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Pratiques divinatoires : la ruée vers les charlatans
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Burkina Faso
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- Title
- Pratiques divinatoires : la ruée vers les charlatans
- Creator
- Sita Tarbagdo
- Publisher
- Sidwaya
- Date
- August 10, 2000
- Abstract
- Cinq fois par jour, les fidèles musulmans se tournent vers la Ka'ba («l'édifice» sacré de la Mecque) et prient Allah, le Tout miséricordieux. Cette année, ils seront nombreux ces fidèles musulmans burkinabè à se rendre en pèlerinage à la Mecque, manifestant ainsi un acte de foi prescrit par l'Islam. Quel itinéraire doivent-ils suivre pour accomplir un bon hadj?
- Subject
- Marabout
- Language
- Français
- Contributor
- Frédérick Madore
- Identifier
- iwac-article-0002955
- content
-
Au pays des Hommes intègres les populations se complaisent de plus en plus dans des pratiques divinatoires. En effet, il n'est pas rare de voir aux carrefours de certaines rues des grandes villes du Burkina des sacrifices bien insolites. Pourquoi sont-ils l'objet d'un engouement extraordinaire?
Une tête et une queue de bœuf «noir dans un gros canari contenant divers autres objets (cauris, aiguilles, viande découpée en morceaux... ) »! C'est le colis que des passants ont découvert un matin à l'intersection de deux avenues à grand trafic de la ville de Ouagadougou. Selon des témoins de la scène, des jeunes qui prenaient du thé à proximité des lieux, le paquet insolite a été débarqué aux environs de 3 heures du matin d'un véhicule luxueux qui, après «son forfait» a vite fait de se fondre dans la nature.
On ne saura sans doute jamais les auteurs de cet étrange dépôt. Sur les motivations de leur geste, les commentaires sont allés bon train, les uns tout aussi imaginatifs et pertinents que les autres. «C'est à coup sûr pour conjurer le péril lié à la crise nationale» soutiennent les uns. «Ça! ça doit être l'œuvre d'un politicien qui veut en découdre avec son adversaire», affirment les autres. «Non, c'est certainement un homme d'affaires qui veut faire prospérer ses affaires.... Oh non! C'est un délinquant à col blanc qui cherche à échapper aux mailles du filet» argumentent certains autres.
Une chose est certaine, tous s'accordent à dire que ce n'est pas un fait, encore moins un acte anodin. Et les auteurs ne peuvent être que des gens d'une certaine aisance dans la mesure où il n'est pas donné à n'importe qui au Burkina (conjoncture économique oblige) de se procurer une tête de bœuf. Beaucoup sont ceux-là en tout cas qui l'auraient préférée dans une marmite à cuisson, à l'abri des regards indiscrets, que dans un canari à l'intersection de rues.
En attendant d'interroger l'ineffable pour percer le mystère, le phénomène des sacrifices insolites continue son bonhomme de chemin au Burkina Faso.
A Koudougou, les populations ont encore en mémoire cet autre curieux sacrifice: une mobylette P50 flambant neuf à laquelle on a attaché un chien noir, avec à côté la somme de 5020 F CFA.
Le tout nuitamment déposé à l'intersection de deux routes. Une aubaine que même les voleurs n'ont pas daigné toucher.
Il a fallu, avant que la police n'emporte le fameux butin au commissariat, faire recours aux gardiens des coutumes du terroir pour des sacrifices préalables. Là encore, les langues s'accordent à dire que «c'est tout sauf un sacrifice de pauvre». Le mystère lui, reste entier. Le dernier acte qui délie les langues des Burkinabè, c'est sans conteste ce cadeau offert à un directeur général à l'occasion de l'anniversaire de la société qu'il dirige. Le présent, savamment emballé dans un carton était composé d'une tête de bélier sur laquelle trônaient des cornes.
Le cadeau en putréfaction lui a été remis un beau matin par une personne enturbannée et tout de blanc vêtu. Ce dernier a fait admettre au directeur général qu'il agissait au nom d'un de ses amis haut placé. A peine son colis réceptionné que l'envoyé spécial se volatilisa dans la nature. Mais désagréable fut la surprise du directeur général quand celui-ci déballa le colis. Il se lança à la recherche du porteur, mais trop tard. Depuis lors, le «grotto» est plongé dans des interrogations et des cauchemars sans fin.
Les sacrifices d'œufs, de galettes, de cauris, d'étoffes, de mil, de cola, de calebasses neuves, de canaris, de pièces d'argent, etc., sont aujourd'hui monnaie courante au Burkina Faso. A telle enseigne qu'ils n'attirent même plus tellement l'attention des Burkinabè. Et pourtant, ce sont des pratiques qui témoignent du fait qu'à défaut de solutions réalistes à leurs problèmes, nombre de Burkinabé préfèrent se fier à l'autel de la divination. On les rencontre alors chez les marabouts, les charlatans, les devins et autres prédicateurs. Auprès d'eux, ils recherchent des thérapeuties appropriées pour panser leurs maux, transformer leurs désespoirs en espoirs, se donner des assurances dans la vie et surtout se prémunir des mauvais sorts ou pour tout simplement s'attirer les faveurs et les bonnes grâces.
Au Burkina Faso, les adeptes de la divination se recrutent dans les différents milieux (analphabètes, intellectuels) et dans les différentes catégories socioprofessionnelles.
De tous les âges (jeunes, vieux) et de tous les sexes (femmes et hommes), ils vont vers ces «détenteurs de pouvoirs» dans l'espoir et l'espérance de la résolution de leurs problèmes. Le plus souvent, ces adeptes sont d'extraction sociale moyenne dont la majeure partie provient du secteur tertiaire (employés, dactylographes, infirmiers, militaires, paramilitaires, techniciens, cadres moyens... ). La frange scolaire et les ouvriers ne sont pas épargnés par l'attrait des forces surnaturelles. En milieu rural les adeptes sont essentiellement les ménages et les paysans. Une journée passée au côté d'un charlatan, à l'abri des regards indiscrets, nous a permis de constater que les femmes fréquentent «les lieux» plus que les hommes.
Chez le charlatan, pour quoi faire?
Un ensemble de raisons et de motifs justifient la ruée vers les pouvoirs surnaturels. Ces motifs et raisons diffèrent selon les individus et les sexes.
Du côté des femmes, l'enfer de la polygamie, les déceptions sentimentales, les scènes de jalousie, le fardeau des divorces, les problèmes de veuvage, les problèmes de foyers, de mariage, les difficultés matérielles et financières, les besoins de promotion professionnelle ou amoureuse, les turpitudes de la vie quotidienne sont autant de tourments qui créent chez les femmes burkinabé le besoin de consulter un marabout, de se confier à un charlatan ou de s'ouvrir à un devin. Auprès d'eux, elles recherchent des remèdes pour résoudre des problèmes de santé, des cas de stérilité, des problèmes de coépouses, de maîtresses, de mari, de mariage...
Ainsi, témoigne madame O.N, «parles soins de ma tante, j'ai fait la connaissance d'un marabout. Etant la risée de tout le village parce que mariée depuis 8 ans, sans enfant, je cherche par tous les moyens à en avoir. Ma tante m'a conseillé son marabout. Il m'a remis des trucs... et l'espoir est permis».
Du côté des hommes, les raisons qui les poussent vers les charlatans, marabouts, et autres devins sont essentiellement la question professionnelle, les problèmes de santé, de réussite sociale, de détournement ou trous de caisse, d'impuissance sexuelle... La recherche d'une place ou d'une promotion à un poste juteux, le besoin de se faire valoir, le désir de la femme de son rêve sont là aussi autant d'angoisses qui orientent bien d'hommes vers les forces et les pouvoirs dont se réclament détenir les charlatans et autres marchands d'illusions.
S. C. l'a appris à ses dépens. En effet, comptable de son état, il a eu à commettre des malversations importantes. Sentant l'inspection d'Etat à ses trousses, il a vite fait de faire recours à un marabout très renommé. Malheureusement pour lui, les amulettes, les potions et les sacrifices de volailles, de cola blanche et de cotonnade n'ont pu rien arrêter.
Aujourd'hui, S. C croupit entre quatre murs en attendant que la justice se penche sur son cas.
I.S lui, semble avoir eu plus de chance: « après cinq ans de chômage, je viens d'avoir un emploi dans une boulangerie de la place. Ma nouvelle situation, je la dois à la compétence d'un oncle, un homme rompu au maraboutage ».
Quant à E.T, un paysan de profession, les pratiques divinatoires font désormais partie de sa vie au quotidien. A preuve, souligne-t-il « Je n'entreprends rien dans la vie sans consulter le sable ou les cauris. Ça me trompe rarement ».
Du côté de la frange jeune, ce qui guide généralement les pas des adeptes des rites divinatoires, ce sont les questions de réussite sociale, d'amour perdu, d'emploi, de santé, le besoin de mieux paraître, le goût affiné de la grandeur... Auprès du charlatan, les jeunes recherchent les chances de la réussite, les assurances du succès. N. P était en classe de terminale. Il a passé plus de temps chez le marabout du secteur que sur les bancs de l'école. La raison, « // paraît que c'est un homme bien. Il a promis m'aider avec un wack pour avoir le Bac... En contrepartie, je lui ai remis la somme de vingt-cinq mille (25 000) francs CFA et un boubou ». Aujourd'hui l'élève a les larmes aux yeux: «le Bac m'a échappé de très près»
Aux coins des «ténèbres»
Face à leurs patients ou patientes «les hommes des ténèbres» essaient, par un art que eux seuls maîtrisent, de concilier le réel et le rêve, d'approcher la réalité et l'imagination, de conjuguer le naturel et le surnaturel. Par cet art, ils arrivent à consoler les âmes sensibles, les coeurs meurtris qui ont du mal à s'adapter ou à vivre dans un environnement qu'ils croient les rejeter. Les consultations se déroulent le plus souvent dans un endroit isolé, soigneusement aménagé pour les besoins de la discrétion et de la mystification. Le décor y est généralement impressionnant: Une peau de cabris par-ci, une queue de buffle par-là, des canaris de potions un peu plus loin, du sable sur une peau spéciale... Par ce décor on ne peut plus singulier, le visiteur est tout de suite séduit, apeuré et finalement mis en confiance.
«La première fois que j'ai mis les pieds chez le devin du village, confie A. K, « j'ai été impressionné par son accoutrement et les objets bizarres qui meublaient sa case. Vraiment ça fait peur
C'est là, dans ce décor insolite que le marabout, le charlatan ou le devin accueillent leurs patients (es). En fins psychologues, ils interrogent l'ineffable, scrutent les objets qui composent le décor, interrogent les visiteurs.
Faisant preuve d'imagination et de tacts, ils arrivent de façon approximative (et avec votre complicité bien sûr) à trouver les raisons ou l'objet de leurs visites. Quelquefois, sans même que le visiteur n'ait eu à dire quelque chose. Rien de bien spécial dans la méthode. Car, que va faire un élève chez un charlatan si ce n'est pour réussir à son examen? Que va chercher une fille désespérée chez un marabout si elle n'est pas à la recherche de l'homme de son cœur? Que va faire une jeune femme chez un charlatan si ce n'est pour avoir l'affection de son mari «polygame»? Enfin, que va faire un jeune fonctionnaire ou un commerçant chez un marabout si ce n'est pour une promotion ou pour voir prospérer ses activités? Bref, les exemples sont nombreux et édifiants.
Ainsi revèle P. I., «au village, nous sommes obligés de cotoyer les détenteurs de pouvoirs occultes car, on ne sais jamais... les gens sont capables du pire. Il faut alors se «wacker» pour défier et dévier les mauvais sorts».
En «frappant» dans le lot des raisons susceptibles de pousser les gens vers les forces surnaturelles, les charlatans et autres sont à 90% sûrs de ne pas se tromper. Ils ont le bon flair et savent en faire bon usage.
Généralement, ceux ou celles qui fréquentent les charlatans et autres ne le font pas à n'importe quelle heure. La discrétion commande des moments convenables: soleil couchant, nuit noire, tôt le matin.
Demandez leur la lune, ils vous la promettront
Dans le milieu du charlatanisme, la modestie n'est pas souvent de mise. A preuve, demandez à un charlatan la lune, il vous la promettra. En effet, ces détenteurs de pouvoirs se réclament capables de toutes les prouesses pour peu qu'on leur fasse confiance.
A travers un langage fait de charabia, ils cherchent à soulager leurs patients (es) de leurs maux, même les plus inimaginables. A leur manière, ils diagnostiquent toutes les situations et leur trouvent des solutions acceptables. Spécialistes de tout et en tout, ils écoutent leurs patients (es), qui vous fixant du regard, qui interrogeant par moment les cauris, qui autre en sursautant ou en dodelinant la tête.
A la fin, la thérapeutique tombe. Elle varie selon la tête du client. D'une manière générale, l'ordonnance prescrit le sacrifice d'un coq blanc, de colas, de galettes, de morceaux d'étoffes, d'un mouton de tel ou tel pelage, d'un bœuf ou d'un âne, etc. Ces sacrifices sont à offrir soit à des mendiants ou des nécessiteux, soit à des mères de jumeaux ou, si le sacrifice est «lourd», à une personne dont la description n'est autre que lui-même. Certains sacrifices ont pour lieux de prédilection les termitières, les carrefours, les cimetières, les clairières... D'autres charlatans prescrivent à leurs clients des potions magiques, des racines, des amulettes ou des incantations. Dans tous les cas, de chez le marabout ou le devin le patient ne ressort jamais sans rien, ne serait-ce qu'une petite «ordonnance». De quoi le réconforter.
Malheureusement, ces gens-là ne manquent pas au passage de vous mettre en garde contre tels ou tels voisins, telles ou telles coépouses, tels ou tels collègues de service, etc. Ils sont indexés souvent comme étant à la base des maux dont souffre le patient. C'est alors le top de départ des rancœurs, des méfiances, des médisances, des attitudes de rejet.
Parfois, on s'en fait des ennemis pour rien.
Rien de gratuit!
Dans le milieu, la consultation n'est jamais gratuite.
Certains vous fixent un prix, d'autres préfèrent vous laisser agir en espérant gros.
Le prix de la consultation est fixé dans bien de cas en fonction du rang social du client, de son apparence souvent, en tenant compte de ce qu'il demande comme service surtout. La note est quelquefois salée. Comme en témoigne cette dame venue solliciter auprès du marabout l'amour de son homme idéal: «j'ai vendu mes bijoux et quelques pagnes wax pour satisfaire à la facture du marabout qui remontait à plus de 100 000 F CFA. Mais jusque-là l'homme que je désire ardemment ne s'est pas encore décidé. Mais selon le marabout cela ne va pas tarder. »
Dans certains cas (stérilité par exemple) certains charlatans n'hésitent pas à abuser des pauvres femmes en quête d'enfant. Le langage est bien connu: «c'est de toi à moi». Le résultat aussi, on le connaît: on abuse d'elles et point d'enfant.
Parmi les victimes des marabouts, figurent aussi des commerçants avides de gains faciles. En effet nombreux sont ceux-là qui se sont fait rouler en voulant se faire multiplier leurs billets de banque. Ils l'ont appris à leur dépens. Ces marabouts, à défaut de pouvoir leur multiplier l'argent, se sont enfuis avec le pactole.
Ainsi, les larmes aux yeux, F. D venu déposer une plainte au commissariat, révèle qu'«un homme se reclamant capable de multiplier l'argent m'a escroqué plus d'un million de F CFA. A la place, il ne m'a laissé que ce paquet plein de coupures de papiers»
Les carrières de ces genres de marabouts et autres, on ne les connaît pas. Leurs secrets, ils ne vous les révéleront jamais. Ce que l'on sait d'eux, c'est que le plus souvent, ils n'opèrent pas dans leur milieu d'origine, ils viennent toujours de loin. Sans doute pour ne pas révéler leur vrai visage de «véritable escroc». Escroc! C'est bien le cas! Si vous n' y croyez pas. «Videz votre caisse pour tenter votre chance avec ces marchands d'illusions se disant capables de multiplier les billets de Banque»! Vous apprendrez le lendemain qu'ils ont pris la clef des champs avec le pactole.
Ils changent de villages, de villes ou même de pays quand ils sentent qu'on commence à douter de leurs compétences ou de leur bonne foi.
Tant que tout va bien, c'est pour eux la poule aux œufs d'or. S'ils tombent dans les mailles du filet, alors là, ils passeront des jours entre quatre murs à méditer sur leur propre sort. Quel métier à risques!
Les bons marabouts, devins, ou charlatans existent certes, mais ils se comptent sur le bout des doigts. Ils agissent généralement pour les « grands ». Nul doute qu'avec les municipales qui s'annoncent beaucoup ne chômeront pas.
Sita Tarbagdo
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