Article
Politique et religion : les liaisons dangereuses
- Title
- Politique et religion : les liaisons dangereuses
- Creator
- Rodrigue Hodé
- Publisher
- La Nation
- Date
- September 16, 2002
- Abstract
- Au Bénin, la politique et la réligion se tutoient depuis toujours. Avec l’avènement du renouveau démocratique en 1990, les relations entre les deux pôles d’intérêts prennent de l’ampleur. Et dans l’air, flottent de plus en plus des odeurs de compromission.
- Subject
- Adrien Houngbédji
- Akandé Olofindji
- Albert Tingbé-Azalou
- Catholiques
- Claire Houngan Ayémonna
- Conseil national du culte vodoun
- Joseph Sourou Attin
- Laïcité
- Luc Gnacadja
- Marxisme-léninisme
- Mathieu Kérékou
- Nicéphore Soglo
- Pluralisme religieux
- Politique
- Protestants
- Sorcellerie
- Transparency International
- Rights Holder
- La Nation
- Language
- Français
- Source
- La Nation
- Identifier
- iwac-article-0003636
- content
-
Au Bénin, la politique et la réligion se tutoient depuis toujours. Avec l’avènement du renouveau démocratique en 1990, les relations entre les deux pôles d’intérêts prennent de l’ampleur. Et dans l’air, flottent de plus en plus des odeurs de compromission.
LA POLITIQUE et la religion cohabitent depuis toujours au Bénin. Déjà sous le régime marxiste-léniniste (1972-1990), le pouvoir, tout en déclarant officiellement la guerre contre la sorcellerie, usait pourtant de forces occultes pour se maintenir en place. C’est ainsi que l'ex-dictateur, Mathieu Kérékou, avait loué les services du célèbre marabout malien Mohamed Cissé pour veiller sur sa personne. Ce qui n’a pas empêché l’écroulement du régime révolutionnaire, et le départ du général Kérékou en 1991.
L’homme effectue son retour aux affaires en 1996 en troquant le treillis contre la Bible (lire page 6). Les Saintes Ecritures deviennent sa référence et ses compatriotes le surnomment « le pasteur». En 1992, son successeur et prédécesseur, Nicéphore Soglo initie la fête du vodoun en se mettant à dos le clergé béninois. Mgr Isidore de Souza, figure emblématique de la Conférence nationale, lui retire sa confiance. Conséquence : il échoue aux élections présidentielles de 1996 malgré la présentation d’un bilan économique positif.
Depuis le renouveau démocratique, politique et religion font bon ménage. Car les politiques ne ratent maintenant aucune occasion pour s’attirer la sympathie des chefs religieux. De leur côté, ces derniers s’activent pour gagner la confiance des premiers. Ce sont d'ailleurs les périodes électorales qui illustrent au mieux cette volonté de se servir l'une de l’autre.
Ainsi en mars 2001, la force réelle ou virtuelle des lobbies religieux pousse les 17 prétendants à la présidence à évoquer tout au long de la campagne le nom de Dieu. Les églises, les mosquées, les couvents sont devenus du coup des viviers électoraux très prisés et convoités.
Mathieu Kérékou, Nicéphore Soglo, Adrien Houngbédji, Akandé Olofindji se sont particulièrement distingués en « arrachant » le soutien de groupes religieux. Parfois la divergence des intérêts conduit les groupes religieux à l’éclatement, chaque « troupeau » ayant choisi son « berger ». C’est ainsi que Akandé Olofindji, le « candidat révélé des dieux vodoun », est abandonné en pleine course électorale par les rois et chefs traditionnels au profit des candidats Kérékou et Soglo (lire page 7). Il crie à la trahison, mais reste impuissant devant les « arguments financiers » de ses adversaires.
Depuis, c’est le règne de la division au sein des chefferies traditionnelles et dans les couvents. Il est maintenant fréquent de voir deux rois « assis » sur le même trône comme à Abomey et à Porto-novo. Même lutte de clan au profit d’hommes politiques au Conseil national du culte vodoun : deux hauts dignitaires se sont octroyés, chacun, le litre de président. La situation est identique chez les évangéliques et les protestants. Seuls les catholiques et, dans une moindre mesure, les musulmans arrivent à parler encore d'une voix.
Mais qui du politique et du religieux influence l'autre ? Les réponses divergent d’un interlocuteur à un autre. Akandé Olofindji affirme que « ce sont les hommes politiques qui envahissent les églises, les mosquées, les couvents dans le seul dessein de se hisser au pouvoir » Ce faisant déplore-t-il, « ils détruisent le monde religieux ». Dans le même sens, le professeur Roger Gbégnonvi, président local de Transparency International explique : « loin d'être des croyants, les politiques sont des opportunistes ». Selon lui. Kérékou, qui affiche à toutes les occasions sa foi chrétienne, n'est qu'un farceur et n'a jamais été croyant dans sa vie. Par contre, à en croire un proche collaborateur du ministre Joseph Attin, c'est plutôt la religion qui « embrigade » des politiciens pour mieux influencer les décisions du pouvoir. Mais le sociologue Albert Tingbé-Azalou nuance : « La religion est omniprésente dans l'arène politique et les politiciens l'utilisent pour parvenir à leurs fins. Chacun tire profit de l’autre. Ils ont des rapports de tricherie, de déviance, de machiavélisme ».
La promiscuité entre la religion et la politique déteint aussi sur la composition du gouvernement ou les nominations dans les différentes institutions de l'Etat. Les ministres Joseph Attin, Luc Gnacadja, Claire Ayémonna sont soupçonnés par exemple de bénéficier du parapluie des églises évangéliques. En contre-partie, ils sont appelés à « ouvrir des portes » aux fidèles, mais surtout aux principaux pasteurs. La non observation de ce « contrat » débouche souvent sur des conflits dans lesquels les deux camps se promettent mutuellement le pire : détruire l'adversaire auprès du Chef de l'Etat. En effet, le grand intérêt qu’accorde le président Kérékou aux « propositions» des lobbies religieux est un secret de polichinelle. Le garant de la constitution veille également sur des intérêts religieux. Sous les cieux béninois, la religion et la politique filent le parfait amour.
Rodrigue Hode