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À propos des accusations d'intégrisme musulman en Côte d'Ivoire. M. Laurent Gbagbo (Secrétaire général du FPI) : "La grogne des citoyens abandonnés au Nord n'est pas de l'intégrisme musulman"
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- Title
- À propos des accusations d'intégrisme musulman en Côte d'Ivoire. M. Laurent Gbagbo (Secrétaire général du FPI) : "La grogne des citoyens abandonnés au Nord n'est pas de l'intégrisme musulman"
- Publisher
- La Voie
- Date
- February 10, 1995
- Abstract
- Depuis hier, nous proposons l'interview que M. Laurent Gbagbo, Secrétaire général du Front populaire ivoirien, nous a accordée. Si dans la première partie de cet entretien, M. Gbagbo a longuement expliqué les actions menées par son parti depuis son dernier congrès. Ici, il s'étend sur les accusations du pouvoir qui persécute les musulmans au nom d'un combat contre l'intégrisme. En économie, M. Gbagbo dit son opposition à la suppression pure et simple de la Caisse de stabilisation.
- Page(s)
- 2
- 3
- number of pages
- 2
- Subject
- Idriss Koudouss Koné
- Balla Keita
- Front populaire ivoirien
- Laurent Gbagbo
- Rassemblement des républicains de Côte d'Ivoire
- Parti démocratique de Côte d'Ivoire
- Intégrisme
- Bernard Yago
- Conseil National Islamique
- Language
- Français
- Contributor
- Frédérick Madore
- Identifier
- iwac-article-0007921
- content
-
Depuis hier, nous proposons l'interview que M. Laurent Gbagbo, Secrétaire général du Front populaire ivoirien, nous a accordée. Si dans la première partie de cet entretien, M. Gbagbo a longuement expliqué les actions menées par son parti depuis son dernier congrès. Ici, il s'étend sur les accusations du pouvoir qui persécute les musulmans au nom d'un combat contre l'intégrisme. En économie, M. Gbagbo dit son opposition à la suppression pure et simple de la Caisse de stabilisation.
La Voie : Monsieur le Secrétaire général, au sortir du congrès extraordinaire du FPI, un de vos militants, Georges Coffi, a fait des déclarations qui ont quelque peu troublé les autres militants. Aujourd'hui, il va un peu plus loin en annonçant que vous voulez le tuer. Que vous inspirent ces déclarations ?
M. Laurent Gbagbo : Oui, j'ai lu dans un journal l'article révélant que j'ai présidé une réunion dont l'objet était l'assassinat du monsieur dont vous parlez. La seule observation que je voudrais faire, c'est qu'ils commencent à être nombreux les hommes qui disent que le FPI veut les tuer. Il y a le préfet de Gagnoa, le ministre de la Culture et ce monsieur de Cocody. La seule question que je me pose est la suivante : n'y a-t-il pas un lien organique entre les déclarations de ces trois messieurs ?
L.V. : Vous étiez tout récemment chez l'Imam Koné Idriss Koudouss, Président du Conseil national islamique. De quoi a-t-il été question ?
L.G. : J'étais absent quand l'Imam Koudouss a été victime d'une tentative d'enlèvement. Aussitôt, mon parti a dépêché chez lui une délégation pour lui témoigner notre amitié fraternelle et notre solidarité. C'est le minimum que nous puissions faire dans la vie que nous nous sommes tracée. À mon retour de tournée, j'ai voulu ajouter une note personnelle et avec des amis, nous sommes allés saluer Idriss Koné.
L.V. : L'enlèvement manqué de l'Imam Koudouss pose toujours le problème de la persécution de la communauté musulmane par le pouvoir...
L.G. : Je voudrais, là-dessus, vous dire que dans un pays, dès qu'un pouvoir s'attaque à des représentants des cultes, c'est qu'il n'y a plus de limite. Le sacré est pour l'homme, une barrière immatérielle plus solide que les barrières matérielles. C'est le sacré qui maintient la morale qui est, elle-même, à la source de toutes les lois qu'une société se donne. Or dès l'instant où on défonce le sacré, on viole la morale, cela veut dire qu'il n'y a plus de barrière.
En 1992, déjà, j'avais été étonné par une lettre burlesque publiée par Balla Keita (ancien ministre de l'Éducation nationale - NDLR) contre le cardinal Yago et j'avais été fier de voir la levée de boucliers des intellectuels chrétiens pour défendre le cardinal Yago, mais surtout pour défendre le sacré. Dans le cas d'Idriss Koné, je suis fier de voir le Cardinal Yago défendre, à son tour, le sacré en allant saluer le chef religieux musulman.
L.V. : Puisque les persécutions contre le Conseil national islamique ne cessent pas, que compte faire, politiquement, le FPI pour éviter qu'il y ait des dérapages ?
L.G. : Ce que nous pouvons faire, c'est de dénoncer ces exactions, ces agressions. C'est inadmissible de voir des policiers s'introduire dans une mosquée sous prétexte de contrôler des cartes de séjour. Cela sous-entend que pour ces gens, le mot musulman est synonyme d'étranger. Les tenants du pouvoir actuel ont une démarche assez bizarre vers la communauté musulmane. On ne peut pas, par exemple, dire qu'on aime une communauté, lui offrir un terrain pour construire une mosquée et se retourner pour la brimer. C'est difficile à comprendre.
M. Laurent Gbagbo : "Je ne crois pas à l'intégrisme religieux en Côte d'Ivoire."
L.V. : Monsieur le Secrétaire général, les tenants du pouvoir actuel pensent qu'il y a une menace d'intégrisme musulman en Côte d'Ivoire. Quel est votre avis ?
L.G. : Vous posez là deux questions en une seule. D'abord, est-ce qu'il y a une menace d'intégrisme et de deux, s'il y en a une, que faut-il faire ? Pour ce qui me concerne, je n'ai pas encore vu de menace d'intégrisme en Côte d'Ivoire. Et le séminaire que nous avons fait à Bouaké (NDLR : 24 et 25 septembre 1994) pour connaître le monde musulman a été très important pour moi. Ceux qu'on appelle aujourd'hui les "Dioulas" constituent une juxtaposition de la culture islamique véhiculée par le Coran et la culture mande trouvée sur place. En Afrique noire, ce mélange ne semble pas encore capable de produire le détonateur qu'on appelle l'intégrisme.
Beaucoup de gens du Nord qui se plaignent le font simplement parce qu'ils sont du Nord et non parce qu'ils sont musulmans. Or, en réalité, lorsque vous regardez les infrastructures dans le Nord, vous vous rendez compte que cette région a été moins dotée que le Sud forestier de la Côte d'Ivoire. Depuis la colonisation, le Sud forestier a eu le bois, le palmier à huile, le cacao, le café, le caoutchouc, l'ananas, etc. Donc les investissements de l'État, en matière de routes, d'écoles ou d'hôpitaux, qu'il s'agisse de l'État colonial ou de l'État Houphouëtiste, se sont plus effectués dans le Sud forestier que dans le Nord, région de savane. On n'a pas besoin d'être musulman pour le savoir parce que c'est évident. Il faut que les gens voyagent pour s'en rendre compte eux-mêmes. J'ai fait une semaine à Odienné, au cours d'une tournée, sans avoir rencontré mon cortège et moi, plus de cinq véhicules. Non, les gens du Nord ne se plaignent pas parce qu'ils sont musulmans, mais ils ont été délaissés. C'est cela qu'il faut comprendre. Il ne faut pas confondre la grogne des citoyens des zones abandonnées
La prévision de l'intégrisme passe par un traitement équitable des religions
avec la montée d'intégrisme islamique.
À côté de cela, il faut comprendre que la christianisation est venue avec le colonialisme qu'elle a contribué à privilégier par rapport à l'Islam, si nous n'avions pas été colonisés, mes parents par exemple ne m'auraient pas conduit jusqu'à la communion et je ne serais sûrement pas catholique et n'auraient pas été catholiques et n'auraient pas connu la religion qui a baptisé. Le pouvoir colonial a privilégié le christianisme mais le pouvoir houphouétiste n'a pas ouvert les yeux sur un certain nombre de revendications élémentaires des musulmans : leurs voyages à la Mecque, donc la présence de diplomates de la Côte d'Ivoire en Arabie Saoudite et inversement. Cela n'est pas fait et les musulmans allant à la Mecque cherchent encore des visas auprès des maliens et des sénégalais. Et ces problèmes sont légions. Les musulmans qui se plaignent ne posent en fait qu'un problème de traitement égal entre les religions, c'est tout. Cela ne s'appelle pas intégrisme.
L.V. : Pour vous, qu'est-ce que l'intégrisme, comment se manifeste-t-il ?
L.G. : J'appelle intégrisme l'organisation de gens appartenant à une religion et désirant mettre la main sur le pouvoir d'État pour remplacer les lois de l'État par les lois de la religion. C'est ce qui provoque les guerres de religion. Dans le christianisme, un des moments les plus inoubliables de l'intégrisme, c'est la Saint-Barthélemy en 1572, quand les catholiques ont décidé de massacrer tous les Protestants.
En Côte d'Ivoire, je n'ai pas encore vu les musulmans ivoiriens demander à remplacer les impôts par la zakat ou le code pénal par la Charia. Je crois qu'il faut cesser de se faire peur pour rien.
L.V. : Mais si l'intégrisme existait, que faudrait-il faire ?
L.G. : Je dis que notre loi fondamentale n'autorise pas les punitions collectives. Si quelqu'un pose un acte de violation des lois ivoiriennes, en voulant les remplacer par les lois religieuses, que ce soit chez les musulmans ou chez les chrétiens, il faut le désigner et lui appliquer les lois ivoiriennes. Sinon, on ne peut pas, tout de go, jeter l'anathème sur toute une communauté en lui prêtant des intentions qu'elle n'a pas.
Je pense que l'intégrisme n'existe pas en Côte d'Ivoire et que sa prévention, c'est d'être juste dans le traitement des religions. Il ne faut pas pousser les musulmans à avoir une mentalité de tribu assiégée.
L.V. : Dans le domaine des persécutions, se trouve M. Alassane Dramane Ouattara, ancien Premier ministre, soupçonné d'être un potentiel candidat aux élections présidentielles. Il est aujourd'hui victime d'une volée de bois vert dans la presse écrite proche du pouvoir., Quel sentiment éprouvez-vous face à ce constat ?
L.G. : Ecoutez, cela ne m'inspire rien de spécial. Je crois simplement que les tenants du pouvoir ont peur. Ils ont vraiment très peur.
Quant à moi, j’avais déjà indiqué que j’entretenais des rapports amicaux avec M. Alassane Dramane Ouattara. Pour ce qui est de sa candidature aux présidentielles, c’est un problème interne au RDR. En ce qui me concerne, je réaffirme que pour la clarté du débat politique, il faut au moins trois candidatures reflétant les grands courants de pensée, gauche, centre, droite. Il y ava de l’intérêt de notre démocratie.
L.V. : Pensez-vous que M. Alassane Ouattara a des chances d'être candidat ?
L.G. : Moi, je souhaite que le RDR ait un candidat, tout comme le PDCI et le FPI, pour les élections présidentielles afin que l'électorat ivoirien éclate en trois et que le deuxième tour tranche. Maintenant, vous me demandez si Alassane Ouattara a des chances d'être candidat. Eh bien, cela ne regarde que lui. Moi, je lui ai déjà dit que je souhaite qu'il soit candidat aux élections présidentielles. Je lui ai dit que sa candidature ne me gêne pas du tout. Le reste lui appartient. C'est à lui de décider.
L.V. : À quelques mois de ces élections, quel est l'état d'esprit de votre Parti ?
L.G. : Nous attendons ces élections, nous étudions ce code électoral mais il faut reconnaître que nous ne sommes pas encore bien fixés parce que nous ne savons pas précisément ce que le PDCI veut. Ils disent une chose et le lendemain ils disent son contraire. Ils ont dit que la présence d'observateurs étrangers équivalait à brader la souveraineté puis ils ont dit que les observateurs viendront. Ils ont dit que le RDR ne devait pas participer aux commissions électorales puis ils l'ont finalement admis. Cela perturbe un peu les esprits parce qu'on ne sait jamais où on en est avec eux. Pour le moment, nos militants s'apprêtent et partout où je passe, je demande à tous les cadres du FPI d'aider ceux des électeurs qui n'ont pas de carte d'identité à s'en procurer et à se faire inscrire sur les listes électorales.
L.V. : Le gouvernement a procédé récemment à une hausse du prix d'achat du café aux producteurs et tout laisse croire que l'effort est insuffisant. Que pourrait proposer le FPI s'il était au pouvoir ?
M.L.G. : Il faut d'abord comprendre que le compte n'y est pas encore. Sur le marché international, le prix du café a flambé et le kilogramme de café est vendu à plus de 2000 F.CFA. Si le FPI était au pouvoir, le paysan aurait touché 1000 FCFA par kilogramme de café. C'est le minimum quand on prend la moyenne, de 2000 FCFA sur le marché international. Après les 1000 FCFA perçus directement par le paysan, 15% prélevés sur le reliquat serviraient à alimenter la caisse d'assurance-maladie. Cela ferait près de 100 milliards de FCFA pour l'année 95, seulement. Mais comprenez encore que nous ne sommes qu'au seul niveau du café et du cacao, alors que nous savons que la banane, l'ananas, le caoutchouc, etc, permettraient aussi d'alimenter la caisse d'assurance-maladie... C'est cette politique-là que nous allons présenter à la population contre le bilan du PDCI. Il faut que le paysan ivoirien bénéficie de la flambée des prix et qu'il soit effectivement soutenu par la Caisse de Stabilisation quand les prix chutent.
L.V. : Monsieur le Secrétaire général, les institutions internationales prônent, en ce moment, la suppression de la Caisse de stabilisation. Quel est votre avis sur la question ?
M.L.G. : Parlons plutôt du monde paysan et des planteurs ivoiriens. Les Etats-Unis sont le premier producteur mondial de céréales. 1% de leur population s'adonne à ces cultures. Les producteurs de céréales ont réussi à constituer un lobby puissant qui pèse sur les décisions prises dans ce secteur. La Côte d'Ivoire est le premier producteur mondial du cacao. 3ème ancien producteur et maintenant 7ème producteur mondial de café. Elle occupe un rang respectable pour le coton. Plus de 50% de sa population s'adonnent à ces cultures. Ces populations n'ont pas réussi à former un lobby. La caisse de stabilisation n'est pas au service des paysans mais plutôt au service de l'Etat. Il est à rappeler qu'à l'époque coloniale, les planteurs européens avaient réussi à constituer un lobby. Notre vision, c'est que les paysans et les planteurs soient maîtres de la commercialisation de leurs productions. Ils doivent donc former des coopératives. Ces dernières doivent être aidées à mieux s'organiser pour se doter de structures performantes pouvant prendre en main la vente de leurs produits. La caisse de stabilisation doit se limiter à la protection du marché, à l'information élargie des coopératives, en fait, jouer le rôle d'expert conseiller auprès des organisations des producteurs. Sans un monde paysan bien structuré et puissant, le développement n'est pas possible. Le planteur ivoirien est un homme fier et digne et voir qu'il se trouve dans l'obligation aujourd'hui, à l'aide de paniers de sacs ou de tout moyen de conditionnement de fortune, emprunter les pistes, les sentiers, voire les pirogués, aller chez les voisins pour trouver un prix rémunérateur à son produit. C'est proprement déplorable. Et dire même qu'on fait les lois pour les sanctionner. Dans notre schéma d'industrialisation de la Côte d'Ivoire, les paysans seront les interlocuteurs directs des industriels. Il faut donc qu'ils soient organisés pour défendre leurs intérêts.
Le paysan ivoirien doit bénéficier de la flambée des prix du café.