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Code électoral : crime au nom de l'ivoirité
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- Title
- Code électoral : crime au nom de l'ivoirité
- Creator
- Oumar Coulibaly
- Publisher
- La Voie
- Date
- February 16, 1995
- Page(s)
- 11
- number of pages
- 1
- Language
- Français
- Contributor
- Frédérick Madore
- Identifier
- iwac-article-0007491
- content
-
POLITIQQUE
CODE ELECTORAL
Crime au nom de l'ivoirité
L'ivoirité est vraiment un mot à la mode. La fortune de ce néologisme est due au code électoral que l'on ne connaît que trop, et aux débats passionnés que cette loi a provoqués dans les partis politiques, la société civile, bref, dans l'opinion publique.
Chaque jour, désormais, au nom de l'ivoirité, des Ivoiriens se sentent frappés dans leur dignité. Des Ivoiriens humilient en son nom d'autres Ivoiriens.
C'est cela la triste vérité que des manipulateurs professionnels, des désinformateurs patentés veulent masquer pour leur paroisse en mentant, en inventant, en intoxiquant systématiquement sur le ton de la démagogie la plus cruelle et la plus impudique.
Chez des journalistes qui se disent professionnels, il est étonnant de constater que le fait n'est plus un fait, donc sacré. Qu'au contraire, même parlant de lui-même, il est à leurs yeux un mystère à commenter librement à leur manière, parce qu'ils en détiennent exclusivement les clés, surtout s'il est un acte ou résulte d'un acte posé par leurs maîtres qu'ils courtisent inlassablement sur le ton de la flagornerie la plus abjecte.
DES THURIFERAIRES A GAGES
Ces gens-là — leurs maîtres — sont bien entendu des anges, des saints infaillibles que l'on ne doit ni contredire, ni critiquer. Comme nous n'étions pas en démocratie. Mais leurs maîtres savent où est la vérité. C'est pourquoi chaque jour, ils consultent nos journaux comme des bréviaires. Car ils savent au fond d'eux-mêmes que nous sommes dans le vrai, que nous sommes plus honnêtes que la plupart de leurs thuriféraires à gages. Mais abandonnons ces moulins à vent que sont ces petites gens pour revenir à l'ivoirité.
Ce mot bien sonnant n'existe pas dans le dictionnaire et n'a pas vraiment d'équivalent dans les langues nationales les plus usitées en Côte d'Ivoire (Dioula, Baoulé, Bété, Sénoufo, Gouro). Est-il donc né pour combler un vide ? Lequel ? Sans doute, aux yeux de certains, le gouffre de l'identité nationale. Mais s'il divise tant les Ivoiriens, ce concept d'ivoirité peut-il être synonyme d'identité ? Si c'est le cas, il n'y a rien de nouveau sous le ciel ivoirien.
Le président Bédié dit, et je cite : « il s'agit pour nous de réaliser progressivement mais résolument un projet qui fera l'homme nou-
veau, un homme ivoirien pétri de toute la substance de nos diverses cultures ethniques, porteur d'une culture nationale qui fonde son ivoirité mais en même temps le tient ouvert à tous les apports utiles des cultures du monde ».
Ces propos, sans équivoque, que nous saluons à leur juste valeur, sont un désaveu cinglant et éloquent de tous ces mercenaires de la plume, de ces Don Quichotte de l'ivoirité qui s'emparent de ce mot, le détournent de son objet, et l'utilisent comme une arme vengeresse, un instrument d'exclusion contre des concitoyens médusés qui ont la même nationalité.
UN EDITORIAL MEDIOCRE
Ont-ils apprécié toute la portée de l'adresse du chef de l'Etat aux seize artistes créateurs et par delà à la Nation le 2 février dernier ? Que non ! Sinon quelques jours plus tard, ils n'auraient pas commis cet éditorial totalement médiocre, sans aucun souffle, un fatras de contre-vérités, un amalgame de lieux communs, de préjugés incroyables indigne d'un vrai professionnel et qui fait la risée de l'opinion édifiée.
Comme le tigre, pour sauter, n'a pas besoin de clamer sa négritude, selon la célèbre métaphore de Wolé Soyinka, l'Ivoirien, pour exister et s'épanouir dans sa peau, n'a pas besoin qu'on lui dise qui il est. Il vit chaque jour sa vraie ivoirité dont il est conscient. Il sait qu'il est un maillon, une partie d'un tout enraciné, multi-ethnique et nécessairement solidaire en tant qu'un Coulibaly, Kouamé, Kobina, Guet, Diallo, Keita, Soro, Kambiré, Ouattara, Donwahi, Beugré, Trazié, Naliounou, tous fils de Côte d'Ivoire, fiers des valeurs essentielles qu'ils portent, et citoyens à part entière, avec des droits et des devoirs.
On n'a pas besoin non plus de lui dire ce qu'il n'est pas, cela tombe sous le sens. S'il est citoyen de la Côte d'Ivoire, c'est qu'il est authentiquement ivoirien, et on ne peut subdiviser sa nationalité au mépris de ses droits de citoyen, pour faire de lui un demi-Ivoirien ou un demi-étranger, au nom d'une authenticité revendiquée et usurpée malhonnêtement par des prédateurs de haut vol au nom du peuple ivoirien qu'ils prétendent ainsi « nationaliser » une seconde fois.
DE LA FUMISTERIE PURE ET SIMPLE
Voilà le vrai débat qu'on veut escamoter en avançant de risibles et faux lieux communs : « il appartient aux vrais Ivoiriens, aux Ivoiriens authentiques, de prendre en mains leur propre destin », « les Ivoiriens doivent revendiquer leur ivoirité et assumer à la première place le destin de la Côte d'Ivoire », ou « le code électoral est une expression de notre ivoirité, de l'authentique identité ivoirienne ». Mais où sont donc les faux Ivoiriens ?
La division des Ivoiriens en plusieurs catégories peut déboucher sur des dérapages.
Les propos insidieusement démagogiques de ces prêcheurs de l'ivoirité tendent à démontrer et à faire croire qu'ils sont les meilleurs, ceux qui aiment le plus leur patrie, la Côte d'Ivoire, puisqu'ils n'ont pas d'autre point de chute.
Tout cela n'a rien à voir avec le patriotisme. C'est de la fumisterie pure et simple.
Beaucoup d'Ivoiriens qui, eux, sont honnêtes et aiment encore plus leur patrie que ces nouveaux patriotes « mangeurs » vivent en exil, ont un amour profond pour leur terre natale ou cette Côte d'Ivoire qu'ils ont choisie. Qu'ils arrêtent donc, ces nouveaux et intempestifs croisés d'un nationalisme outrancier et suspectement exalté, sinon ils feront honte à ceux dont ils sont les porte-voix zélés, car ces gens-là ont la double nationalité, française et ivoirienne, ainsi que leurs femmes et leurs enfants, à commencer par le président Bédié.
Mais eux, c'est leur droit et ils sont libres.
A la plupart d'entre eux et à Bédié, je ne ferais pas l'injure de dire qu'ils aiment la Côte d'Ivoire moins que la France, parce qu'ils ont « un autre point de chute » hors d'Afrique.
SOUVENEZ-VOUS d'ASEC-KOTOKO
La prise de conscience identitaire, qui est légitime, ne conduit à l'exclusion, à la discrimination et parfois à l'affrontement entre les peuples, et plus souvent à la guerre civile que parce que des manipulateurs, des gens plus ou moins mal-intentionnés ont flatté leurs bas instincts, la bête qui sommeille à l'état latent, et qui n'attendent qu'un signe pour exploser chez tout peuple, si on a le malheur de vouloir les réveiller.
Souvenez-vous des guerres civiles du Biafra, de la Somalie, du Liberia, du Rwanda, de la Bosnie et de la Côte d'Ivoire et du Ghana où l'on a persécuté, blessé, violé, tué des âmes innocentes au nom du football. Souvenez-vous d'Asec-Kotoko.
Si Houphouët a associé les étrangers, qui ne l'ont pas demandé, aux consultations nationales, ce fut par souci d'intégration de ceux qui, venus d'ailleurs, s'étaient voués corps et âme à l'édification de la Maison ivoirienne et de la Nation, mais aussi non sans arrière-pensée électoraliste, du moins sous l'ère du multipartisme.
LE CRIME CONTRE LA NATION
La crise économique qui perdure depuis 1980 est une réalité qui frappe sans discontinuer les populations ivoiriennes et étrangères en Côte d'Ivoire.
En pareil cas, le culte de la paix, de la solidarité et de la fraternité, ne pèse pas souvent lourd face à la misère du peuple et aux pesanteurs du quotidien, surtout si le pouvoir politique, pour faire diversion, cristallise le débat sur le problème des étrangers. Le petit peuple qui n'en peut a fatalement des réactions de rejet, de ras-le-bol envers ceux qu'il croit différents de lui. Ceux qu'il croit venus de loin (« Boyorodjan ») pour lui enlever de la bouche le peu d'attiéké qui lui reste.
Dites-lui, même pour plaisanter, que ce faux-frère a pris sa place, l'envahit et l'empêche de vivre dans son propre pays, et il va bouillonner de colère. Psychologiquement conditionné, matraqué et traumatisé, il lui suffira d'une occasion pour exuder son ressentiment, tenant là ce qu'il croit être sa revanche.
C'est en de pareilles occasions que les politiciens inconscients ultra-nationalistes mal intentionnés et faux patriotes se frottent les mains, parce qu'ayant atteint leur objectif qui était de s'attirer une forte clientèle électorale dans la majorité silencieuse toujours bernée.
Mais en Côte d'Ivoire, les intellectuels eux-mêmes, les élites qui devraient frayer la voie à une coexistence pacifique, à une solidarité et à une intégration de la mosaïque d'ethnies qui font de la Nation ivoirienne un fragile équilibre, sont ceux-là mêmes qui, comme des prédateurs affamés, violentent les consciences déjà traumatisées, dressent les uns contre les autres, et commettent ainsi un crime contre la Nation.
Et comme ce sont des mystificateurs et des fumistes nés, ces païens qui n'ont aucune charité ne craindront pas, en tordant le cou à la plus élémentaire honnêteté, de vous charger de leurs turpitudes et de tous les péchés d'Israël en prenant — comble de la perversion — le peuple à témoin.
On sent une haine féroce dans leurs propos. Savent-ils vraiment, comme ils le disent le plus souvent, que « tout ce qui est exagéré est insignifiant ? ».
Je leur souhaite du plaisir tout en leur pardonnant et en priant Dieu, car ce sont des frères égarés, pour que leur bile ne les empoisonne pas.
Oumar Coulibaly