.
Il y a eu également prières à la Grande Mosquée nous sommes ici en pays musulman — il y a eu football, parade de chevaux, et conseil des anciens, présidé par le chef supérieur des Tem Issifou Ayéva.
Mais « Adossa 73 » fera date grâce à un événement exceptionnel avec lequel il a coïncidé : les funérailles du feu Ouro Kéfia Assoumanou, chef du village de Tchalo, à 6 kilomètres au Sud de Sokodé. Le vieil Assoumanou était mort il y a un an. La légende fait remonter sa naissance à l’an 1817, ce qui lui faisait 155 ans au moins. La coutume ayant cours dans la tribu exige qu’avant la désignation d’un nouveau chef, l’on organise la cérémonie du « cheval dépecé vivant » Cette cérémonie d'une violence inouïe et à laquelle il n'est pas conseillé d'assister lorsqu'on n'a pas le cœur bien accroché, a eu lieu samedi en fin d'après-midi.
Un des fils du défunt chef arrive dans le village, montant un poney, et entouré d’une horde vociférante d'hommes et de femmes. La horde exécute trois tours du village. Au troisième tour, le prince descend de sa monture. On entrave les pieds de la bête et un individu l'attaque d’un coup de coupe-coupe sur le cou. Un autre individu lui tranche le jerret, l'animal titube. Un troisième lui ouvre le flanc d'où jaillit les boyaux, éclaboussant les notables, assis au bord de la rue principale du village.
Maintenant, la bête agonise. Le premier individu ne doit plus être dans son état normal. Il a les yeux tout aussi révulsés et injectés de sang que le poney quand il a compris ce qui se préparait. Il plonge la main dans le flanc béant de l'animal, y sort des boyaux dans lesquels il mord à belles dents. Puis il s'acharne sur la tête qu'il sectionne complètement.
Trêve de violence ! Un peu d'air frais ? Non.
Les coups de machette pleuvent toujours. Le premier individu a empoigné maintenant la tête à bras-le-corps, et va la déposer au pied d'un piquet de près de deux mètres de haut, au bout duquels est suspendue une marmite. De la marmite, hemerge... un crâne humain. « Oh lui, il était mort de sa plus belle mort » nous a-t-on assuré.
La marmite est supposée contenir une décoction capable de vous envoyer nd patres si vous en recevez, ne serait-ce que quelques gouttes sur la peau.
Mais voilà qu’un autre individu s’approche de la marmite, prend le liquide avec le crâne, en boit, et pose aux nombreux photographes, comme s’il savourait une victoire.
Lorsqu’on pose la question de la signification profonde de cette cérémonie, on se heurte inexplicablement à un mur de silence, de la part des notables. Cela n'est pas sans accréditer certains racontars qui font de Tchalo un des hauts lieux de la magie noire au Togo, racontars qui ont la vie d'autant plus dure que, dans cette région islamisée à 90%, Tchalo est resté farouchement animiste.
Une explication plus plausible cependant. Un notable a admis timidement que c'était pour éviter les épidémies et les autres maux, dont le dieu du mauvais sort se plaît à accabler le genre humain.
En d'autres termes, tout cela pour dire à ce dieu trublion : « Eh bien ! Toi qui te plais à nous accabler, toi qui raffoles de spectacles sanglante, qui fait périr la mère en couche, force la veuve à abandonner l'orphelin, et torture de tout un village par la soif ou par l'épidémie toi qui te repais de spectacles que réprouve la morale humaine, te voilà gavé. Nous avons massacré pour ton plaisir cette bête sans défense. Sois rassasié du spectacle de son sang éclaboussant tout le monde. Et maintenant laisse nous en paix ».
Riche en symboles, le festival Tem l'aura été jusque dans ses moindres détails. Sans doute que par l'ampleur des orgies auxquelles il a donné lieu et la « soupape de sûreté » qu'il constitue Bacchanales et les Saturnales romaines sont tout désignées pour être ces antécédentes.