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Sacrilège et profanation à Abobo. Pour une histoire de carte de séjour : les policiers gazent des musulmans dans une mosquée
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- Title
- Sacrilège et profanation à Abobo. Pour une histoire de carte de séjour : les policiers gazent des musulmans dans une mosquée
- Publisher
- La Voie
- Date
- June 11, 1994
- Abstract
- On savait la Côte d'Ivoire engagée dans un cycle de pression aveugle. Cependant, personne n'imaginait que des lieux saints n'allaient pas être épargnés. Avec la pluie de milliards, on imaginait le gouvernement de Bédié loin des "petits sous" de la carte de séjour. Sur ces deux points, des musulmans d'Abobo ont payé le prix fort hier midi...
- Page(s)
- 1
- 2
- 3
- number of pages
- 3
- Language
- Français
- Contributor
- Frédérick Madore
- content
-
Des musulmans gazés à la mosquée
On savait la Côte d'Ivoire engagée dans un cycle de pression aveugle. Cependant, personne n'imaginait que des lieux saints n'allaient pas être épargnés. Avec la pluie de milliards, on imaginait le gouvernement de Bédié loin des "petits sous" de la carte de séjour. Sur ces deux points, des musulmans d'Abobo ont payé le prix fort hier midi...
Le poignet gauche d'un Burkinabè, Soumana Traoré, brisé par un coup de crosse; Amadou Diakité blessé aux testicules et saignant, l'arcade sourcilière droite tuméfiée; la vieille Madjata Barro, 80 ans environ, battue avec une plaie du côté droit de son front; des contusions multiples aux membres, sur le corps, à l'œil pour d'autres dont Bandiougou Bamba, Karamoko Ouattara, Amadou Soumahoro, Seydou Quattara, Fatou Diallo et, enfin, onze personnes interpellées.
Voilà le triste bilan, visible sur place, de la descente policière musclée dont ont été victimes hier midi, alors même qu'ils étaient en pleine prière du vendredi, dans leurs deux mosquées contigues, l'ancienne et la nouvelle en construction, les fidèles musulmans d'Abobo Banco II, non loin du rond-point de la gare de taxis d'Abobo.
L'indignation était à son comble hier à la Mosquée
L'atmosphère est à la fois à l'émoi, à l'indignation et à la colère lorsque, alertée par un fidèle, l'équipe de reportage de "la Voie" arrive sur les lieux que s'apprête à quitter Adama Sanogo, député-maire d'Abobo, venu aux nouvelles. C'est El Hadj Diarra Sékou, imam de cette mosquée, qui, ayant juré devant Allah de dire la vérité, explique ce qui s'est passé:
"J'étais avec certains fidèles à l'intérieur, le gros du monde se trouvant dehors quand un vent d'agitation a traversé la foule; puis j'ai entendu des grenades lacrymogènes tonner. La fumée, piquante, a envahi l'air. Nous avions du mal à respirer et à ouvrir les yeux. Puis des policiers en tenue, portant des casques avec visières, ont fait irruption dans les deux mosquées, bâtonnettes et pistolets au poing. Au passage, les policiers ont demandé sa carte de séjour à un fidèle. Ils ont tiré sur lui dans la bousculade avant de le frapper, avec la crosse d'un pistolet, si fort qu'il lui ont brisé le poignet.
Ce n'est pas leur première descente au moment où nous prions. Vendredi dernier, ils étaient encore là. Ne pouvant plus supporter pareille tribulation, nous en avons parlé à Brahima Traoré, chef des imams d'Abobo, qui était chargé d'en parler au maire. Et voilà ce qu'ils sont venus faire encore aujourd'hui."
Chacun dans la foule excitée veut parler, expliquer ce qui s'est passé. Vassidiki Konaté réussit à lancer: "C'est bien la 4ème fois que ces "cafres" viennent dans cette mosquée, toujours pour les cartes de séjour. A tout moment de la journée, ils sont là, nous harcèlent. Et quand bien même vous leur présentez votre carte de séjour, ils vous soutirent de l'argent".
Quelqu'un est allé chercher la vieille Madjata Barro chez elle et la pousse au milieu du cercle qui s'est formé autour des reporters de "la Voie". Dire que les policiers ont pu porter main sur cette octogénaire ! Son front portant une plaie qui saigne encore en témoigne.
Plus loin, dans l'enceinte de la mosquée, où prient des musulmans dont certains reviennent fraîchement de la Mecque, le spectacle du poignet gauche brisé du Burkinabè Soumane Traoré fait pitié à voir. Surtout que, stoïquement, cet homme d'environ 70 ans supporte sa douleur, attendant que la presse vienne constater le foutu coup que les policiers lui ont fait pour en rendre témoignage. Il confirme les propos de l'imam : "Quand j'ai vu le policier venir, je lui ai présenté mon ancienne carte de séjour qui est périmée depuis le 8 mars passé, de même que le récipissé de ma nouvelle carte de séjour. (NDLR : n° 1014293831). Pendant que je lui disais : chef, j'ai mes papiers, il a tiré trois fois en ma direction et je crois que j'ai été sauvé par la bousculade. Puis, comme je tenais le papier en main, le bras levé, il m'a frappé avec la crosse de son fusil".
Quant à Amadou Diakité chez qui on a diagnostiqué, au dispensaire d'Abobo, "un traumatisme de région uro-génitale", il dit avoir subi ce traitement parce qu'il a voulu raisonner les policiers qui venaient de faire cette incursion dans la mosquée, un lieu de prière. "Ils étaient cinq, m'ont battu, piétiné avant de m'empoigner et me soulever du sol. Comme les autres approchaient, ils ont lancé les grenades lacrymogènes. Ils ont dit que c'est leur ministre qui leur a demandé de venir prendre l'argent des cartes de séjour et nous ont traités de Dioula voleurs", soutient-il, visiblement courroucé.
L'excitation est alors à son comble, des propos hostiles PDCI fusent ici et là. Chacun tient à donner sa version des faits, un vrai tohu-bohu. Selon les fidèles eux-mêmes, face à cette agression, certains, pour se défendre, réservent aux flics une petite "intifada" qui les fait battre en retraite. Les CRS auraient pris la fuite à bord de leurs deux cargos non sans avoir arrêté onze personnes Ivoiriens et étrangers, pourtant détenteurs de leur carte de séjour.
A quelques minutes de là, au commissariat du 14 ème arrondissement d'Abobo, la tension est très vive. Le maire Adama Sanogo achève d'appeler au calme les manifestants, précisant que les personnes interpellées ont été relâchées.
Des jeunes adolescents, pour la plupart, se déchaînent et font tomber sur les policiers prêts à charger, une nouvelle et véritable pluie de pierres. Les forces du... "désordre" se plaignent, appellent le commissaire pour le prendre à témoin de cette agression à laquelle ils veulent répondre. Oubliant qu'ils méritent cette riposte et qu'ils ont été les premiers à agresser. Pourvu que ce ne soit pas impunément. L'ordre est alors donné de faire rentrer les deux cargos de police dans la cour, pendant que le maire est reçu par le commissaire de police.
Freedom Nero
El Hadj Diarra Sékou, iman de la mosquée profanée par les policiers.
Sans foi, ni loi
Procéder au contrôle des cartes de séjour, de façon intruse, dans une église, une mosquée ou une synagogue, cela s'appelle profanation. Tout comme le fait de saccager un cimetière, fut-il même pour en déloger des "sans-papier". Mais, diantre, qu'étaient donc allés faire les hommes de Quassénan sur les lieux de prière et au moment de la prière ? Se rendre à la prière, un jour de vendredi, serait-il aux yeux des agents contrôleurs des cartes de séjour, un alibi pour se soustraire à leur opération de contrôle ?
Les croyances et pratiques islamiques mettent-elles, désormais, l'unité nationale en danger ou troublent-elles l'ordre public pour justifier des restrictions légales ou légitimes ? A défaut de telles circonstances, l'intervention des forces de l'ordre pour perturber et réprimer les fidèles musulmans au cours de leur prière du vendredi constitue une violation du droit à la liberté de religion conformément à la Charte africaine des Droits de l'Homme et des peuples.
L'article 8 de la Charte dispose que "la liberté de conscience, la profession et la pratique libre Sous réserve de l'ordre public, nul ne peut être l'objet de mesures de contrainte visant à restreindre la manifestation de ces libertés". Et les auteurs de cette violation, des hors-la-loi sans foi, ni loi, réveillent en nous des souvenirs tristes.
Les centaines de morts consécutifs à la tentative d'occupation des lieux Saints de l'Islam par des Iraniens et les dégâts humains du tueur juif-américain ont profané les lieux de culte en sont de ceux-là. L'un et l'autre ôtant, à la vie son caractère sacré. Car, après les lieux de culte, ce sont les hommes armés. Qu'ils soient "soldats, policiers ou gendarmes. Peut-être que le massacre perpétré, récemment à Kigali (Rwanda) contre des évêques et des prêtes, a donné des idées à nos forces de l'ordre.
Alors, Eglises, Temples, Mosquées, Synagogues... Dojos, portes closes à double tour désormais à l'heure de la prière !
Jean-Claude Ablet.
Réprimés jusque dans la prière
Pour renflouer les caisses presque sans fond de l'Etat ivoirien, les policiers du 14è arrondissement d'Abobo sont allés s'introduire dans une mosquée, à la recherche de ceux qui ne possèdent pas la carte de séjour d'étranger. Un terrible cauchemar dans la maison de Dieu.
Les vertus de la prière, chez les êtres humains, sont connues. Nous ne nous hasarderons pas à les préciser. Nous retiendrons simplement que la prière, cet acte si simple, est un moment profond de recueillement, d'accomplissement de soi parce que la prière est surtout soumission envers Dieu...
Par la faute d'un Etat qui semble s'être plus spécialisé, ces derniers temps, dans la recherche effrénée de la répression que dans toute autre voie de gestion des hommes, les musulmans de la mosquée située à Abobo, Banco II, n'ont pas pu communter en toute quiétude avec Dieu, hier vendredi, jour saint de l'Islam.
Comme si nous étions en période de guerre, les policiers, fonctionnaires payés avec notre argent à tous pour garantir notre sécurité, sont plutôt allés chercher de l'argent dans la poche de ces fidèles musulmans, avec tous les moyens de répression imaginables. Les victimes sont nombreuses et font pitié à voir.
M. Traoré Soumana est né à Quahabou le 1/1/1929. Il est détenteur de sa carte de séjour. Ancien manoeuvre à la SACI, Soumara est retraité. Mais le vieil homme conserve encore dans son porte-documents, ses cartes de militants du PDCI. Nous y avons même découvert celle de 1953. Ce vendredi, il aura compris l'ingratitude des hommes, selon ses propres termes. Venu accomplir, à la mosquée, sa prière de ce jour saint, il a été brutalisé par les policiers, dans leur contrôle musclé, à l'intérieur de la maison de Dieu.
Aux dires du vieil homme et de tous les religieux trouvés sur place, un des policiers a fracturé le poignet gauche à l'aide du crosse de son pistolet.
Pour la vieille Madjata Barro, la quatre-vingtaine largement sonnée, le vendredi de la prière aurait pu être son dernier jour sur terre, à l'intérieur même de la maison de Dieu. En effet, alors même qu'elle faisait ses ablutions, elle a entendu un bruit assourdissant; celui produit par la détonation des grenades lacrymogènes.
Mais ignorant tout de cette "fumée pimentée" que produisent les grenades lacrymogènes, elle l'a inhalé à plein poumon. Finalement, affolée et aveuglée, cherchant le chemin de la sortie de la mosquée, elle butta contre un policier qui ne s'est pas gêné pour l'étaler d'un coup de crosse au front et y faisant une blessure.
Elle ne reprendra ses esprits que bien plus tard à son domicile, entourée de ses enfants et petits-enfants tous en pleurs. Dieu soit loué ! Il y a eu plus de peur que de mal. Nan Siata a posé, débout, pour notre photographe, ne comprenant toujours rien à son infortune.
Faut-il signaler le cas d'Amadou Diakité ? L'ancien employé de la mairie d'Abobo, lui, prenait un coup de godasse dans les parties intimes, au moment où, à l'intérieur même de la mosquée, certains agents maîtrisaient au sol, le pied bien posé sur le cou, ceux des musulmans qui tentaient de s'enfuir... Bref.
A des journalistes qui lui demandaient de situer la relation entre la carte de séjour et le vote des étrangers qu'il réclame comme une extraordinaire preuve de tolérance et de progrès, M. Fologo a dit que le contrôle par les agents se ferait par des traitements très humains. Les policiers d'Abobo l'ont bien compris : hier vendredi, ils ont réprimés les musulmans jusque dans leur prière. L'Etat ivoirien est vraiment très pauvre, malgré ce que Duncan veut faire croire.
César Etou
Eh, Allah! Qu'ont-ils fait à Bédié ?
Quel démon a poussé les flics à commettre ce sacrilège?
Comme des taureaux, des CRS, en armes, ont débarqué, hier, dans une des mosquées d'Abobo où des musulmans accomplissaient leur devoir religieux du vendredi la prière de 13 h. Comme à leurs habitudes, ces forces de l'ordre qui refusent, généralement, d'écouter leur conscience, ont foncé tête baissée sur de pauvres musulmans en prières, pour exiger d'eux des cartes de séjour.
Selon toute vraisemblance; le pouvoir, en mal d'autorité, a délibérément choisi de profaner une mosquée, un lieu saint. Quel cynisme? Dieu-Tout-Puissant pourra-t-il pardonner ce sacrilège, ce grand péché commis en ce jour du vendredi saint?
Séry Djaty's
La vieille Madjata Barro avec sa plaie au front.
Amadou Diakité blessé au niveau de sa partie intime.
Les policiers ont essuyé des jets de pierres de la part des jeunes musulmans furieux.
Le vieux Traoré Soumana, le bras gauche fracturé au niveau du poignet par un policier.