Article
"Père Jacques", un sage entre deux feux sacrés
- Title
- "Père Jacques", un sage entre deux feux sacrés
- Creator
- Bachirou Assouma
- Publisher
- La Nation
- Date
- September 16, 2002
- Abstract
- Les leaders d’opinion au Bénin jouent le plus souvent le rôle de sapeur pompier dans la préservation de la paix entre les religions. Bio Jacques en fait partie.
- Rights Holder
- La Nation
- Language
- Français
- Source
- La Nation
- Identifier
- iwac-article-0003641
- content
-
Les leaders d’opinion au Bénin jouent le plus souvent le rôle de sapeur pompier dans la préservation de la paix entre les religions. Bio Jacques en fait partie.
« ICI À DJOUGOU, nous vivons en symbiose avec nos frères musulmans. Seulement il y a parfois des dérapages que nous essayons, autant que faire se peut, de vite maîtriser. » Ainsi s'exprime Bio Jacques, 64 ans, médecin retraite depuis onze ans et premier vice-president du comité paroissial de Djougou. Dans cette ville du Nord Benin, où vivent près de 98 % de musulmans, la population a parfois recours à ce leader d'opinion en cas de malentendu entre musulmans et chrétiens.
« Père Jacques», comme on l'appelle affectueusement, est aussi le responsable de l'équipe paroissiale de Cari-tas. Cohabitant de façon permanente avec les musulmans, l'homme passe le reste de sa vie aux cotés de sa femme, de quelques uns de ses enfants et petits-fils. Assis dans son sobre salon, le « Père Jacques » évoque son passé : « J'ai passé ma jeunesse aussi bien à Parakou qu'à Djougou. Mon feu père était un ancien combattant. Il a activement participé à la Deuxième Guerre mondiale. C'est donc par la force des choses qu'il a embrassé la religion chrétienne. Il nous a donc moulés dans cette confession religieuse et nous y sommes actuellement », confie-t-il l'air détendu.
Marié à une femme et père de neuf enfants, « Père Jacques » fait partie des sages de la ville. Il est l'une des personnes ressources qu'on consulte en cas de litige. « Il n’y a que l'eau qui puisse éteindre le feu et non le contraire », affirme-t-il en caressant ses cheveux grisonnants. « Père Jacques » pense que la religion chrétienne autant que sa sœur musulmane prônent l'unité, la paix et la tolérance. Mais cela n'empêche qu'il y ait des déviances, précise-t-il.
Quand on évoque devant lui d’éventuelles poussées extrémistes venant des musulmans à Djougou, ce sage répond sans sourciller qu'il n'en a jamais constaté. « On m'a bien informé un jour que nos fidèles étaient menacés dans une maison en location. Leur tort était d'exercer leur séance de prière dans cette maison. Mais je me suis rendu rapidement sur les lieux et le calme est revenu. »
Dans celte ville, l'évêque, Mgr Vieira, a ouvert une école privée fréquentée aussi bien par les enfants de musulmans que ceux des chrétiens. « Je me souviens que lors d'une émission diffusée en langue locale dendi, le journaliste informait les populations de ce que l'école en question a été créée dans le but de détourner la mentalité des élèves musulmans de leur religion d'origine. Ses propos m'ont scandalisé. C'est pourquoi je suis allé immédiatement me plaindre aux sages musulmans et ce foyer de tension a été vite éteint ». « Ce qui est sûr, c’est que dans un troupeau, tout le monde ne peut pas être sur un pied d’égalité. Il y a des flémards, des retardataires », ironise le sexagénaire, le regard perdu dans son salon modeste ou règne une propreté notoire. Chaque chose semble être disposée à sa place. On y note un poste téléviseur, une radio, un fauteuil pliant, d'anciens meubles et des représentations de Jésus.
Pour attester de la bonne ambiance qui règne entre les religions dans cette ville, ce médecin par accident affirme que lors de l'ordination de l'évêque de Djougou, une forte délégation musulmane dirigée par l'Imam de la ville avait assisté à cette cérémonie grandiose. Et les autres confessions religieuses n'étaient pas en reste.
Bachirou Assouma