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Enquête de la semaine. La mendicité : un phénomène aux proportions inquiétantes
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- Title
- Enquête de la semaine. La mendicité : un phénomène aux proportions inquiétantes
- Creator
- Sita Tarbagdo
- Publisher
- Sidwaya
- Date
- July 26, 1985
- Abstract
- “Les uns mangent, les autres regardent”. Cette maxime qui traduit l'égoïsme de l'homme est à la base d'une pratique sociale déplorable : la mendicité. L'oisiveté, le sous-emploi, le chômage, les inégalités sociales et les systèmes économiques mal adaptés constituent autant de maux qui aujourd'hui militent en faveur de la persistence de cette mendicité. La charité et l'aumône que préconisent les prescriptions religieuses sont-elles des solutions véritables pour enrayer le fléau ?
- Language
- Français
- Contributor
- Frédérick Madore
- Identifier
- iwac-article-0003985
- content
-
“Les uns mangent, les autres regardent”. Cette maxime qui traduit l'égoïsme de l'homme est à la base d'une pratique sociale déplorable : la mendicité. L'oisiveté, le sous-emploi, le chômage, les inégalités sociales et les systèmes économiques mal adaptés constituent autant de maux qui aujourd'hui militent en faveur de la persistence de cette mendicité. La charité et l'aumône que préconisent les prescriptions religieuses sont-elles des solutions véritables pour enrayer le fléau ?
S'il y a une vieille pratique qui garde actuellement encore la chaleur de son intensité sociale, c'est à n'en point douter la mendicité. En effet, de par le monde, la mendicité est un “cas social" et reste une des expressions de rapports d'inégalité entre riches et pauvres. A ce titre, peut-on parler d'équité et d'équilibre social quand, dans un groupe donné, la petite minorité de nantis pèse de tout son poids sur l'écrasante majorité, pressée comme un citron et laissée pour compte ? Assurément non ! Par ailleurs n'est-il pas illusoire de penser que du jour au lendemain, une solution puisse être trouvée au problème de la mendicité du fait de la persistence de l'individualisme qui favorise le repliement sur soi-même ? Ce qui est certain, la mendicité est aujourd'hui un "phénomène social” aux causes multiples, aux conséquences regretables et aux effets alarmants. Pour enrayer le mal, un diagnostic sérieux en vue d'une thérapeutie nécessaire et suffisante s'impose.
Le problème de la mendicité est très complexe et difficile à cerner. Car au-delà de cette pratique sociale il faut voir des personnes souvent nécessiteuses. Et c'est justement parce qu'il y a un manque par rapport à un minimum vital que nécessairement certaines personnes sont appelées, sinon obligées de frapper à la porte du voisin.
C'est dire donc que le problème de la mendicité se pose en terme économique. D'où les premières causes de la mendicité sont essentiellement économiques ayant pour origine le chômage et pour conséquence la misère.
En dehors de cela, il existe des causes d'ordre sanitaire et social, rituel et religieux, politique et sociologique, etc. A ce niveau, les exemples sont nombreux et divers. Au plan rituel, certaines coutumes contraignent des personnes à mendier. C'est le cas par exemple, dans certaines sociétés, des mères de jumeaux qui mendient, dit-on, pour sauvegarder la vie de leurs enfants. C'est également le cas des circoncis qui eux aussi, mendient, non pas par nécessité mais pour satisfaire à des prescriptions rituelles.
Au plan social, l'irresponsabilité de certains parents, la dislocation de certaines familles et l'installation progressive de l'individualisme dans certaines familles confinent bien d'enfants, laissés à leur triste sort, dans les canaux de cette pratique humiliante qu'est la mendicité.
Bref, à la base de la mendicité se trouve tout un ensemble de réalités relevant même de la nature du mendiant, de certaines croyances rétrogrades, de son environnement social...
La mendicité se manifeste essentiellement de deux façons : la mendicité ambulante et la mendicité fixe.
- La mendicité ambulante. Les mendiants vont de porte en porte en chantant soit des airs de louange ou de bénédiction, soit des incantations coraniques. Ils se font souvent accompagner par des musiciens ou en jouent eux-mêmes. C'est le cas des garibou par exemple. Mais leur mendicité n'est pas toujours une nécessité pour la survie mais une certaine vie imposée par les coutumes et la religion (surtout l'ascétisme musulman). Aussi trouve-t-on parmi ces garibou des fils de riches qui sont obligés de mendier, non pas parce qu'ils sont nécessiteux en réalité, mais tout simplement parce que ce sont des prescriptions religieuses qui les y obligent.
Dans cette catégorie, on peut également citer les mendiants qui vont de village en village ou qui se déplacent de ville en ville, au gré du vent, à la recherche des bonnes grâces ; et les handicapés physiques qui se promènent seuls ou le plus souvent guidés par un adulte ou un enfant. C'est le cas des aveugles, obligés de s'adonner à la mendicité pour pouvoir survivre.
A la base de cette mendicité ambulante, se trouve une réalité liée à la nature des hommes dans la société. Cela s'explique par le fait que les liens de famille étant un peu relâchés, ces personnes en manque d'affection et d'amour sont contraintes dêtre chaque fois dans la rue pour tendre la main aux bonnes volontés. Ils sont le plus souvent habillés en haillons, inspirant ainsi une sorte de compassion.
- La mendicité fixe. Dans ce dernier cas, les mendiants ont un coin précis où ils se rendent tous les jours pour y mendier. Ce sont le plus souvent des lieux publics tels que les abords des marchés, des mosquées, des églises, des pharmacies, des salles de cinéma, etc. Là encore, on retrouve toute sorte de gens : handicapés physiques ou mentaux, garibou, mères de jumeaux...
Il y a aussi de nouvelles formes de mendicité qui se développent de plus en plus. Elles consistent pour certains individus bien portant, aptes au travail, à passer de maison en maison pour conter l'histoire d'un coup du sort imprévu. Ex. : “je me suis fais voler mes bagages à la gare, alors je demande quelques francs pour acheter mon billet retour..." ou encore “je n'ai pas mangé depuis deux jours, secourez-moi".
Ou alors celle qui consiste dans les bars à faire le tour des tables et à raconter des histoires pour se faire acheter à boire. Enfin, nous avons les mendiants professionnels qui eux, à chaque fin de mois, affluent dans les bureaux et autres lieux de travail, dans l'unique espoir de gober en passant une pièce de monnaie. Ce sont là une forme de mendicité à col blanc que l'on situe dans la catégorie des fonctionnaires.
Les conséquences de ces deux types de mendicité dans la société sont multiples et multiformes. Parmi ces conséquences l'on peut citer entre autres : la délinquance (vagabondage, vol, escroquerie, abus de confiance, prostitution, toxicomanie), la propagation des maladies contagieuses (choléra, tuberculose). De plus, les mendiants forment une couche marginalisée par le reste de la société (manque de considération, compassion des uns et aversion des autres). Et puis, la mendicité nuit à l'image de marque de l'individu lui-même et du pays où il se trouve. Elle entraine l'irresponsabilité et l'inconscience au niveau de ceux qui la pratiquent. Enfin les mendiants constituent dans bien de cas une charge pour la société.
LE GRIOT ET LE MENDIANT
Quand on parle de mendiant, beaucoup de gens voient tout de suite le griot. Cela se justifie aisément dans la mesure où effectivement, de nos jours, nombreux sont les griots qui, pour subvenir à leurs besoins sont obligés de mendier. C'est donc au regard de cette réalité que d'aucuns sont allés jusqu'il confondre mendiant et griot qui en fait présentent des différences fondamentales. En effet le griot traditionnel n'était autre chose que l'historien d'aujourd'hui. Et en tant qu'historien il avait pour mission de conseiller les rois ou les hautes personnalités dans la hiérarchie traditionnelle. Ce faisant, il se devait de connaître l'histoire, d'étudier profondément la culture de son milieu dans toute sa diversité et sa spécificité, et de connaître les différents comportements de la société dans laquelle il évolue. Ainsi le griot ne s'adonnait ni à l'agriculture, ni à aucune autre activité hormis celle pour laquelle il avait été formé. Son importance et son utilité étaient connues de toute sa société. Aussi les différentes cours royales avaient-elles leurs griots. Mais de nos jours, le problème est tout autre. L'éclatement des structures sociales traditionnelles, la civilisation de l'écrit comme source de conservation des traditions et de l'histoire tend, de plus en plus, à banaliser et à marginaliser l'institution du griot. C'est ainsi que le griot, à un certain moment, s'est vu contraint sinon obligé de voler de ses propres ailes parce que ne jouissant plus des largesses de la société. Beaucoup de griots se sont donc retrouvé subitement abandonnés à eux-mêmes, sans aucun pouvoir d'achat. Mis devant cette situation, certains griots optèrent pour la mendicité. Errant de marché en marché, certains d'entre eux gagnent aujourd'hui leur vie au prix de mille éloges pompeux et souvent trompeurs.
MENDICITE ET DELINQUANCE
A priori, délinquance et mendicité semblent aller de paire. Et pourtant il y a antinomie entre ces deux concepts. Antinomie due au fait que le délinquant nourrit l'intention de nuire à la société alors que le mendiant tient aux valeurs morales de cette même société. La délinquance fait appel à l'élément moral et la mendicité aux bonnes règles sociales. On ne peut donc pas dire que le mendiant est un délinquant ou inversement. Cependant, dans certains cas, la délinquance peut engendrer la mendicité et vice versa. Les exemples de ce genre sont nombreux. Dans nos sociétés nous avons des familles disloquées pour diverses raisons et dont les enfants sont laissés à eux-mêmes, sans aucune attache parentale profonde.
Dans un premier temp, ces enfants essaient d'intégrer la société qui les rejette de façon brutale. Faute de mieux, ils s'adonnent à la mendicité afin de pouvoir survivre. Malheureusement ce n'est pas toujours pour eux le péron. En désespoir de cause, ils se mettent à voler ou à commettre d'autres actes de délinquance. C'est ainsi que beaucoup de mendiants deviennent progressivement et par la force des choses, de véritables délinquants.
Mais dès lors que le mendiant commence à se livrer à des actes ignobles (vol, viol, abus de confiance, criminalité...), il n'est plus un mendiant mais à la limité un délinquant. Et en tant que tels, ces actes sont punis par la loi. Or la mendicité quant à elle n'est pas punie par la loi parce qu'en elle, on ne retrouve pas l'élément moral qui se ramène à l'intention de nuire ou de créer un préjudice à quelqu'un.
L'AUMÔNE, UNE SOLUTION A LA MENDICITE?
Vous êtes de passage dans la rue. Quelqu'un vous accoste et vous tend subitement la main. En réponse à sa sollicitude vous lui jeter une pièce de cinq ou dix francs. Ou encore, devant votre porte, des individus vous appellent aux bonnes grâces par des chants de bénédiction ou des incantations coraniques. En retour, vous leur offrez un "cadeau" sous forme d'aumône. Ce genre de scénario est très courant. Mais est-ce là la meilleure solution au problème de la mendicité ? la réponse à cette question est à la fois simple et complexe. D'aucuns pensent que donner de l'argent à un mendiant c'est le pousser à persévérer dans la mendicité, car, disent-ils, “si on ne lui donne rien, il trouvera bien autre chose à faire. En réalité, le problème est beaucoup plus complexe que cela pour la bonne raison que personne ne veut être mendiant. On est mendiant parce qu'il n'y a pas d'autre issue pour se tirer d'affaire. Donc le fait de donner quelque chose à un mendiant ne l'encourage pas à persévérer dans cette voie. La condition du mendiant est tellement humiliante que s'il avait la possibilité de ne pas mendier il ne le ferait pas parce que peu compatible avec son honneur et sa dignité. Et ce n'est certainement pas parce qu'aujourd'hui on lui jette quelques miettes en passant que si demain il avait une "daba”, il refuserait d'aller au champ si toutefois sa conditions physique le lui permet.
Mais ne plaidons pas trop pour la cause des mendiants ! Car parmi eux, certains ne font pas l'effort de travailler. Sinon comment comprendre que des personnes physiquement aptes à tous travaux, s'adonnent de façon consciente et persistante à la mendicité ! Il est évident que donner à ces pseudo-nécessiteux, c'est les encourager à demeurer dans leur état de mendicité désolante.
D'une manière générale, venir en aide aux mendiants par le système de l'aumône ne résout pas véritablement les problèmes auxquels ces mendiants sont confrontés. Et dans la mesure où l'aumône ne constitue qu'une solution partielle, spontanée et éphémère à la mendicité, il convient de savoir l'apprécier à sa juste valeur. Pour mieux cerner cet "épiphénomène” il faut se situer dans la mentalité des personnes qui donnent. Deux attitudes sont alors observées. D'un côté, il y a celles qui donnent par esprit de suffisance ; de l'autre, celles qui donnent par sympathie ou par compassion pour le mendiant. Le premier cas est une façon de signifier au mendiant l'écart social qui existe entre eux. D'où leur attitude hautaine et finalement moqueuse. Dans le second cas, les donateurs évitent autant que possible de susciter chez le mendiant un quelconque complexe d'infériorité. Ainsi par exemple, dans la société traditionnelle mossi, il était interdit à un homme à cheval de rester sur sa monture pour donner quelque chose à un mendiant.
POLITIQUE DE LA MAIN TENDUE : UNE MENDICITE ETATIQUE ?
Le problème de la mendicité qui préoccupe les individus se retrouve au niveau des Etats. C'est ainsi que l'on peut faire un parallèle entre la mendicité et la politique de la main tendue. Ceci parce qu'effectivement - et c'est fort dommage d'ailleurs - dans notre monde, on a des pays qui, sur la scène internationale, bradent leur propre dignité pour avoir gain de cause. Cette attitude peut par moments se comprendre dans la mesure où un Etat qui se noie, peut, par panique, s'accrocher à un caïman, prenant celui-ci pour un tronc d'arbre. Un état de panique qui, dans le pire des cas, n'offre pas toujours aux pays en question, la capacité et le réflexe nécessaires pour analyser la portée humiliante de leur acte.
Mais après tout, n'est-il pas préférable pour ces pays là, au lieu de passer tout leur temps à tendre la main, de prendre conscience de leur véritable rôle vis-à-vis d'eux-mêmes et vis-à-vis de leur avenir. Toutefois, si le niveau économique est si bas que ces pays soient obligés de frapper à certaines portes, il convient de le faire mais avec un honneur et une dignité qui reposent sur le respect mutuel de la valeur humaine. Evidemment, sur la scène internationale, il existe des pays qui exigent que les Etats nécessiteux viennent se prosterner sinon se prostituer avant de recevoir d'eux une aide quelconque. Qu'à cela ne tienne ! Mais c'est là une honte pour ces pays "donateurs" et pour ces pays receveurs. Pour les pays "donateurs" parce qu'ils ignorent tout de la dignité humaine ; pour les pays receveurs parce que leur acte déshonore leur peuple.
Pratiquer la politique de la main tendue est-ce vraiment mendier ? Cette - question difficile à cerner peut être néanmoins interprétée de deux manières :
- ou bien l'aide est donnée sans aucune arrière pensée et dans l'intérêt des pays ou des personnes assistées.
- ou alors l'aide est donnée avec une contre-partie aliénante acceptée, auquel cas c'est une manifestation concrète de mendicité.
Dans l'un ou l'autre cas, est-il possible d'éviter la politique de la main tendue dans un pays où les gens meurent de faim et de soif ? Certainement oui ! Toutefois l'expérience a montré qu'il est très difficile pour un pays très nécessiteux d'éviter de recourir à cette solution de la facilité. Difficile certes, mais pas impossible pour la bonne raison qu'il suffit de savoir s'organiser dans un plan d'action cohérent et conséquent, en vue d'un développement véritablement adapté aux réalités du pays. Et, en prenant ses responsabilités à tous les niveaux, chaque pays - fut-il le plus pauvre - peut trouver une bonne solution au problème de la mendicité.
Cependant, il y a lieu de ne pas envisager la mendicité des personnes et celle des Etats sous un même angle. La première peut avoir des causes sociologiques ou religieuses tandis que la seconde a un fondement essentiellement économique et politique qui se résume en terme de dépendance.
La mendicité, voilà une pratique humiliante à laquelle le Burkina dit non. Non, parce que ce pays, sous la direction du Conseil national de la révolution, a choisi d'abord et avant tout de compter sur la force de travail des masses poopulaires mobilisées au sein des CDR, et sur les capacités de son peuple à trouver lui-même les solutions à ses problèmes. Et à tous les niveaux de réalisations économiques et sociales, l'expérience a démontré que le Burkina peut et doit compter d'abord sur ses propres forces. C'est là une attitude responsable qui a permis à notre pays de quitter le terrain humiliant de la mendicité internationale afin de chercher à voler de ses propres ailes A preuve, l'ardeur au travail des masses populaires s'insérant dans un cadre d'action commun, le Programme populaire de développement (PPD). La réalisation progressive de cet ensemble de programmes d'investissements sectoriels à l'échelle nationale et régionale permet aujourd'hui de répondre en partie aux préoccupations premières des masses rurales et urbaines. Il s'agit, entre autres, des besoins en eau et en produits vivriers, en logements et en infrastructures socio-économiques de base. C'est dans ce sens qu'il convient de situer les différents mots d'ordre du CNR et des CDR qui visent à encourager et à élever chaque jour davantage le niveau de conscience politique et l'esprit d'initiative des masses laborieuses en vue de faire d'eux les propres artisans de leur développement. “Compter sur ses propres moyens" certes, mais cela ne veut pas dire que le Burkina rejette systématiquement toute forme d'aide qu'il reçoit ou serait amené à recevoir des pays amis dans le cadre de la solidarité internationale ou renie la franche coopération qui existe entre lui et les autres pays. Toutefois, à propos de l'aide, fa position du Burkina est très claire : “l'aide doit aider à assassiner l'aide". C'est dire donc que notre pays n'entend pas recevoir des “cadeaux empoisonnés" de quelque Etat que ce soit car “l'aide qui engendre l'aide” conduit tout droit certains pays receveurs vers la dégénérescence morale, le suicide économique et le chaos politique.
QUELS REMEDES
Freiner la mendicité n'est pas un problème de sanction ponctuelle et on ne peut en aucun cas l'empêcher par coups de décrets encore moins d'ordonnances. Par conséquent, pour mettre fin à la mendicité il faut opérer un ensemble de transformations en matière d'économie, d'emploi, de formation professionnelle, d'éducation sociale et d'orientation scolaire. Et les remèdes peuvent être efficaces à plusieurs niveaux : familial, collectif, étatique, national et international.
Dans le cadre limité de la famille, il s'agit d'entretenir la chaleur des liens du sang en favorisant l'entraide familiale. Mais la solution à la mendicité ne se situe pas au niveau strictement familial. A une échelle plus grande, elle nécessite l'intervention des pouvoirs étatiques. Et dans cet esprit, il appartient aux différents responsables, à quelque niveau que ce soit, de faire l'analyse de la situation socio-économique avec ses incidences afin de déterminer les véritables causes qui poussent les gens à la mendicité. Une analyse qui doit déboucher sur la création de nouveaux emplois, la création de centres pour handicapés, la mise en place de structures adéquates d'encadrement des jeunes, etc. En somme, toute une politique générale de réduction des écarts sociaux. Dans cette immense œuvre collective, chacun de nous peut et doit jouer un rôle important et actif. La conscience internationale doit également se pencher sur la question qui, après tout, peut dépasser le cadre strictement national.
Dans notre pays, un grand effort est en train d'être fait afin d'attaquer efficacement le fléau à ses racines les plus profondes. Au rang de ces efforts l'on peut citer la création de centres de reéducation et de formation professionnelle pour jeunes inadaptés sociaux à Orodara et à Salbisgo ; la mise en place de centres privés de formation professionnelle pour handicapés à Tenkodogo, Koupéla, Bobo-Dioulasso, Nongtaba, Dissin et Ouagadougou. Il est à signaler également l'existence de centres de promotion sociale à caractère socio-éducatif et le projet de Somgandé dont la mission essentielle est d'encadrer les détenus en vue de les sensibiliser aux activités de production. Deux autres projets sont à inscrire à l'actif du ministère de l'Essor familial et de la solidarité nationale. Il s'agit notamment du projet d'insertion sociale des rapatriés dont l'objectif poursuivi est de trouver des activités rémunératrices aux détenus, et le projet de coopérative artisanale afin de stimuler et d'encourager les travaux manuels.
QUELLE CONCLUSION ?
Que dire de plus sinon que la mendicité - qu'elle provienne des individus ou des Etats - est une plaie sociale dont la gérison dépend d'une thérapeutie efficace. Il faut donc savoir aborder le problème de la mendicité la tête froide car, “les mendiants n'ont certainement pas rassemblé leurs dernières fortunes pour acheter leur état". C'est donc une question de conscience absolument collective qui nécessite, entre autres, des analyses profondes et sérieuses au plan sociologique, economique, politique, statistique et des études scientifiques - afin de connaître les vraies causes et les fondements réels de la mendicité dans chaque société déterminée - à partir desquels on peut, à défaut d'une solution radicale, trouver une solution adéquate. Et pour le cas des handicapés physiques ou mentaux, il ne faut surtout pas les considérer comme des rejetons de la société ou des erreurs divines et les traiter comme tels. Mieux, l'on peut toujours leur trouver une occupation.
Somme toute, la mendicité ne sera véritablement vaincue dans les pays en voie de développement que si des dispositions à moyen ou long terme sont prises. Il s'agit du développement des productions agro-pastorales, de la création des retenues d'eau pour une utilisation plus judicieuse des eaux de pluie ; de la création des systèmes d'irrigation ; de l'amélioration des méthodes de travail des paysans ; de la réduction du chômage par la création d'emplois et de la création de codes de famille et planning familial là où ces structures font défaut. Malheureusement dans certains pays, les mendiants ne semblent pas constituer une préoccupation nationale. Pourtant, nous pensons que la mendicité peut être combattue. Et “le jour où les Etats, notamment ceux du Tiers-monde, chercheront à compter d'abord sur leurs propres forces en tenant compte de leurs réalités concrètes : le jour où le mal voyant ou le paralytique se sentira traiter sur le même pied d'égalité que les autres membres de la société ; le jour où le petit garibou délaisé sera recueilli par cette même société ; le jour où les ressources nationales seront équitablement reparties de manière à ce que chacun en bénéficié, alors, ce jour là, un grand pas sera fait dans la bataille engagée ça et contre la mendicité".
Sita TARBAGDO
INTERVIEW
Le ministre de l'Essor familial et de la Solidarité nationale
DES CHAMPS COLLECTIFS POUR LES MENDIANTS
Sidwaya : Peut-on accuser le système capitaliste d'être à la base de ce fléau social qu'est la mendicité ?
Josephine Ouédraogo : Dans une certaine mesure le système capitaliste est à la base de la mendicité. Ceci parce que les individus sont maintenus dans un système de production qui ne favorise pas le développement harmonieux de la collectivité; un système qui repose sur l'exploitation de l'homme par l'homme. Il va s'en dire que dans un tel système où prédomine la recherche du profit maximum, l'individualisme et l'égoïsme se développent au détriment de la solidarité et de la générosité qui doivent nécessairement exister entre les hommes. Et dans la mesure où tous les actes sont conçus dans le sens de la rentabilité, s'instaure alors une certaine mentalité, celle de “ne penser qu'à soi et pour soi seul''.
Ainsi naît de ce système un prolétariat laissé pour compte, un prolétariat marginalisé par l'indifférence de ce même système. Ne pouvant donc pas bénéficier des largesses du système dans lequel ils évoluent d'aucuns -personnes démunies issues de ce prolétariat- sont amenés à mendier afin de pouvoir survivre.
S. : Que préconisez-vous à la place ?
J.O. : De nos jours, ce qu'il faut c'est apprendre aux individus à être non seulement responsables d'eux-mêmes mais aussi et surtout des autres. Cet esprit de responsabilité doit être d'abord institué au niveau familial dans le sens de resserer les liens entre les différents membres de la famille et, à une échelle plus grande, au niveau national dans la recherche des voies et moyens adéquats pour permettre à chaque individu de se trouver une occupation dans la société, fut-elle manuelle.
Sur ce plan le CNR a en vue un certain nombre de projets dont celui de faire participer les mendiais à la production nationale. Il s'agira à cet effet, de leur attribuer des champs collectifs dans lesquels ils pourront soit cultiver, soit faire de l'élevage ou pratiquer toutes autres activités d'utilité publique. Cela permettra à n'en point douter de canalyser les énergies vers un idéal positif. Pour le cas des impotents physiques ou mentaux le problème est tout autre. Et une solution probable est la création de centres d'accueil pour récupérer tous ces “cas sociaux” afin de leur apprendre à se rendre utile d'une façon ou d'une autre. De tels centres nécessitent beaucoup de moyens alors que nos possibilités dans ce domaine sont très limitées. D'où la nécessité d'envisager l'ouverture d'une caisse ou d'un guichet dont le but serait par exemple la collecte des aides allant dans le sens de secourir ces personnes.
S. : Faut-il alors faire appel à la solidarité internationale ?
J.O. : Certes on peut faire appel à la solidarité internationale, mais elle ne pourra jouer positivement que si au niveau de ces pays l'on sait véritablement ce que l'on veut. Si la solidarité internationale consiste à “nous aider à ne pas nous passer de l'aide", alors il vaut mieux s'en défaire avant qu'il ne soit trop tard. Dans le cas contraire nous ne serons que des étemels soumis. Ce à quoi le CNR se démarque de façon ferme. Bien sûr nous pouvons fermer totalement les yeux sur les problèmes des mendiants et leur donner à manger tous les jours grâce à cette solidarité internationale; mais sur quoi cela déboucherait sinon que nous aurons créé de perpétuels dépendants
S. : D'aucuns préconisent la générosité individuelle c'est à dire l'aumône
J.O. : L'élan de générosité fait partie des qualités morales de l'homme. Et ce élan de générosité, il convient de l'encourager, ne serait-ce que pour établir un équilibre social, mais tout en l'encourageant, nous devons tendre à supprimer l'esprit de parasite que cela pourrait développer au niveau des mendiants. Il y a des gens, qui, faute de mieux, ne vivent que de l'aumône publique. Vouloir donc supprimer ou empêcher cette générosité individuelle ou collective de se manifester c'est couper l'herbe sous les pieds de ces personnes-là. Après tout l'esprit de générosité favorise les rapports sociaux surtout quand il se manifeste de façon discrète et courtoise.
LA PAROLE AUX MENDIANTS
En vérité, nul ne peut expliquer la situation des mendiants mieux que les mendiants eux-mêmes. C'est pour cette raison que nous avons causé avec certains d'entre eux afin de savoir pourquoi ils s'adonnent à la mendicité.
T.M. (élève coranique) : Notre maître a beaucoup d'élèves à tel point qu'il n'arrive pas à nous nourrir tous. C'est la raison pour laquelle, chaque four, je sors avec ma boite à la recherche des reliefs de repas.
B.K. (garibou) : Je mendie parce que les presciptions de l'école coranique m'y obligent. Sinon j'ai une famille riche.
Z.E. (aveugle) : Mon état physique ne me permet pas de travailler. Ma famille me rejette parce que je suis improductif. Résultat, je me fais tous les jours conduire par un petit enfant aux abords des marchés, espérant quelques francs des personnes de bonne volonté.
R.J. (handicapé physique) : Ma condition physique ne me permet plus de gagner ma vie à la sueur de mon front. Que me reste-t-il à faire sinon mendier. Mais c'est tellement humiliant que si mon accident ne m'avait pas handicapé des jambes, je n'aurais jamais pensé à ça. Alors que les gens nous comprennent car n'importe qui est un mendiant en puissance.
P.K. (lépreux) : Se prosterner à tout passant n'est pas chose aisée. Mais hélas je n'ai pas le choix sinon je vais mourir de faim.
C.J. (vieille femme) : Que faire !
La rareté des pluies a contraint mes enfants à gagner la ville. Je n'ai plus personne pour m'aider, alors je suis obligé de tendre la main aux passants.
M.S. (un garçon) : J'ai 20 ans et je ne travaille pas. Alors je ne pense que m'adonner pour le moment à la mendicité. Ce n'est pas facile parce que les gens ne sont pas toujours compréhensifs.
H.A. : Si la société n'était pas faite d'injustice, je ne serai pas là, aujourd'hui à mendier. Je pense qu'avec la révolution ça ira mieux.