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Boeufs de la Mecque : la foi qui ruine
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- Title
- Boeufs de la Mecque : la foi qui ruine
- Creator
- Souleymane Ouattara
- Publisher
- Le Pays
- Date
- March 21, 2000
- Abstract
- Quitte à brader leur bétail, les éleveurs peuls ne rateraient pour rien le pélerinage sur les lieux saints de l'Islam.
- Language
- Français
- Contributor
- Frédérick Madore
- Identifier
- iwac-article-0002474
- content
-
Quitte à brader leur bétail, les éleveurs peuls ne rateraient pour rien le pélerinage sur les lieux saints de l'Islam.
Bobo-Dioulasso, début février. Dans la brousse ceinturant le plus grand marché de bétail de l'Ouest du Burkina, les bergers adossés au tronc des arbres somnolent. Ils attendent vainement les commerçants de bétail, en surveillant du coin de l'oeil leurs animaux. Tous les ans, la scène se répète : les éleveurs peuls, qui sont parmi les plus grands musulmans du pays, dégarnissent leurs parcs pour se payer le pèlerinage à la Mecque. Cette ethnie, convertie à l'islam au XIXe siècle lors de guerres saintes par les conquérants tels Ousmane Dan Fodio, Sékou Amadou... ne recule devant rien pour vénérer Allah, vendre pour réunir le viatique nécessaire, soit près de 1 050 000 F cfa, les futurs pèlerins peuvent vendre 10 à 15 boeufs. «Supposez que 100, 200 personnes mettent chacune une quinzaine d'animaux sur le marché. cela fait trop du coup», se plaint Hassane Barry, le gestionnaire du parc de Bobo-Dioulasso. A cette période de l'année, le seul parc de la capitale économique expédie près de 400 boeufs par jour en Côte d'Ivoire, le double de ses envois en temps normal. Conséquence, le marché bouchonne, pour le plus grand bonheur des exportateurs de bétail. «Il y a trop d'animaux et les éleveurs bazardent leurs boeufs», constate Hassane Barry. Les bêtes vendues habituellement à 150 000 F cfa pièce ne rapportent plus que 100 000 F.
Samba Diallo est un vieux courtier. Il héberge de nombreux éleveurs venus de la brousse pour vendre leurs animaux. Il y a une semaine, il a trimé avant de pouvoir écouler à moitié prix les 12 boeufs que lui avait apportés un candidat au pèlerinage. Faute d'avoir réuni la somme nécessaire au voyage, celui-ci est rentré au village en promettant de revenir avec d'autres animaux à vendre. «Les exportateurs connaissent bien les habitudes des Peuls. Ils fixent leurs prix et patientent jusqu'à ce que nous cédions», dit Samba Diallo.
Péché d'orgueil
Ce dumping pénalise aussi les engraisseurs d'animaux. L'un d'eux, M. Konaté, voulait vendre trois de ses boeufs. Il en a été dissuadé par son courtier. Pourquoi céder à 125 000 F un taureau de 600 kg, au lieu du double ? M. Konaté, en agent économique moderne, s'est abstenu de vendre à perte, contrairement aux éleveurs traditionnels. «Les pasteurs ne fonctionnent pas selon une logique économique, mais par mimétisme», explique Tidiane Barry, lui-même peul et exportateur de bétail à Ouagadougou, pour justifier cette curieuse pratique commerciale. «Ils vivent de façon traditionnelle et n'ont pas de grands besoins. En fait c'est nous, qui en allant les voir, créons leurs besoins»; constate-t-il.
Ce commerçant se rend dans les hameaux isolés avec des postes radios, des motocyclettes qu'il échange facilement contre des boeufs. L'affaire rapporte. «En brousse c'est à qui se montrera le plus. Il suffit qu'une personne ait quelque chose pour que tous les autres en veuillent», constate-t-il. Certes, le pèlerinage à la Mecque est un acte de foi profond. Mais il n'échappe pas au péché d'orgueil. «Que voulez-vous, les gens aiment se concurrencer. Chacun veut porter le titre de El hadj. Ils disent un tel est parti, il ne vaut pas mieux que moi. Je dois donc y aller à mon tour et lui montrer que je suis aussi riche que lui», rapporte Samba Diallo.
Le pèlerinage est l'un des cinq piliers de l'islam. Il a lieu tous les ans. Cette année, près de 2000 pèlerins burkinabé se rendront à la Mecque pour y célébrer la Tabaski en ml mars. Comme il s'agit d'un événement prévisible, beaucoup d'éleveurs auraient pu le préparer longtemps à l'avance. Mais ils s'y refusent. Pour Hassane Barry, il faudrait que les éleveurs s'organisent eux-mêmes. Il leur conseille «de vendre leurs animaux à la bonne période et épargner l'argent en banque en attendant le départ». «Pas aussi facile, réplique le vieux Samba Diallo. Ils ne connaissent pas les banques et ne peuvent garder autant d'argent sur eux sans risquer de se faire attaquer par les coupeurs de route.» Confronté de longue date à ce bradage, le courtier recommande à ses hôtes de vendre leurs animaux quand les prix grimpent, c'est-à-dire en saison pluvieuse, et de confier l'argent aux démarcheurs du pèlerinage. Ces intermédiaires se chargeraient de faire toutes les formalités pour les pèlerins. «Mais les éleveurs n'ont pas confiance. Ils préfèrent attendre le dernier jour pour venir brader leurs animaux», dit-il avec un fatalisme.
Souleymane OUATTARA