Article
L'imam Aboubacar Fofana au chef de l'État : "Vous seul, avez la solution à la crise"
- Title
- L'imam Aboubacar Fofana au chef de l'État : "Vous seul, avez la solution à la crise"
- Type
- Article de presse
- Creator
- Souleymane Fofana
- Publisher
-
Le Jour
- Date
- May 29, 2000
- DescriptionAI
- L'Imam Aboubacar Fofana interpelle le chef de l'État, affirmant qu'il est le seul à détenir la solution à la crise ivoirienne. Il rappelle l'engagement historique de la communauté musulmane pour l'unité nationale, tout en déplorant la montée des divisions ethniques et religieuses depuis 1993. L'Imam dénonce la discrimination subie par les musulmans, notamment le retrait abusif de leurs cartes d'identité, et la propagation de la haine. Il appelle le président à restaurer la fraternité et à garantir une République laïque, multi-ethnique et multi-confessionnelle où personne n'est exclu ou humilié.
- pages
- 1
- 2
- 3
- number of pages
- 3
- Subject
- Catholiques
- Bernard Agré
- Front populaire ivoirien
- Rassemblement des républicains de Côte d'Ivoire
- Bouaké
- Robert Guéï
- Comité National de Salut Public
- Commission Consultative Constitutionnelle et Électorale
- Coup d'État de 1999 en Côte d'Ivoire
- Conseil National Islamique
- Aboubacar Fofana
- Language
- Français
- Contributor
-
Frédérick Madore
- Identifier
- iwac-article-0012035
- content
-
◆ L'IMAM ABOUBACAR FOFANA
"Vous seul avez la solution à la crise"
"Pour ce qui nous concerne, la communauté musulmane, nous n'avons jamais fait de différence. Dans les années 1940, nos parents se sont mobilisés pour soutenir Houphouet Boigny contre l'un des leurs, qui s'appelait Sékou Sanogo, pourtant musulman. Nous n'avons regardé ni l'ethnie ni la religion. Nous avons tout simplement regardé le programme. Depuis les années 1940 jusqu'à sa mort, nous sommes restés fidèles à Houphouet Boigny. Parce que pour nous, il s'agissait de mettre en place une République, celle de la Côte d'Ivoire. De 1960 à 1993, l'ambiance était bonne. Depuis 1993, les Ivoiriens eux-mêmes, peut-être habités par le démon, comme vous l'avez souligné, ont commencé à se classifier".
--- Page 2 ---
L'imam Aboubacar Fofana au chef de l'Etat
«Vous seul, avez la solution à la crise»
"Pour ce qui nous concerne, la communauté musulmane, nous n'avons jamais fait de différence. Dns les années 1940, nos parents se sont mobilisés pour soutenir Houphouet Boigny contre l'un des leurs, qui s'appelait Sékou Sanogo, pourtant musulman. Nous n'avons regardé ni l'ethnie ni la religion. Nous avons tout simplement regardé le programme. Depuis les années 1940 jusqu'à sa mort, nous sommes restés fidèles à Houphet Boigny. Parce que pour nous, il s'agissait de mettre en place une République, celle de la Côte d'Ivoire. De 1960 à 1993, l'ambiance était bonne. Depuis 1993, les Ivoiriens eux-mêmes, peut-être habités par le démon, comme vous l'avez souligné, ont commencé à se classifier. Depuis lors, les sentiments de haine ont commencé à se développer. Dans la presse, dans les bureaux, dans les bus. Et nous étions dans cette position jusqu'au 24 décembre 1999, lorsqu'un événement que nous avons considéré comme heureux, est intervenu. Il s'agit de l'avènement du CNSP à la tête de la Côte d'Ivoire. Votre choix comme président de la République a été pour nous, non pas une revanche, mais un espoir de pouvoir vivre avec nos frères catholiques, protestants, animistes. Mais, il faut reconnaître que notre espoir n'a duré qu'un mois. Les mêmes propos ont repris. C'est en cela que nous avons peur. Nous sommes inquiets. Nous nous réunissons dans nos mosquées pour prier pour la paix. D'aucuns pensent que les musulmans dans les mosquées maudissent leurs frères chrétiens. Cela a été dit dans les journaux et, vous l'avez déjà souligné, ce sont les messagers du démon. Nous avons peur. Beaucoup de freins se sont posés entre-temps. Les problèmes des CNI. C'est notre communauté qui est victime du retrait abusif des CNI et cela, sans procès verbal de retrait, sans récépissé de retrait. Parce qu'ils portent des boubous. Ils s'appellent Adama, ou Coulibaly... Il y a des hommes habillés qui prennent leur CNI et les déchirent. Nous sommes dans un pays de droit. Quand on arrête quelqu'un qui a une CNI, il y a la police. S'il y a des doutes, il faut vérifier. Si c'est une fausse, le porteur de la CNI et celui qui l'a établie doivent être arrêtés et jugés. Cela n'a jamais été fait. On a arraché des milliers de CNI à des citoyens sans leur dire pourquoi. Et après, on vient vous dire que toutes les fausses CNI, c'est notre communauté. Cela nous a choqués et nous nous sommes dit où allons-nous? La Côte d'Ivoire est ouverte sur plusieures frontières. Les gens rentrent par le Ghana, le Liberia, le Mali, le Burkina, il y en a même qui viennent du Togo, du Bénin, du Niger, du Nigeria. Pourquoi c'est le nord de la Côte d'Ivoire seul qui doit être à la base des fraudes. Et cela a été entretenu par la presse. C'est choquant lorsqu'on dit qu'une communauté est à la base de la fraude? De plus en plus, dans les bus, dans les bureaux, les attaques de toutes sortes se développent. Nous croyons que nous vivons ensemble et lorsqu'avec nos frères chrétiens, on vient dire qu'il ne faut pas manger la viande alors qu'on l'a mangée depuis tout le temps, c'est cette année seulement qu'on mettra quelque chose dans nos viandes. Cela veut dire qu'un chrétien ne doit pas être à la même table qu'un musulman et qu'un musulman ne doit plus manger avec un chrétien. Effectivement, nous avons donné nos viandes à nos frères chrétiens, il y en a qui l'ont jetée à la poubelle, il y en a qui l'ont donnée aux gardiens... On est en droit de se poser des questions. D'où vient tout cela ? Monsieur le président, devant cette situation, nous ne pouvons que remercier votre initiative pour que nous sachions que la Côte d'Ivoire ne peut pas
suite page 3
--- Page 3 ---
être le pays d'une région, d'une seule ethnie, le pays d'une seule religion. Elle est République, elle est laïque, elle est multi-dimentionnelle, multi-confessionnelle, multi-ethnique. Il faut que cela soit reconnu. Les musulmans sont dans tous les partis politiques. Ils sont au PDCI, il sont au FPI, ils sont au PIT, ils sont au RDR... Tout ce que nous disons, c'est de dire à nos frères, de confessions différentes, que nous retrouvions notre fraternité car sans cette dimension affective, aucune unité ne peut être construite. La religion pour nous, dans un pays laïc, c'est un moyen de gagner sa place au paradis. Mais la terre de Côte d'Ivoire appartient à tous. Qu'on vienne du nord, du sud, de l'est, du centre, de l'ouest, nul n'acceptera d'être exclu. Nul n'acceptera non plus d'être humilié davantage. Monsieur le président, la clef est dans votre main. Tout cela est confronté par la situation socio-politique que nous connaissons. A votre prédécesseur, nous avons conseillé de laisser tous les enfants ivoiriens se présenter. Avec Mgr Dacoury, nous étions membres de la CCCE. Nous étions 27 personnes et nous avons travaillé pendant plus de deux mois et demi et nous continuons à travailler. Je devais aller personnellement à la Mecque. Lorsqu'on m'a dit que Robert Guéi, m'a nommé à la commission j'ai abandonné mon voyage. Nous avons travaillé les textes. En tant que religieux, j'ai eu des coups de fil de Washington, New-York, ... où des gens m'ont dit «vous êtes dedans, ça nous rassure». J'espère qu'on me fait confiance. Vous êtes le chef de l'Etat. Les informations peuvent être erronées. Nous avons travaillé avec nos frères et je n'ai jamais trouvé un cadre aussi homogène, aussi uni. Là encore, nous allons vous demander de faire indulgence et d'accepter que la CCCE, avec ses 27 membres, a travaillé dans l'esprit de vous aider à trouver des solutions aux problèmes posés. Et non pas de vous mettre les bâtons dans les roues, moins encore de falsifier. Ceux qui ont dit cela ont dû vous tromper. Le travail a été fait pour que la Côte d'Ivoire sorte de la crise que nous avons connue pendant 5 ou 6 ans. La communauté musulmane Monsieur le président, est inquiète. Quand on sort avec sa CNI, on ne sait pas si on peut retourner avec cela le soir. Quand nous n'avons pas de CNI, rien ne justifie que nous sommes Ivoiriens. C'est à ce niveau que le problème se pose à notre communauté. Et les mêmes causes peuvent créer les mêmes effets. Alors, nous vous disons, monsieur le président, que c'est vous seul qui avez la solution à la crise actuelle. Les politiciens vivent avec nous dans nos mosquées, dans nos églises, dans nos temples. Nous mangeons ensemble, Nous causons ensemble. Ce qui se passe sur le plan politique ne peut pas être détaché de ce qui se passe sur le plan religieux. Tout est lié. La Côte d'Ivoire doit avoir l'expérience de tous les pays africains. Tous les problèmes sont résolus ici en Côte d'Ivoire. Les problèmes du Congo, du Zaïre, de l'Angola, du Liberia, de la Sierra-Leone, tout se règle ici. Notre expérience devrait nous amener à savoir que nulle part l'exclusion n'a donné lieu à la paix. L'apartheid, la supériorité de la race américaine noire sur les autres au Libéria, ont fini par payer. On pourra dire aujourd'hui que les mêmes causes produisent les mêmes effets. Je voudrais terminer, monsieur le président, en vous demandant que nous devons raccourcir en Côte d'Ivoire, le chemin de la paix à cause de notre expérience. Vous seul, pouvez trouver des solutions à tous ces problèmes politiques qui rejaillissent sur les communautés tribales, ethniques et religieuses.
PROPOS RETRANSCRITS PAR SOULEYMANE FOFANA
