Article
Sokodé : halte à la manipulation des consciences!
- Title
- Sokodé : halte à la manipulation des consciences!
- Type
- Article de presse
- Creator
- K. A. B.
- Publisher
-
Forum Hebdo
- Date
- January 25, 1991
- pages
- 3
- 4
- number of pages
- 2
- Language
- Français
- Contributor
-
Frédérick Madore
- Identifier
- iwac-article-0008751
- content
-
Sokodé
Halte à la manipulation des consciences !
Une marche de soutien était-elle indispensable pour racheter les « Populations de Tchaoudjo » après les manifestations de mécontentement qui se sont déroulées le 28 novembre 1990 à Sokodé ? Pour les autorités politiques et traditionnelles de la région, peut-être. Que pouvaient-elles faire d'autre pour sauver les apparences ? Elles avaient surtout besoin de minimiser la portée des événements, de marginaliser la jeunesse qui y avait pris part et, comme d'habitude, d'en rejeter les responsabilités sur « nos ennemis qui cherchent à nous diviser ». Cependant, pour une large majorité des ressortissants de la région, la gigantesque marche de Sokodé constitue une trahison et elle n'a pas fini de révolter plus d'un.
Les « Populations de Tchaoudjo » ont surtout déçu tous les Togolais pour avoir refusé d'accepter certaines réalités qui concernent la ville de Sokodé et qui ont été relatées dans le n°21 de FORUM hebdo. Connaissant très bien le milieu dont il est question, je ne tarderai pas à vous affirmer que les raisons avancées par FORUM hebdo pour expliquer les mécontentements des populations de la région sont plus que plausibles.
Pourtant, les Kotokoli et les Kabyè avaient vécu, dans le passé, en parfaite symbiose, en entretenant entre eux des rapports « complexes » dans lesquels une certaine hégémonie des Kotokoli était acceptée par les Kabyè. Il faut reconnaître que le peuple Kabyè n'avait pas toujours été bien récompensé, par certains de ses voisins, pour sa franchise, sa simplicité, sa loyauté et son ardeur dans le travail. Cette situation aurait probablement duré jusqu'à l'arrivée au pouvoir du Président Eyadèma. À partir de ce moment, devait commencer la réhabilitation du brave peuple Kabyè avec pour corollaire, entre autres, le renversement des rapports séculaires qui liaient les Kabyè et les Kotokoli. Mais toute réhabilitation d'un peuple, si elle n'est pas menée avec justice et pondération, peut engendrer au sein de ce peuple des sentiments ambivalents de révolte et de complexes. Cette thèse est très importante pour comprendre comment l'esprit grégaire d'une ethnie pourrait préférer une confrontation armée à une réconciliation nationale. Nous devons dépasser le stade des condamnations pour chercher à COMPRENDRE.
En dehors de l'oubli de la ville de Sokodé au profit de celle de Kara, il faut encore noter une autre raison qui pouvait nourrir les mécontentements des Kotokoli : le choix du Kabyè comme seconde langue nationale représentant le Nord du Togo. (Régionalisme, à bas !). Pour le Kotokoli moyen, c'était une pure injustice dirigée contre sa communauté et cette action n'aurait pas été possible si le Président de la République n'était pas lui-même un Kabyè.
Il y a quelques semaines, le Professeur Akrima KOGOE avait déjà publié un tableau dans lequel il considérait que le Kabyè était l'adversaire du Tem-Kotokoli. Il disait par ailleurs que certaines injustices micro-régionales avaient créé des mécontentements qu'il fallait se dépêcher d'apaiser. Je pose alors les questions suivantes aux « Populations de Tchaoudjo » : Pensez-vous que le Professeur KOGOE (qui est un Kabyè) cherche vraiment à soulever son ethnie contre les Kotokoli ou bien qu'il n'a fait que décrire une situation réelle ? Quelles différences trouvez-vous entre les affirmations du Professeur KOGOE et les analyses de l'article de FORUM hebdo ?
J'ose croire, de toutes façons, que les mécontentements actuels n'amèneront jamais les Kotokoli à haïr les Kabyè. La communauté Tem-Kotokoli étant, comme beaucoup de gens l'ignorent encore, un brassage de tribus diverses, un véritable creuset ethnique, il est absurde qu'elle devienne « tribaliste ».
En réalité, la « mise au point » des « Populations de Tchaoudjo » n'a réussi qu'à exciter la colère de la communauté Kotokoli (la vraie). Il y a donc des problèmes réels qu'il ne faudrait pas chercher à escamoter.
Si donc les médias officiels s'assignent volontiers le rôle de présenter au peuple des façades afin de mieux servir « la politique de l'autruche », il est de la responsabilité de la presse privée d'établir (ou de rétablir) la vérité pour permettre de trouver des solutions adéquates avant que les choses ne se compliquent. Et aussi pour qu'on ne répète pas chaque fois que le Chef de l'État n'est pas au courant de ce qui se passe. Je pense que c'est surtout ce sens du devoir patriotique qui avait poussé FORUM hebdo à publier un article sur Sokodé.
Comment les « Populations de Tchaoudjo » ont-elles compris l'article de FORUM hebdo sur la capitale des Tem ? Pourquoi ont-elles tout de suite pensé qu'on voulait les « amener à se soulever contre les pouvoirs publics » ? Qui leur a inculqué cette citation ? Est-ce là une réaction normale des gens qui se disent mûrs ? Soyons un peu objectifs. Parmi tous les « marcheurs » de Sokodé, combien étaient-ils qui pouvaient lire l'article en question ? Je trouve quand même scandaleux que des paysans et de jeunes élèves soient associés à une mise au point relative à un article dans un journal. C'est cela LA MANIPULATION DES CONSCIENCES.
On pourrait même aller plus loin pour se demander pourquoi les « Populations de Tchaoudjo » n'ont pas usé de leur droit de réponse pour apporter des rectificatifs à l'article qui concerne leur « Capitale du Nord ». Pourquoi la mise au point était-elle adressée au Président de la République ? Il n'y a pas encore très longtemps, se fondant sur des rumeurs qui prêtaient à quelques Kotokoli l'intention de manifester à Lomé dans l'affaire Mè-mène, une énigmatique « Communauté Kotokoli » avait envoyé une lettre au Chef de l'État pour lui « renouveler son soutien indéfectible ». Après ces démarches assez singulières, qui cachent mal des problèmes de fond, on vient encore réciter que nous sommes mûrs et savons où se trouvent nos intérêts. C'EST TRÈS RIDICULE !
Les « Populations de Tchaoudjo » ne sont pas dupes mais elles viennent d'être frauduleusement utilisées par nos « Plus Grands Communs Diviseurs », qui ne pensent qu'à leurs intérêts personnels, pour appuyer une campagne des médias de l'État contre FORUM hebdo. La grande machine de la MANIPULATION a encore fonctionné. Nous connaissons désormais les méthodes de nos cadres du RPT, « Parti d'Union Nationale ».
Mais tout le monde doit savoir que les Kotokoli n'ont pas attendu le RPT pour apprendre à connaître les autres peuples et à fraterniser avec eux. Autrefois, leurs aïeux, grands commerçants, voyageaient beaucoup dans toute la sous-région. Ils allaient vers le Sud, vers l'Ouest, vers l'Est et vers le Nord. Ils rencontraient principalement des MINA, des EWE, des ASHANTI, des YOROUBA, des HAOUSSA et des DJERMA, avec qui ils entretenaient des rapports cordiaux. En outre, le Kotokoli est très mobile : comme le Yorouba ou le Haoussa, il est chez lui partout où il demeure. L'esprit régionaliste qu'on cherche par tous les moyens à introduire dans la Société Tem est absolument contraire à l'héritage culturel de celle-ci.
Dans la guerre déclenchée contre FORUM hebdo, en relation avec les affaires de Sokodé et du ranch de MAROX, la presse officielle a fait un grand bond en arrière. Pour ce qui concerne les « incidents » du ranch de MAROX, on nous a présenté des témoins qui se sentaient « coupables » d'avoir travaillé pour un chef de village. Le comble, c'est cette conclusion qui en est tirée par nos éminents journalistes officiels pour impliquer la responsabilité de FORUM hebdo dans les incidents du 31 décembre 1990. Quelle belle logique ! En tout cas, si nos journalistes continuent à raisonner de cette façon, on ne nous prendra plus jamais au sérieux.
Le dénigrement actuel de la jeune presse privée de notre pays est sans aucun fondement puisque celle-ci reste dans l'ensemble très modérée. Elle ne pouvait faire autrement alors que nous vivons toujours dans un système monolithique.
C'est surprenant cependant que les autorités politiques prennent très au sérieux les tracts anonymes pendant qu'elles n'accordent aucun crédit au travail des journalistes indépendants...
Entre les tracts et une presse responsable, il faut choisir !
K. A. B.