Article
Aboubacar Fofana, PCA du CNOPM : "On nous met les bâtons dans les roues"
- Title
- Aboubacar Fofana, PCA du CNOPM : "On nous met les bâtons dans les roues"
- Type
- Article de presse
- Publisher
-
Le Jour
- Date
- February 22, 1999
- DescriptionAI
- Aboubacar Fofana, président du CNOPM, dénonce les graves dysfonctionnements entravant l'organisation du pèlerinage à la Mecque pour les Ivoiriens, malgré les préparatifs du comité. Il pointe du doigt un trafic massif de visas, des retards dans la délivrance des carnets et une confusion administrative due à la prolifération d'organisateurs parallèles et aux interventions politiques. Fofana critique le manque de clarté et de respect des décisions par l'administration, qui compromet la gestion efficace du Hadj.
- number of pages
- 1
- Subject
- Comité National pour l'Organisation du Pèlerinage à la Mecque (CI)
- Front de la Oumat Islamique
- Hadj
- Diaby Moustapha
- Conseil National Islamique
-
Conseil Supérieur des Imams, des Mosquées et des Affaires islamiques
- Aboubacar Fofana
- Language
- Français
- Contributor
-
Frédérick Madore
- Identifier
- iwac-article-0012003
- content
-
Aboubacar Fofana, PCA du CNOPM
«On nous met les bâtons dans les roues»
A quelques jours des premiers départs des pèlerins à la Mecque, les choses semblent aller à pas de tortué au niveau de l'organisation du pèlerinage. Annoncés sur le sol ivoirien depuis quelques jours, les Saoudiens ne sont en réalité pas encore arrivés pour la délivrance des visas aux pèlerins. Pourquoi? Après l'implication du ministère de l'Intérieur dans l'organisation du pèlerinage, qui fait désormais quoi dans ce domaine? Nous avons rencontré El hadj Aboubacar Fofana, président du conseil d'administration du comité national d'organisation du pèlerinage à la Mecque (CNOPM).
**Nous sommes à quelques jours du départ des pèlerins du nouvel Hadj. Où en est-on au niveau de l'organisation?**
Avec les difficultés de l'année dernière, le Conseil national islamique (CNI) et le Comité national d'organisation du pèlerinage à la Mecque (CNOPM) ont tenu un séminaire d'évaluation. Toutes les étapes du pèlerinage de l'année dernière ont été passées en revue, afin d'en détecter les points forts et les points à améliorer. Des changements importants ont été opérés. De nouvelles formes d'organisations administratives et comptables ont été instituées. Toutes les dispositions ont été prises pour éviter les erreurs du passé. En matière d'organisation, nous sommes prêts cette année pour le pèlerinage. Nous avons pris toutes nos dispositions. On nous reprochait par exemple d'avoir des logements éloignés de la Kaaba. Or, nous avions les meilleurs logements. Selon les rapports de l'organisme officiel saoudienne, le CNOPM a eu la meilleure organisation, ayant donné le meilleur hébergement. Cette année, nous avons fait mieux. Le logement est bon et proche des lieux de culte. Au niveau du transport, nous avons eu également des difficultés l'année dernière. La majorité de nos pèlerins voyage généralement par Air-Afrique. Naturellement, il se pose des difficultés d'horaires que nous ne maîtrisons pas. Nous pensons que les responsables d'Air-Afrique ont pris des dispositions dans ce sens.
**Vous êtes en partenariat avec la compagnie Air Afrique qui traverse une période difficile en ce moment...**
Nous pensons que jusque-là, Air Afrique a été sérieux avec nous. Les pèlerins sont libres d'aller là où ils veulent. Indépendamment des problèmes d'horaires qu'on a connus les années passées, Air Afrique a ceci de rassurant qu'il respecte ses engagements, dont celui de ramener les pèlerins saints et saufs et avec leurs bagages. C'est le plus important. Les problèmes de l'année dernière sont particuliers. On a dû emprunter des lignes qui n'étaient pas habituelles. Les problèmes d'horaires d'Air Afrique pendant le pèlerinage sont identiques dans la sous-région et pas spécifiques à la Côte d'Ivoire.
**La libéralisation du transport du pèlerinage et la diversité des transporteurs ne pourraient-ils pas constituer un autre problème organisationnel?**
Aboubacar Fofana: «Il faut que l'administration clarifie sa position dans l'organisation du pèlerinage à la Mecque»
Le gouvernement a décidé que les pèlerins soient libres dans le choix des compagnies de transport. Nous n'y pouvons rien. Bien sûr, il y a quelques petits problèmes organisationnels. Mais, quelle que soit la compagnie qui les transporte, nos pèlerins sont récupérés et encadrés par nous, une fois qu'ils arrivent à Djeddah. Pour ce qui est des compagnies, on ne peut pas l'imposer aux pèlerins. Les prix et les facilités ne sont pas les mêmes. Mais, nous expliquons les conditions des différentes compagnies aux pèlerins. A eux de choisir.
**Le CNOPM a produit une liste de démarcheurs agréés. Or, il s'est avéré que la présence de nombreux démarcheurs et autres affairistes est souvent préjudiciable à l'organisation du pèlerinage...**
Nous ne pouvons pas supprimer les démarcheurs. Nous pensons qu'ils sont une corporation à part. Ils travaillent beaucoup plus avec les compagnies qu'avec les organisations de pèlerinage. Nous nous servons d'eux également pour un certain nombre de choses que nous ne pouvons pas faire. C'est un métier qui mérite d'être organisé. Leur rôle, c'est d'aller chercher des clients pour les compagnies. Nous ne sommes pas venus pour supprimer le pain de qui que ce soit. Il est vrai que les démarcheurs ne travaillent pas toujours pour des fins proprement religieuses. Il leur faut vivre de leur métier. Mais, nous avons essayé, par le passé, de combattre tout ce qui était inconduite ou indélicatesse. Nous ne pouvons tolérer cela. Nous protégeons les pèlerins contre les comportements malveillants. Cela dit, le problème du pèlerinage en matière d'organisation n'est pas forcément le fait des démarcheurs. Mais, le problème se trouve ailleurs.
**Où donc?**
Après les difficultés vécues l'année dernière, on a promis des réformes. Elles ont commencé par l'établissement des carnets. C'était la première fois dans l'histoire de la Côte d'Ivoire que ce problème était posé. L'établissement de ces carnets a malheureusement commencé tard. Quand les carnets ont été disponibles, les demandes d'attribution de ces carnets disparaissaient comme par enchantement. Ce sont des choses que nous ne maîtrisons pas. Ce n'est pas notre travail de le faire, nous ne sommes que des clients. Il y a des problèmes énormes autour du pèlerinage. On est resté dans l'incertitude pendant longtemps. Lorsque nous avons fini avec le problème des carnets, il s'est posé celui des visas. Parfois, on nous dit que tous les visas sont accordés; alors qu'il n'en est rien. Là, il y a un gros trafic que nous ne maîtrisons pas et dont nous ne connaissons pas l'origine. Il semblerait que même des personnalités de nationalité non ivoirienne font venir des passeports de l'extérieur pour les déposer sur le quota des Ivoiriens pour combler l'excédent.
**Des dispositions ont-elles été prises pour que carnets et visas soient délivrés cette année dans les délais?**
Nous n'avons pas la maîtrise de ce sujet. Ce sont les Saoudiens qui viennent délivrer les visas. Ce n'est pas nous qui les recevons, les gérons et les logeons. C'est l'administration. Avant, nous recevions les Saoudiens quand ils venaient. Mais, l'année dernière, ce n'était plus le cas. Nous ne maîtrisons plus leur séjour. Nous avons même eu quelquefois du mal à faire viser nos passeports. Il est arrivé qu'après le départ des Saoudiens, on se retrouve encore avec des passeports sans visa. Tout cela a fini par provoquer un dysfonctionnement terrible dans le système. Ce n'était pas de notre faute. Nous devions amener seulement les passeports à faire viser. Même cela, nous avons parfois du mal à le faire. On s'est rendu compte que 3000 visas étaient donnés pendant que les Ivoiriens n'avaient pas de visa. Il y avait un trafic monstre de visas. Beaucoup de pèlerins ont dû voyager l'année dernière avec de faux noms. Je regrette de le dire, mais il y a des données que nous ne maîtrisons pas.
**Vous êtes tout de même le Comité national chargé de l'organisation du pèlerinage à la Mecque (CNOPM). Comment cela se fait-il que des données aussi importantes vous échappent?**
L'administration a pris les dispositions cette année. Les démarcheurs ne seront plus impliqués et les éléments extérieurs ne viendront pas. Tout passera par les organisations agréées et l'administration. Je pense qu'elle a pris toutes les dispositions pour résoudre nos problèmes. Vous savez, en ce qui concerne le pèlerinage, nous avons voulu dès le départ que la position de l'administration soit claire. Il y a une trop grande confusion entre les données culturelles, religieuses et politiques. Quand on mélange ces éléments, on ne s'en sort plus. Il y a trop de gens qui organisent le pèlerinage avec des autorisations parallèles. Avant, c'était le comité interministériel seul qui organisait le pèlerinage. Les démarcheurs ne jouaient que leur rôle auprès des compagnies. L'administration territoriale était la seule à être responsable de tout ce qui se passait en matière de pèlerinage, avec les autorités en place et avec l'Arabie Saoudite. Compte tenu de certaines difficultés qu'ont connues des pèlerins ivoiriens, nous avons demandé de prendre le pèlerinage en main. On a fait appel à toutes les associations. Après la réussite de cette première campagne, nous avons rencontré beaucoup de difficultés. Il n'y avait plus le soutien diplomatique qu'on a eu en 1993. Certaines associations sont parties. On leur a remis des autorisations parallèles. Depuis lors, on a assisté à une prolifération d'organisateurs de pèlerinage. La réalité est que sur le lieu saint, aucun d'eux n'est réellement équipé pour s'occuper des pèlerins. Nous nous sommes battus jusqu'à l'année dernière où il y a eu un autre arrêté ministériel pour limiter l'organisation du pèlerinage au CNI, au CSI et au Foi. Trois autorisations donc. Mais, à notre grande surprise, malgré ce même décret du gouvernement, on a vu une nouvelle organisation qui a eu une autorisation parallèle pour le pèlerinage, avec des interventions politiques.
Qu'est-ce qui prouve que cette année, malgré le fait qu'on a dit qu'il y a quatre organisateurs, qu'une cinquième voire une sixième ne s'y ajouteront pas avec une autorisation officielle? Notre gestion est véritablement perturbée. Nous ne critiquons personne. Mais, ceux qui avaient la charge des visas doivent savoir à qui revient la faute. Officiellement sur le terrain, on donne une autorisation au CNOPM qui est un comité national. Mais à côté, on donne des autorisations parallèles qui ne passent pas par le même ministère. Allez-y comprendre quelque chose. Il faut que les choses soient réglées à ce niveau. Nous ne sommes pas opposés à ce que les autres organisent le pèlerinage. Mais qu'on ait une ligne de conduite. Si une chose est décidée, qu'elle soit respectée par ceux-là qui l'ont décidée.
Il faut commencer par respecter soi-même les dispositions que l'on prend. Il y a des choses à revoir réellement au niveau des autorités. Par le passé, il y avait un seul commissaire général du gouvernement. Depuis trois à quatre ans, il y en a deux. On ne sait pas qui est le patron. Pourquoi deux commissaires? Il y a des choses que nous ne comprenons pas.
**Il vous est reproché au CNOPM vos tarifs trop élevés...**
Nous avons au CNOPM le souci de donner un meilleur encadrement aux pèlerins. Nous prenons des frais d'organisation. Les autres s'en passent. Mais le nombre de médecins et d'infirmiers que nous envoyons, eux ne les envoient pas. La réalité du terrain nous donne raison. Tous ces déplacements demandent des moyens. Parfois, nous sommes obligés de recevoir et de traiter les pèlerins des autres organisations lorsqu'ils sont malades sur les lieux saints.
**Il est également reproché au CNOPM de n'être pas indépendant, et de rouler pour le CNI. D'où le départ de certaines associations comme le Conseil supérieur islamique (CSI)...**
Le CNOPM est composé de trois organisations: le Cosim, le CSI et le CNI. Chaque organisation y a trois représentants. Très tôt Diaby Koweit s'est retiré. Mais ses deux représentants sont restés. Le CNOPM n'est pas une affaire du CNI, mais un comité national. Ce sont les autres qui n'ont pas voulu jouer le jeu. Et le CNI s'est vu obligé de mettre ses moyens au service du CNOPM. C'est le CNI qui roulait pour le CNOPM et non le contraire. Et cela, par la force des choses.
**Il reste aujourd'hui que vous dirigez un CNOPM vidé de sa substance...**
Nous sommes sereins, tant que le gouvernement ne nous en a pas retiré spécialement la gestion. C'est le gouvernement qui décide. Nous ne représentons rien. Ce sont des citoyens qui ont demandé à prendre le pèlerinage en main. Si le gouvernement nous retire de l'organisation parce que nous avons commis des fautes, en ce moment nous prendrons acte.
PROPOS RECUEILLIS PAR
ABDOULAYE SANGARÉ ET
MARIE-LAURE DIGBEU
