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L'histoire de la vendeuse de bouillie d'Allah
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- Title
- L'histoire de la vendeuse de bouillie d'Allah
- Creator
- Aimé Mouor Kambire
- Publisher
- Sidwaya
- Date
- March 11, 2010
- Abstract
- Elle voulait profiter du carême musulman pour faire des affaires. Elle était sans doute un peu gourmande et s'est retrouvée avec un surplus de produits dans les bras. C'est le début d'une longue et belle histoire d'une femme de foyer qui va de la débrouille manuelle à l'innovation attestée.
- Language
- Français
- Contributor
- Frédérick Madore
- Identifier
- iwac-article-0000809
- content
-
Elle voulait profiter du carême musulman pour faire des affaires. Elle était sans doute un peu gourmande et s'est retrouvée avec un surplus de produits dans les bras. C'est le début d'une longue et belle histoire d'une femme de foyer qui va de la débrouille manuelle à l'innovation attestée.
Le regard est direct, les lèvres épaissies formant avec un nez nègre un visage si ordinaire qu'il devient difficile à définir. C'est Asséto Traoré, née à l'hôpital Yalgado il y a une cinquantaine d'années. Son physique imposant, 1m76 pour 120 kg, est légèrement déformé par trois accidents ; ce qui l'empêche de tenir débout pendant une heure de temps. Mais elle est loin de se sentir handicapée. Même avec une jambe cassée, elle réussit à satisfaire une commande.
Asséto s'est investie dans la préparation de la bouillie alourdie de galettes à partir de 1989. En période de jeûne musulman, ce business prend de l'importance. Consciente, elle s'est toujours ménagée pour profiter de ces moments de grâce. Mais en1993, elle s'est tant et si bien préparée, qu'elle a produit trop de grumeaux (farine réduite en boulettes) qui n'ont pas été entièrement utilisés. Toute désespérée, elle les a séchés au soleil pour la première fois de sa vie. Elle a hésité avant de les utiliser. Elle s'est alors rendu compte que « c'était aussi bien » que les grumeaux fraîchement préparés.
Elle en donne alors à ses amis qui le lui en demandent davantage. Quand on encourage Asséto, elle se sent pousser à l'avant. « C'est à partir de là que les gens ont commencé à me solliciter pour que je leur offre des grumeaux séchés », se rappelle-t-elle. Le dieu du sahel, le soleil de toujours venait ainsi d'accomplir des miracles et pas seulement des mirages.
Les grumeaux se sont vite retrouvés en Allemagne permettant à certains nostalgiques de consommer de la bouillie telle qu'ils en rêvaient. Ces derniers ont appelé Asséto pour la féliciter. Quand on encourage Asséto, elle se sent boostée.
Elle s'est alors investie dans les grumeaux, découvrant que les grumeaux à eux seuls étaient plus rentables et leur préparation moins éreintante que la bouillie. La vendeuse de bouillie était devenue vendeuse de grumeaux. Au début de cette nouvelle activité, elle mettait ses produits dans un panier et sillonnait les services de la place pour les écouler. « Certains se demandaient s'il s'agissait de l'engrais », se souvient-elle.
Les consommateurs en Allemagne lui ont donné le courage de poursuivre, toutefois la première commande à hauteur de 150 mille francs, est venue des Etats-Unis en 1998. C'était la première fois qu'elle allait empocher 150 mille, elle, vendeuse de bouillie. Son mari qui avait perdu son emploi une année plus tôt, avait épuisé ses économies et cette commande tombait si bien.
Asséto a travaillé seule, 24h sur 24 pendant trois jours pour satisfaire cette commande. L'histoire de la bouillie 89 était bien loin derrière et Asséto, tout en poursuivant avec les grumeaux, a essayé le dèguê séché, elle vendait aussi de la farine de maïs. Elle-même tenté de vendre de l'attièkè en face de ce qui est devenu le Centre médical de Pissy. C'est que son mari, un comptable de profession, avait perdu son travail en 1997. Elle devait savoir se débrouiller.
Mais la vente de la farine et tout ce qu'elle entreprenait, « ça ne marchait pas et je n'avais rien pour faire de la publicité », confie Asséto. Elle est allée expliquer ses difficultés à Sidnaaba, animateur d'une radio privée de la place qui l'a poussée à trouver d'abord un magasin où stocker la farine. Cet animateur magnanime a ensuite parlé des produits de Asséto à l'antenne. « Quand il a fait la publicité, je n'avais plus le temps ». Les consommateurs trouvaient que tous les produits proposés : bouillie, déguè séchés et grumeaux étaient « super ».
Et quand il fallait trouver un nom à l'établissement qu'elle allait créer, « l'enfant du grand frère de mon mari », le neveu donc de Asséto, a proposé « Etablissement tout super », un nom devenu populaire et qui cohabite avec le non officiel « Etablissement Faso Balo ».
L'innovation fait la différence
Entre-temps, elle a été retenue pour proposer un menu à l'émission de Flore Yaméogo « Bien manger mieux vivre ». sur la télévision publique. Elle a ainsi été aidée pour la deuxième fois par les médias, mais la publicité a fait naître des concurrents et beaucoup de femmes ont commencé à faire des grumeaux séchés, d'autant plus que toutes les femmes ou presque du Burkina connaissent la technique de préparation.
« Ca m'a poussée à faire des recherches sur les céréales. Je savais que les Blancs font des spaghettis et d'autres choses avec du blé et je me demandais si je ne pouvais pas faire la même chose avec du mil, du maïs ou du fonio », dit-elle.
Son travail de recherche a abouti à des spaghettis de maïs, spaghettis de petit mil, vermicelles de riz ; des innovations récompensées par des prix, notamment au Forum de la recherche scientifique et des innovations technologiques (FRSIT-2008). Dans un maquis non loin de chez le Mogho Naaba, le chef suprême de mossi, elle propose des plats locaux améliorés aux clients. Elle a « tout essayé, tout mélangé pour voir ».
Aujourd'hui certains de ses menus, les vermicelles de riz par exemple, ne s'obtiennent que sur commande. Son premier prix, en 2005 lui a été décerné au cours des Journées agroalimentaires, pour ses vermicelles de riz.
Mais Asséto Traoré, la native de Garango avait libéré son génie créateur, qui au-delà des céréales va lui permettre d'innover dans plusieurs autres compartiments de l'alimentaire. Elle signe les « jus de fruit aller retour », les sauces rapides, le gnongon surprise...
Le président malien Amadou Toumani Touré, ira en personne saluer cette brave dame pour ses brochettes de soja, c'était au Salon international de l'invention et de l'innovation technologique organisé par l'Organisation africaine de la propriété intellectuelle (OAPI) à Bamako en 2009.
Asséto l'a trouvé « sympa ». Elle se souvient encore de ce jour : « le président (malien) a apprécié mes brochettes et a félicité le Burkina en gros en disant qu'on était un peu avancé dans ce domaine ». Ce n'était pas la première fois que la vendeuse de bouillie se rendait hors de son pays.
Elle a participé dans la même année au Salon international de l'artisanat pour les femmes (SAFEM) au Niger, la foire ivoiro-burkinabè à Abidjan. Entre-temps, avec Afrique verte, une ONG partenaire des femmes, elle s'est rendue au Ghana pour s'acheter des emballages. Une année auparavant, elle s'était rendue à Conakry pour participer à un atelier sur le fonio. « J'y avais présenté des spaghettis de fonio, du déguè séché et bien d'autres. Les guinéennes étaient épatées et ont demandé que je les forme », dit-elle, toute heureuse.
Dans son parcours, elle a formé de nombreuses femmes du Burkina et de la sous-région. Amina Diafourou de l'union Digabédjè (femmes battantes) Niamey, Abdou Dijé de Mata Masu Kuzari (Zinder), Salaou Safia de l'union Nima Mba (Kolo) présentent à la dernière éditions des JAAL, ont appris de Asséta Traoré à faire du couscous et du macaroni à base de céréales locales, sans oublier les fameux grumeaux.
Ces anciens élèves de Asséto ont pu décrocher un prix aux JAAL 2009. Une vingtaine de femmes togolaises sont venues visiter l'unité de production de Asséto et certaines ouagalaises se font former à titre individuel ou en association.
Désormais Asséto voyage, forme ses camarades et décroche des marchés de produits transformés ou de service traiteur. Elle a servi le cocktail d'ouverture des journées agroalimentaires 2009. Nous l'avons encore retrouvée au siège du Conseil régional du Centre en train de servir les participants à un rencontre de l'Unité de gestion technique du Programme d'appui aux initiatives pour la sécurité alimentaire au Burkina (PAISA).
Elle souhaite construire son unité de production, mais manque de moyens pour s'offrir la parcelle. Elle ne veut pas parler des problèmes familiaux qui engloutissent ce qu'elle récolte, elle préfère demander toute bonne volonté à travailler avec elle, selon des conditions profitables à tous. « On ne peut pas réussir en étant à la maison », c'est-à-dire, en travaillant à domicile, a-t-elle dit.
Elle est membre du Réseau des transformatrices de céréales du Faso (RTCF), à ce titre elle partage les commandes quand elle ne peut les satisfaire seule. Même associée, il arrive qu'elle soit incapable de fournir les produits dans les délais, c'est le cas en 2008 lorsqu'elle avait eu une commande américaine de 9 tonnes en pleine saison pluvieuse avec un délai de livraison de deux mois ; très limité pour elle et ses camarades. Pour s'équiper, elle a pu acquérir un moulin, et souhaite maintenant un séchoir à gaz.
Mais pour sauvegarder la qualité de ses marchandises « tout super », elle ne veut pas mécaniser à outrance son travail, car à l'essai, certains produits perdent leur goût dans les machines. Son « entreprise individuelle » emploie quatre femmes, souvent sept quand il y a des grosses commandes. Son propre enfant l'aide et très souvent, elle se jette dans le social, employant des veuves et des orphelins.
A ce propos elle en appelle aux « bonnes volontés » qui peuvent l'aider à agrandir son unité afin de mieux valoriser davantage les céréales locales et aider ses « soeurs et enfants en difficulté ». Elle espère secrètement que les autorités lui viendront en aide dans ce sens.
« Si les autorités savent ce que je fais, elles ne vont pas me laisser », dit-elle. Malgré ces nombreuses attestations de mérite, Asséto n'a pas encore reçu de décoration de la part de l'Etat. Elle ne se plaint pas outre mesure. « ça me permet de m'occuper de ma famille, de payer les études de mes enfants (trois dont un au Sénégal).
Celles qui travaillent avec moi en bénéficient aussi puis que ce sont des veuves sans soutien. Quand on a une grande commande, il y a des orphelins qui sont dans le quartier je récupère et ils travaillent avec moi. Ils gagnent leur pain aussi ». Asséto ne s'explique pas son enclin à la transformation alimentaire.
Mais on sait que sa mère vendait déjà de la nourriture à Larlé au secteur 10 de Ouagadougou et que petite, elle piquait des légumes qu'elle préparait chez les voisins dans l'espoir de trouver des gens pour l'apprécier. Elle n'était pas forcément douée à l'école. Après le certificat d'études primaires et une année de secrétariat, elle a raccroché. Au moins dans la cuisine elle recevait des félicitations.
Elle ne s'explique pas non plus le succès qu'elle a déjà enregistré. On sait à ce niveau aussi qu'elle a une conception de vie d'une battante et une vision commerciale réaliste. Pour elle, « il ne faut pas croiser les bras et attendre l'homme » ou encore « il faut se battre pour avoir pour soi ». C'est pour cela qu'elle faisait du commerce alors que son mari pourvoyait entièrement aux besoins de la famille. Ensuite elle dit avoir un coeur, un gros coeur en réalité, qui ne tolère pas la mendicité.
Dans les cas où elle manque d'argent elle préfère « mentir », trouver un prétexte pour prendre l'argent sans jamais avouer qu'elle n'a rien, ce qui l'oblige à rembourser au plus vite pour ne pas être découverte. Dans le business, la tenacité de Asséto faire dire qu'elle regarde l'argent d'autrui comme le sien en devenir. « Je n'aime pas qu'on parte avec mon argent », dit-elle pour parler de ce qu'elle est capable de faire pour ne pas louper un marché.
Ainsi, le 31 décembre 2001, alors qu'elle se rendait chez un client pour récupérer son dû, elle fut victime d'un accident lui ayant fracturé l'os de la jambe, au niveau de la cheville. Elle opta pour un traitement indigène qui lui permet de rester à la maison et de satisfaire une commande de 200 mille francs qui venait de tomber. A l'époque, se souvient-elle, elle avait un stock important de produits finis sans preneurs.
Pour nourrir sa famille, se soigner et payer les femmes qu'elle emploie, elle sortait en béquilles pour vendre les grumeaux dans les services, un mois après son accident. Elle croyait se battre lorsque l'employée d'une banque agricole lui a fait savoir qu'elle aimait trop l'argent en travaillant dans cet état.
Elle dit garder un vif souvenir de ces propos qui l'ont fait pleurer pendant trente minutes. Mais cela n'a pas affecté sa détermination pour autant. Le 20 novembre 2009, elle est encore victime d'un accident domestique qui lui ouvre littéralement le dos au Ghana. Deux jours après, elle revient à Ouagadougou en position courbée, mais accepte de poursuivre au Mali après seulement un jour de repos.
Après le Mali, c'était au tour du Salon international de l'artisanat pour femmes (SAFEM) au Niger. Pour elle, « quand on a personne qui vous donne, et que vous ne voulez pas demander, vous êtes capable de tout ». Asséto a été capable de se battre au milieu des petits voleurs et autres trafiquants de la gare pour gagner de quoi nourrir sa famille.
Aujourd'hui, c'est une femme émancipée grâce à son travail. Son mari, Ousmane Traoré rassure en effet que son épouse « a sa liberté, elle participe aux réunions, elle voyage. Nous nous sommes mariés il y a près de 30 ans. Je ne vois pas pourquoi la bloquer. Ce qu'elle gagne lui revient c'est vrai mais moi j'en profite aussi.
Si je n'ai pas d'essence, elle m'en donne, donc je suis fier de ma femme ». Pour la transformatrice, cela s'explique. « Il se rend compte que ce que je fais mérite qu'il me laisse la liberté et qu'il me soutienne », dit-elle en parlant de son mari.
Mais la fière dame est cependant obéissante au machisme, ou du moins, reste africaine. Elle soutient que la femme capable de s'occuper financièrement de la famille, doit néanmoins « couvrir » son mari et lui laisser sa place d'homme dans le foyer.
Bien d'autres figures anonymes comme Asséto sont des femmes burkinabè qui tiennent tête à la pauvreté, qui renversent la vapeur pour un lendemain meilleur. Mais souvent sur leur chemin, elles n'y vont pas vraiment loin, obligées qu'elles se disent, de remorquer ceux et celles qui cherchent encore leurs voies.