o:id 77094 url https://islam.zmo.de/s/westafrica/item/77094 o:resource_template Newspaper article o:resource_class bibo:Article dcterms:title Pr Barthélémy Kotchy fustige le peuple de prière à l'Assemblée nationale : "On veut utiliser la mystique pour amener la majorité à la pensée unique" dcterms:publisher https://islam.zmo.de/s/westafrica/item-set/57943 Le Jour dcterms:contributor https://islam.zmo.de/s/westafrica/item/858 Frédérick Madore dcterms:date 2002-06-05 dcterms:type https://islam.zmo.de/s/westafrica/item/67396 Article de presse dcterms:identifier iwac-article-0012012 dcterms:source https://islam.zmo.de/s/westafrica/item/821 Centre de Recherche et d'Action pour la Paix dcterms:language https://islam.zmo.de/s/westafrica/item/8355 Français dcterms:rights In Copyright - Educational Use Permitted bibo:content INTRODUCTION DE LA BIBLE À L'ASSEMBLÉE NATIONALE "UN RISQUE DE GUERRE RELIGIEUSE" selon le Pr BARTHÉLÉMY KOTCHY La création d'une assemblée de prière au sein de l'hémicycle par des parlementaires ne fait pas l'unanimité au sein de la population. Des voix continuent de s'élever pour dénoncer le projet. Pr Barthélémy Kotchy, universitaire et militant du Front populaire ivoirien (FPI) fait partie de ceux qui désapprouvent l'introduction de la Bible au parlement. --- Page 2 --- P Barthélémy Kotchy fustige le peuple de prière à l'Assemblée nationale "On veut utiliser la mystique pour amener la majorité à la pensée unique" La création d'une assemblée de prière au sein de l'hémicycle par des parlementaires ne fait pas l'unanimité au sein de la population. Des voix continuent de s'élever pour dénoncer le projet. Pr Barthélémy Kotchy, universitaire et militant du Front populaire ivoirien (FPI) fait partie de ceux qui désapprouvent l'introduction de la Bible au parlement. Introduction -Le Jour- des 25 et 26 mai 2002, N°2135, titre à la page 3 -La Bible introduite à l'hémicycle-. Il s'est en effet constitué un groupe dénommé «Alliance parlementaire pour la prière» (APP). Aussi, le député de Yopougon, Edmond William Attébi, face à la presse explique-t-il: «Il s'agit de confier toutes les activités de l'Assemblée nationale et l'évolution de la nation ivoirienne dans son ensemble à la miséricorde de Dieu... Pour nous, plus on crée ce genre d'occasion, plus les barrières politiques s'estompent». Et le journaliste précise un peu plus loin: «L'APP qui se réunit chaque mardi à la salle de fête de l'Assemblée nationale envisage ainsi «institutionnaliser» un petit déjeuner «de prière annuelle pour la Côte d'Ivoire». D'où vient donc cette furie de religiosité qui s'empare de presque toutes les couches sociales et désagrège comme un véritable mal qui répand la terreur, en sapant avec des sectes qui poussent partout comme des champignons, les bases des grandes religions chrétiennes telles que: la catholique et le protestante? Comment expliquer ce phénomène qui annihile même chez certains universitaires tout esprit scientifique et critique, et tend à envahir, si ce n'est déjà fait, les espaces de l'Etat laïc? Que devient alors la laïcité de la République ? I- L'origine fondamentale de la religiosité Déjà vers la fin des années 1970 nous assistions à l'avènement de la crise économique que l'on désignait, par euphémisme, la «conjoncture». Ce désastre fouetta si cruellement la Côte d'Ivoire que le gouvernement d'alors renonça unilatéralement à payer ses dettes extérieures et refusa de vendre les produits de rente. Cette période de crise risquait de plonger davantage l'économie ivoirienne déja fragilisée. heureusement que le président se ravisa et se résolut à vendre au plus bas prix ses produits: café el cacao. Vers la fin des années 1980, la crise ne fit qu'accroître. La pauvreté aussi. Les Ivoiriens n'arrivaient plus à boucler le budget mensuel. Les paysans étaient réduits à la misère, perdant, alors tout ce qui pouvait ennoblir l'homme. Ainsi, comme le disent si bien les marxistes, «c'est l'économie qui, en dernier ressort, détermine tout». La crise économique provoque alors la crise socio-politique et morale. On voit dès lors la prolifération des sectes. Les Eburnéens, presque dans leur ensemble: analphabètes, lettrés, universitaires, ne faisant plus confiance à la raison, à l'esprit critique, se laissent emporter par l'imaginaire, par toute acrobatie mystique. Ils se font alors abuser aisément à tout venant par des faux-monnayeurs, par des soi-disant pasteurs, qui ont vite fait de s'auto-proclamer prophètes. Ils se livrent donc à l'interprétation de la Bible qu'ils maitrisent à peine, ayant souvent un niveau de culture bien approximatif. Qu'importe ! Le peuple comme la nouvelle bourgeoisie se laisse appâter par ces pseudo-prophètes avides de prébendes. L'un et l'autre sont à la recherche de l'argent ou de la gloire facile, sans coup férir. Ces séducteurs, se rendant compte de la naïveté de la majorité des Ivoiriens, surtout des femmes qui entraînent leur époux dans cette galère, multiplient leurs oeuvres de duperie et sont souvent les artisans des malheurs qui arrivent à la nation par leurs fausses prophéties. Aujourd'hui, ces pasteurs du siècle investissent les espaces de culture tels que les anciens théâtres (théâtre de la cité de Cocody), théâtre du Centre culturel de Treichville et les salles de cinéma des quartiers périphériques. C'est dans ces lieux qu'ils escroquent le peuple, en lui vendant à prix d'or des objets de peu de valeur tels que l'eau, la bougie. En ces lieux donc, on chante, on danse, on prie. Désormais on prie partout, même au sein des espaces universitaires. La prière est devenue le remède suprême de tous les maux; la source de la fortune; en un mot du bonheur. N'est-ce pas dans cette optique qu'il faut situer la création de l'Alliance parlementaire de la prière? Que signifie alors cette religiosité? II- Explication La prière telle que se profile appelle de notre part trois instances de réflexion: 1- la prière comme facteur de diversion 2- la prière comme moyen de recherche d'unanimité 3- la prière comme phénomène de fracture sociale 2-1.1 La prière, facteur de divertissement Il importe de s'entendre tout de suite: je ne suis nullement contre le fait que certains députés, en tant que croyants, se regroupent pour former une communauté de prière pour aller implorer Dieu à l'Eglise, au Temple, à la Mosquée. D'ailleurs, le problème de la foi est avant tout une affaire privée. Et la prière est un acte de concrétisation de la foi. C'est à juste titre que Polyeucte s'écrie: «Une foi qui n'agit pas est-elle une foi sincère ?» Je me rappelle d'ailleurs ce beau passage du cantique de ma jeunesse: «prier c'est le bonheur !» Mais, que les députés se regroupent pour prier à l'Assemblée nationale, est un acte de divertissement, au sens pascalien du terme; car le rôle qui leur est assigné par le peuple n'est pas celui de la prière. Ils ont été élus pour aller légiférer au nom de ce peuple en vue de rechercher les voies et moyens pour améliorer son sort misérable. Tout le reste n'est que mystification. Cela peut être une façon de vouloir noyauter les députés qui ne partagent pas les mêmes opinions que ce groupe de prière, ou même de détourner certains de ce groupe de prière de leurs opinions politiques. C'est même plus grave: on veut utiliser la mystique pour anesthésier la capacité de réflexion et amener la majorité à la pensée unique. Le Pr Barthélémy Kotchy. 2-2 La prière, phénomène de recherche de l'unanimité Cette association nous apparaît comme une voie d'accès à la pensée unique. Surtout, lorsque le porte-parole, M. Attébi, affirme: «C'est une organisation qui permet de rapprocher les parlementaires... Et pour nous, plus on crée ce genre d'occasions, plus les barrières politiques s'estompent». Nous voilà bien sur la piste de la pensée unique; du parti unique! A quoi auront servi ces dures années de luttes pour conquérir le multipartisme, afin d'accéder à la démocratie vraie. Je sais que la plupart de ceux qui prônent la démocratie ne supportent pas les débats démocratiques. Et dès que les débats d'idées s'instaurent, ils vous traitent de fous. Cela, tout simplement soit parce qu'ils n'ont pas suffisamment de culture générale et de culture politique pour soutenir ce genre de joute d'esprit; soit parce qu'ils portent en eux des germes de dictateurs qui ne soufrent guère la contradiction. Or, pour qu'une nation progresse, il importe «que cent fleurs s'épanouissent» et «que cent écoles rivalisent», dira Mao Tsé Toung. C'est de la confrontation des opinions qu'émane le progrès scientifique, le progrès social. Donc sans démocratie vraie point de salut, point d'avenir pour un pays donné. Que les députés ivoiriens nous évitent les faux-fuyants en voulant embrigader les énergies salutaires par la prétendue prière. Et puis, cette association n'est-elle pas, à court ou à long terme, une source de division voire de guerres religieuses ? 2-2.1 Source de querelles religieuses En effet, aujourd'hui, ce sont les chrétiens qui se regroupent pour prier dans l'enceinte de l'Assemblée nationale. Demain, quand les musulmans vont vouloir poser le même acte, on va crier haraut sur le baudet. Et voilà une étincelle qui risque d'enflammer toute la maison. Il faut abandonner ce projet à risques inutiles. Les députés, surtout ceux des pays pauvres, ont trop à faire pour se livrer à ce jeu de divertissement et de division. Ils sont payés pour légiférer à l'Assemblée nationale, pour arpenter villes et campagnes, afin d'informer la population des lois votées; pour être à l'écoute de cette même population et l'aider par des conseils à améliorer son cadre de vie. Ils doivent se donner des moments de s'informer eux-mêmes sur les problèmes épineux de la nation; ils doivent chercher à se former davantage, afin de mieux participer aux débats et de se rendre plus utiles à la nation. Il y a des moments réservés à la prière, à l'église, au temple, à la mosquée et non à l'Assemblée. Il y a des ministres de Dieu chargés d'organiser les instances de prière et de prier pour la Côte d'Ivoire. Rendez donc à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu (Mathieu XXII,21) III- La laïcité de la République de Côte d'Ivoire C'est Jésus lui-même qui, le premier, a prôné la séparation de l'Eglise et de l'Etat par ces mots adressés à l'Empereur romain. Il fonda ainsi son Eglise distincte de l'Etat et posa le principe de la séparation des domaines spirituel et temporel. La Révolution de 1789, avec la Déclaration des Droits de l'Homme et du citoyen se montre certes tolérante, libérale, et après bien des péripéties, finit par instaurer avec l'école laïque, la séparation de l'Eglise et de l'Etat. Aussi, la Côte d'Ivoire, ancienne colonie française, s'est-elle faite héritière de ce principe qui fonde la nation moderne. C'est pourquoi en son article 30, Titre II intitulé «de l'Etat et de la Souveraineté» il est stipulé: «La République de Côte d'Ivoire est une et indivisible, laïque, démocratique et sociale». La laïcité signifie alors neutralité, indépendance de l'Etat par rapport à l'église et vice-versa. La laïcité, selon le dictionnaire Bordas «c'est la conception politique qui sépare la société civile de la société religieuse». C'est donc la séparation du spirituel et du temporel; ce qui implique que tous les lieux publics de l'Etat, notamment l'Assemblée nationale, la justice, la présidence ne doivent servir en aucun cas de lieux d'offices religieux. Partant, il importe de respecter à la lettre ce principe de la laïcité, minutieusement inscrit aux premières pages de la Constitution ivoirienne. Conclusion Si donc la prière est une bonne chose, puisqu'elle peut contribuer à l'épanouissement et à l'équilibre du croyant, il faut savoir la situer dans son contexte et la pratiquer au moment opportun et aux lieux qui lui sont assignés. Par ailleurs, si les députés veulent jouer pleinement leur rôle de représentants du peuple et de promoteurs des valeurs libératrices, ils doivent plutôt aider la population à bien se nourrir, se soigner, se vêtir, se loger, à scolariser ses enfants. «Primum vivere deinde orare» pour paraphraser le philosophe. Il faut d'abord donner aux masses les moyens tangibles de vivre décemment avant de les conduire à la prière. Et puis, les voies de la prière ne sont pas univoques. Et Roger Garaudy a raison qui écrit: «La Bible, les évangiles, le Coran, les Sutras bouddistes, ou les Upanishads, sont la même «parole» exprimée à travers des cultures différentes qui l'évoquent avec des images et des symboles différents (-les Fossoyeurs»). Puissent les députés de la nation éviter de s'engager dans la voie étroite des fossoyeurs et opter pour la tolérance et la démocratie, en respectant la laïcité de l'Etat. Professeur Barthélémy Kotchy bibo:numPages 2 bibo:pages 1 2 bibo:shortDescription Le texte critique vivement l'établissement d'une assemblée de prière et l'introduction de la Bible à l'Assemblée nationale ivoirienne par l'«Alliance parlementaire pour la prière». Le professeur Barthélémy Kotchy dénonce cette initiative comme un risque de guerre religieuse, une diversion des missions législatives des députés et une menace pour la laïcité de l'État et la démocratie. Il insiste sur le respect de la Constitution ivoirienne qui garantit la laïcité et exhorte les parlementaires à se concentrer sur l'amélioration des conditions de vie des citoyens. --