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Société : les barons de la mendicité
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Burkina Faso
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- Title
- Société : les barons de la mendicité
- Creator
- Jack Koné
- Publisher
- Le Pays
- Date
- May 14, 1996
- Abstract
- Soucieux de leur avenir de leur devenir, les Burkinabè sont si habitués à faire l'aumône à telle enseigne que le geste de générosité intéressé ou désintéressé de chaque jour est devenu une coutume, une routine presque machinale à chaque coin de rue ou aux alentours des mosquées.
- Language
- Français
- Source
- Le Pays
- Contributor
- Frédérick Madore
- Identifier
- iwac-article-0003835
- content
-
Soucieux de leur avenir de leur devenir, les Burkinabè sont si habitués à faire l'aumône à telle enseigne que le geste de générosité intéressé ou désintéressé de chaque jour est devenu une coutume, une routine presque machinale à chaque coin de rue ou aux alentours des mosquées.
A force de recevoir, les bénéficiaires, de nos jours, ne tiennent presque plus compte de l'acte du bienfaiteur, mais plutôt de la valeur de celui-ci. Et pour cause ! Ils caressent, comme tout le monde, le rêve d'être rapidement riches. C'est peut-être pourquoi des poulets, pintades, boucs, moutons, voire boeufs de sacrifice sont presqu'aussitôt monnayés en espèces sonnantes et trébuchantes chez le vendeur de volaille d'à côté ou négociés plus tard dans un parc à bétail.
Si les villes où foisonnent les mendiants devaient être classées par ordre d'importance, il n'y a nul doute que Ouagadougou aurait occupé une place de choix dans ce hit-parade peu honorable, tant notre capitale est bondée de cette catégorie de “bouches supplémentaires à nourrir".
Bien entendu, il y a mendiant et mendiant et il ne viendra jamais à l'esprit d'un individu sensé de pointer un doigt accusateur sur ces vrais nécessiteux fauchés par la pauvreté et l'oisiveté et qui prient le ciel, les larmes aux yeux, pour avoir leur pitance quotidienne à portée de bouche. Le malheur vient de douteux individus avides de gains et qui se sont mêlés à la danse, jetant le discrédit sur “la profession”.
Il est de notoriété publique de nos jours que la mendicité, au grand dam des autorités et même de tout le monde, s'est érigée en véritable métier, en mine d'or tout aussi lucratif sinon plus que de nombreuses professions enviables.
Bansé Seydou est un mendiant professionnel devant la grande mosquée depuis de très longues années. La plus grande discrétion règne sur les dons qu'on lui fait et l'homme vit sa vie modestement depuis toujours, et sans éclat. Seulement voilà. Le sort en a décidé autrement ce 18 avril aux environs de 18h00. Ce sont les cris et hurlements de douleur de sa deuxième épouse (il en a deux) qui vont révéler à une partie du quartier Kalgondin que Bansé, le mendiant, n'était pas le pauvre type pour qui il se faisait passer.
Maïmouna, la première femme, était allée, en vendeuse de légumes de son état au marché de Wemtenga, vaquer à ses occupations commerciales, Fati, la seconde épouse, selon la décision du mari mendiant, commise aux travaux domestiques, avait la garde du logis. Ce 18 avril 1996 donc elle s'est rendue à la Patte d'Oie pour passer quelques heures avec sa copine. Le malheur est arrivé après elle. Le constat à son retour en dit long : porte fracturée, malles cassées et béantes. Le masque patibulaire du mari, à “sa descente de travail”, est d'une éloquence sans équivoque dès qu'à son tour il a constaté les dégâts. S'ensuit une bastonnade mémorable et les éclats de voix et beuglements d'écorchés vifs montèrent dans la nuit de ce jeudi.
Une escroquerie qui rapporte gros
C'est au cours de cet exercice énergique que le mendiant, certainement sans se rendre compte, a révélé qu'il venait de perdre toute sa fortune : 1.200.000 F CFA. La surprise et l'étonnement de tout le monde accouru (y comprit ses deux épouses) étaient totaux. Qui l'eût cru ? Tant d'argent en possession d'un tel homme qui, pourtant, imposait très souvent le jeûne à sa famille. Injures et manifestations de colère de pleuvoir sur l'infortuné et chacun de lui souhaiter des malheurs pires encore.
Pourtant, Bansé Sékou n'est pas le seul cas de mendiant dans l'opulence et qui se plaît et se complaît dans cette odieuse façon de “se sucrer” sur le dos de compatriotes certes généreux mais Incrédules.
On cite le cas de cet autre mendiant des abords de la mosquée centrale, grand propriétaire terrien de 3 concessions à Tampouy, aménagées en “célibatériums”, et qui n'en continue pas moins de tendre la sébile à son prochain. “Mendiant international”, il aurait exercé à Abidjan, en Côte d'Ivoire, avant de prendre le chemin de la patrie une fois riche, mais surtout à cause de son âge avancé. Pour ne pas vivre en solitaire et l'habitude faisant, il a repris son métier au pays.
Les mères de famille, elles aussi, ne sont pas en reste. Certaines d'entre elles, attirées par l'appât du gain facile, “empruntent”, à leurs parents ou voisines, des enfants qu'elles font passer pour des jumeaux ou jumelles, sillonnent la ville avec eux à la recherche d'argent. Les recettes sont loin d'être maigres et le soir, au moment du partage, chacun y a son compte : les parents d'enfants et la femme escroc.
Car, il faut le dire, certaines façons de mendier ont tout de l'escroquerie. Une escroquerie qui rapporte gros. Elle rapporte si bien que des membres d'une certaine ethnie n'ont rien trouvé de mieux que de se rendre aveugles après une toilette dans un point d'eau de leur province qui a la propriété de provoquer une cécité pour un délai limité, délai choisi par l'intéressé qui, après avoir été rendu aveugle, se fait guider par un jeune enfant et démarre sa carrière de mendiant professionnel.
Au terme de la période impartie, il s'en va s'acquitter de la promesse faite à la source et recouvre la vue. Vrai ou faux ? Allez savoir ! Pour revenir sur terre, le maire central de la ville de Ouagadougou, dans un souci “d'assainir" la cité et de trouver une solution au problème, avait ébauché une tentative salutaire. Même s'il s'est trouvé en face d'un mur épais d'incompréhension et d'opprobe, il ne fallait pas s'arrêter en si bon chemin.
Ouagadougou doit absolument être débarrassé de cette “gangrène”, de ces ténias accrochés aux basques et aux viscères des citoyens, Et cela, dans l'intérêt de toute société, c'est-à-dire du contribuable.
Jack KONE