Article
Ahmadou Sylla, conseiller à la présidence interpelle Bédié : "De graves périls nous guettent"
- Title
- Ahmadou Sylla, conseiller à la présidence interpelle Bédié : "De graves périls nous guettent"
- Type
- Article de presse
- Creator
- Ahmadou Yacouba Sylla
- Publisher
-
Le Jour
- Date
- August 3, 1998
- DescriptionAI
- Ahmadou Sylla, conseiller à la présidence, interpelle le président Bédié pour exprimer sa vive inquiétude face aux "graves périls" menaçant l'existence de la Côte d'Ivoire. Il exhorte Bédié à s'appuyer d'urgence sur une majorité avertie, capable de comprendre les enjeux futurs et non motivée par le seul désir de plaire. Sylla fonde son intervention sur un devoir de témoignage, rappelant le pacte historique de ne jamais verser de sang humain, établi entre Félix Houphouët-Boigny et son père, Cheick Yacouba Sylla, pour préserver la paix et l'unité du pays.
- number of pages
- 2
- Subject
- Yacouba Sylla
- Henri Konan Bédié
- Félix Houphouët-Boigny
- Ahmed Sékou Touré
- Colonialisme
- Politique
- Élections
- Violence
- Unité
- Justice
- Language
- Français
- Contributor
-
Frédérick Madore
- Identifier
- iwac-article-0010213
- content
-
AHMADOU SYLLA CONSEILLER À LA PRÉSIDENCE INTERPELLE BÉDIÉ
"De graves périls nous guettent"
Ahmadou Sylla est inquiet. Pour le fils de Cheick Yacouba Sylla, conseiller à la présidence de la République, comme pour beaucoup d'Ivoiriens, le pays est menacé dans sa consubstantielle existence. Alors, il a décidé de parler. Au nom du devoir de témoignage. Afin que la Côte d'Ivoire ne brûle jamais. A travers le texte que nous publions aujourd'hui et demain, véritable voyage à travers le temps, Ahmadou Sylla interpelle le président Bédié sur «les graves périls qui nous guettent». Il lui conseille plutôt de s'appuyer, d'urgence, sur une majorité avertie, «qui sache lire (...) les grands enjeux du futur» et «qui ne fonctionne pas uniquement pour plaire au président».
AHMADOU SYLLA, CONSEILLER À LA PRÉSIDENCE DE LA RÉPUBLIQUE
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Ahmadou Sylla, conseiller à la présidence interpelle Bédié
1- «De graves périls nous guettent»
Ahmadou Sylla est inquiet. Pour le fils de Cheick Yacouba Sylla, conseiller à la présidence de la République, comme pour beaucoup d'Ivoiriens, le pays est menacé dans sa consubstantielle existence. Alors, il a décidé de parler. Au nom du devoir de témoignage. Afin que la Côte d'Ivoire ne brûle jamais. A travers le texte que nous publions aujourd'hui et demain, véritable voyage à travers le temps, Ahmadou Sylla interpelle le président Bédié sur «les graves périls qui nous guettent». Il lui conseille plutôt de s'appuyer, d'urgence, sur une majorité avertie, «qui sache lire (...) les grands enjeux du futur» et «qui ne fonctionne pas uniquement pour plaire au président».
Dieu ordonne à celui qui est témoin de quelque chose de rendre son témoignage, rien que pour l'amour de Dieu et de ne pas le cacher : «Acquittez-vous du témoignage, rien que pour l'amour de Dieu» (sourate 65, verset 2) ; «Ne cachez pas le témoignage ; quiconque le cache a, certes un cœur sécheur» (sourate 2, verset 283).
ENTRE HIER ET AUJOURD'HUI : LA CÔTE D'IVOIRE
Sous la caution de Dieu, la noblesse des liens fraternels qui ont uni Félix Houphouet-Boigny à Cheick Yacouba Sylla, l'exilé de l'intolérance coloniale, l'éthique (en principe) m'interdit tout écart de langage et m'astreint à une obligation filiale de réserve. Simplement, la lecture objective de notre album de vie m'amène à la conclusion filiale suivante, en pensant à Félix Houphouet-Boigny : «Il m'a fait trop de bien pour que j'en dise du mal; il m'a fait trop de mal, pour que j'en dise du bien».
Cependant, tenant de ce même Dieu souverain, ma conscience de citoyen, témoin d'un passé récent, me rappelle que cette obligation de réserve n'est pas synonyme de condamnation au silence. Alors, à l'heure où le pays est, pour l'observateur averti, menacé dans sa consubstantielle existence; le désir- que dis-je, le devoir de témoignage s'impose à moi et l'emporte sur toute autre considération. Lamartine, auquel le poète Barthélemy reprochait d'avilir sa muse par son engagement politique, nous enseigne : «Le poète a le devoir d'oublier son art, quand sa patrie est menacée».
Honte donc à qui peut chanter pendant que Rome brûle !
Puisse le grand principe de l'univers entendre nos prières et faire que la Côte d'Ivoire ne brûle jamais. Dans un monde où l'on attend toujours avant de s'en prendre plus tard à de néfastes effets, je préfère m'attaquer déjà à ce qui pourrait être demain une cause de tels effets. Alors, je lève le doigt peut-être aussi bien pour témoigner de l'unicité de Dieu que pour avoir le droit de prendre la parole comme un élève devant son maître (à vous de choisir). Il est très difficile de parler, surtout pour le sage. Voltaire disait si joliment : «Un oiseau peut se faire entendre après la saison des beaux jours ; mais sa voix n'a plus rien de tendre. Il ne chante plus ses amours». Mais parler est parfois nécessaire, voire indispensable. Hugo en deuil disait tristement : «Entre hier et aujourd'hui, un abîme les sépare : le tombeau».
Hier, le vote de notre parlement sur les dispositions constitutionnelles du code électoral en date du 30 juin 1998 n'a pas manqué de raviver en moi le souvenir d'un certain Conseil national (avec la majorité des sections du parti, des élus et des responsables à tous les échelons), qui avait décidé la condamnation à mort des prisonniers d'As-sabou.
Dans cette quasi-unanimité d'un Conseil national surexcité et présidé par la peur, une voix, seule et forte de sa vérité, noble de sa courageuse conviction, s'était élevée contre cette sentence injuste et hypocrite.
Cette voix majestueusement amplifiée de la dérive sanguinaire et son frère Houphouet des conséquences dangereuses. Cette voix, celle de Cheick Yacouba Sylla, a une histoire puissante, façonnée dans la source des sacrifices consentis pour le triomphe de la foi en le Dieu unique. Le colonialisme, fort de son inculture, était de la partie.
Pour une meilleure compréhension, il sied de remonter à ces temps obscurs où l'homme noir était ravalé au rang de bête, sans instruction, sans culture, tout simplement sans âme.
Tenu pour responsable de troubles à l'ordre public, suite aux événements tragiques survenus à Kaedi (Mauritanie) le 15 février 1930 et au cours desquels cinquante et une personnes ont été abattues et sommairement enterrées dans une fosse commune, le disciple aimé du Chérif Hamahoullah sera empoisonné à Koutiala (Soudan français). Par arrêté administratif du 27 février 1930, une mesure d'internement administratif décidera de son transfert pour huit ans à Sassandra (Côte d'Ivoire). Les motifs de ce transfert furent ainsi libellés : «Malgré sa détention à Koutiala, Yacouba Sylla continue de connaître une grande popularité dans cette région islamiste. Aux fins d'amenuiser son ascendance de mouvement anti-français, le condamné sera transféré à Sassandra en Côte d'Ivoire - région animiste - impénétrable à l'islam» (...)
Grâce à la miséricorde transcendantale du Dieu unique et omniscient qui ordonne, programme et certifie la destinée humaine, Cheick Yacouba Sylla et Félix Houphouet Boigny parviendront à tracer et à affiner le cadre de leur grand dessein pour une œuvre historique et par la suite, le RDA immortalisera ce grand destin. Et, à travers le dialogue, restitué dans sa splendeur par Siradou Diallo dans Félix Houphouet-Boigny, l'homme et sa légende, l'on cernera mieux la voix solitaire du Conseil national dans sa portée historique:
«Sur le point de franchir définitivement le Rubicon politique, il se rend en effet à Gagnoa où il veut consulter le sage et puissant Yacouba Sylla. (...) Arrivé en pleine nuit (...), sans s'annoncer, Félix Houphouet-Boigny lui expose sans détour l'objet de sa visite. «Papa, lui dit-il, mes amis me pressent de faire acte de candidature aux prochaines élections à l'Assemblée constituante française. J'ai beaucoup réfléchi depuis, mais je ne puis accéder à cette demande que si non seulement j'ai ton accord, mais aussi ton soutien total et tes prières». Et, je te le répète, je suis venu en visiteur, en guise de cadeau comme le veut la tradition en pareille circonstance, pousse vers son hôte, deux petites jarres pleines de pépites d'or qu'un de ses accompagnateur a placées derrière lui».
«Je suis désolé, mais je ne puis accepter ton cadeau, lui répond Yacouba Sylla. Garde-le, tu en as plus besoin que moi. Du reste, je veux que tu saches une fois pour toutes que nos excellentes relations ne doivent être fondées ni sur l'or, ni sur l'argent, ni sur un quelconque bien matériel. Je t'encourage à te présenter aux élections et mes prières t'accompagnent. Quel que soit le nombre de concurrents qu'on t'opposera, n'aie aucune crainte, tu l'emporteras. Et tu iras loin, car tel est ton destin. Tes ennemis ne pourront empêcher que s'accomplisse la volonté d'Allah le Tout-puissant. La seule récompense que j'attende de toi, c'est un engagement personnel devant Dieu. Promets-moi que quelles que soient les circonstances et si haut que tu seras placé un jour, tu ne verseras jamais le sang humain». Par la main tendue d'Allah, le Souverain, le pacte ne trébuchera point de 1945 à 1993. Le RDA triompha. Cette glorieuse victoire dissipa un tant soit peu les ténèbres du colonialisme qui avait prêté son nom à l'esclavage, de l'arbitraire et de l'indignité ! Ses acteurs demeurent dans le panthéon de nos mémoires. Comment ne pas avoir une pensée d'hommage et de reconnaissance pour Daniel Ouezzin Coulibaly et madame, Gabriel Dadié, Georges Kassy, Joseph Anoma, Auguste Denise, Ngon Coulibaly, Boubacar Sako, Mamadou Konaté, Modibo Kéita, Sékou Touré, Madeira Kéita, Bacary Djibo, Hamani Diori, Félix Tchicaya, François Tombalbaye, Joseph Correa, Doudou Gueye, Gabriel d'Arboussier, etc. dans la géographie immortelle du RDA.
Pour toutes ces raisons, au sortir du Conseil national (ci-dessus évoqué), il y eut un tête-à-tête entre le Cheick et son frère président, confronté à une tragédie inqualifiable : l'emprisonnement des plus fidèles compagnons de la lutte anti-coloniale, ainsi que de bon nombre de nos concitoyens. Les conditions de détention inhumaines rapportées au chef religieux amenèrent celui-ci à rappeler au chef politique, le serment d'avant les élections de 1945. Le Cheick ne se contentera pas (...) de reprouver fermement la condamnation à mort des frères et sœurs emprisonnés. Il invitera son frère à envisager, le plus rapidement possible, leur libération et la destruction pure et simple de la prison politique de son village.
Fait à Abidjan, le 24 juillet 1998
Ahmadou Sylla
Rassemblement démocratique africain (RDA)
Ancien député du Soudan,
US RDA 1958 - 1961.
Militant PDCI-RDA
01 BP. 4077 Abidjan
◆ Le surtitre et le titre sont de la rédaction
Ahmadou Sylla: «Je lève le doigt pour avoir le droit de prendre la parole»
DEMAIN
DANS LA DEUXIÈME PARTIE, AHMADOU SYLLA AU PRÉSIDENT BÉDIÉ
«Vous avez besoin, d'urgence, d'une majorité parlementaire avertie»


