Article
Les religieux, cette plaie cachée de la réconciliation nationale
- Title
- Les religieux, cette plaie cachée de la réconciliation nationale
- Type
- Article de presse
- Creator
- Amadou Coulibaly
- Publisher
-
Le Patriote
- Date
- June 14, 2001
- DescriptionAI
- Ce texte soutient que les religieux constituent un obstacle majeur à la réconciliation nationale en Côte d'Ivoire. Il dénonce la stigmatisation et les violences subies par la communauté musulmane, souvent assimilée à tort à une région ou un parti politique. L'auteur critique également les Églises évangéliques pour leurs discours intolérants et haineux, ainsi que l'Église catholique pour sa complicité silencieuse et son implication politique. Le texte conclut sur l'impératif d'intégrer les leaders religieux au processus de réconciliation en reconnaissant pleinement leur rôle et leurs responsabilités dans les tensions du pays.
- pages
- 11
- number of pages
- 1
- Language
- Français
- Contributor
-
Frédérick Madore
- Identifier
- iwac-article-0007102
- content
-
LES RELIGIEUX, CETTE PLAIE CACHÉE DE LA RÉCONCILIATION NATIONALE
La réconciliation nationale est marquée par la nécessité de mettre en place le processus de réconciliation. Dans ce processus, il est important de regarder à travers un prisme. Elle a un rôle important à jouer pour ce pays.
Quand en Côte d'Ivoire, on parle de politique, certaines s'empressent de ne voir que chaque confession. Tous les Ivoiriens sont éprouvés par les affres et les difficultés de la communauté musulmane. Et, lequel d'entre nous n'est-il pas responsable de ce que notre pays a connu, mais a surtout un rôle à jouer pour que la réconciliation soit effective ?
Il est important de s'interroger sur les responsabilités de chacune des confessions religieuses. Les prises de position ont souvent été critiques à l'égard des différentes confessions religieuses. Les musulmans, victimes de culpabilité, sont souvent stigmatisés. La vision est sans conteste que l'islam et les musulmans sont assimilés aux pouvoirs. Tous les Ivoiriens ont en mémoire la pathétique intervention de l'imam Aboubacary Fina pendant la transition lorsque le Général Gbagbo avait reçu les religieux.
Quel d'entre nous n'est pas informé des différentes convocations de chefs musulmans, des perquisitions et autres profanations de mosquées sous Gbagbo ? La chimère de Yopougon et la volonté de dissimuler les résultats ne témoignent-elles pas du mépris souverain que Gbagbo affiche pour la communauté musulmane ?
D'abord, il faut noter que les populations du Nord ne sont pas exclusivement musulmanes. Elles contiennent de nombreux animistes et on assiste même à une forte tendance au christianisme dans la région des Savanes. Or, les musulmans sont assimilés aux ressortissants du Nord et vice versa. Ensuite, tous les partis ont une base sociologique. Cela est vrai pour le FPI dans les zones bété du pays.
Nous en sommes tous informés, avons-nous assez conscience de la réalité sensible ? Telle semble être la problématique concernant les tensions que vivent l'islam et les musulmans ces derniers temps ! Deux raisons semblent expliquer l'indifférence ou pire, la complicité que certains de nos compatriotes affichent envers les problèmes de l'islam et des musulmans avec les différents régimes qui se sont succédés. Dans un premier temps, il y a l'amalgame entre la communauté musulmane et les populations du Nord. À ce niveau, trois confusions sont à relever.
Cela l'est pour le PDCI dans ce que l'on appelle le "village-baoulé". C'est aussi vrai pour le RDR, dont le leader est originaire de cette partie du pays. Alassane Dramane Ouattara est ressortissant du Grand Nord. Tout comme pour l'UDP, localisé dans l'Ouest, du fait que son inspirateur, le Général Robert Guei, est originaire de cette partie du pays.
Enfin, et pour intoxiquer, on assimile l'islam et les musulmans au RDR, après les avoir localisés au Nord, fief de ce parti. Ce clivage artificiel est d'autant plus dangereux que dans notre pays, il y a des peuples qui, bien que n'étant pas du Nord, ont une tradition musulmane. Notamment les populations de l'Ouest (surtout les Yacouba), certaines populations de l'Est (les Agni notamment), et même certaines populations du Centre (les Andoh). Mieux, il y a des musulmans aussi bien au PDCI, au FPI, que dans tous les autres partis du pays.
Dans un second temps, il y a cette forme d'omniprésence de la communauté musulmane dans les médias pendant les périodes de crise. Cette présence accrue a pu développer, chez certains des nôtres, une forme de rejet des musulmans. Mais à y voir de près, les musulmans avaient-ils un autre choix que de crier au loup ?
Sous prétexte de mettre au pas des opposants, on brutalise, viole et massacre leurs fidèles ! L'allégorie de l'enfant qu'on bat et qu'on empêche de pleurer ne prend-elle pas tout son sens ici ?
Combien de nos compatriotes (musulmans ou non) sont-ils aptes à comprendre que lorsque les chefs musulmans parlent, ils ne parlent qu'en leur nom et au nom de leurs fidèles ? Il a suffi que le CNI (Conseil National Islamique) ait appelé à ne pas soutenir la nouvelle Constitution pour que certains esprits embués disent que le RDR dit une chose le jour et une autre la nuit. Cet exemple montre bien que faire le distinguo entre le RDR et les musulmans paraît, hélas, trop compliqué pour les esprits intoxiqués et tordus que nous sommes ! Et la communauté musulmane continue de payer pour un combat qu'elle n'a pas encore décidé de mener.
En définitive, on peut noter que les musulmans sont conscients du rôle qu'ils ont à jouer dans le processus de réconciliation. Les différents sermons, prises de position et déclarations officielles en sont le témoin. Il faut donc s'en réjouir. Cependant, les responsables religieux musulmans devraient mieux doser leur présence dans les médias, même si leurs préoccupations exigent qu'ils interviennent ainsi qu'ils le font.
Des Églises et temples au bord de l'intégrisme chrétien
Si les musulmans sont les plus en vue des confessions religieuses, cela ne veut pas dire que les autres sont inactives ! Mais pour bien comprendre le rôle des autres confessions, il convient de les distinguer.
Il y a d'un côté l'Église traditionnelle, l'Église catholique. De l'autre, il y a la pléthore d'Églises évangéliques qui poussent comme des champignons en cette période de pauvreté généralisée ! Concernant les Églises évangéliques et autres sectes, il y a lieu de craindre que leur intervention dans le débat politique et social ait contribué à la dégradation de la situation socio-politique. Elles constituent un véritable danger pour le processus de réconciliation en cours. En témoignent ces paroles ahurissantes qui ont été prononcées dans bien des temples et Églises : "Cet homme est gouverné par Satan ! Tous les morts qu'il y a eu dans notre pays ont été provoqués par le démon qui s'agite en lui ! Mais Jésus a étendu sa main sur ce pays. Jamais il ne sera gouverné par un musulman."
Une Église très célèbre depuis la mort de son "prophète" s'était même spécialisée dans ce genre de prêches, allant même jusqu'à faire venir dans notre pays des prédicateurs étrangers qui avaient reçu la vision d'un Alassane Dramane Ouattara brûlant dans les flammes de l'enfer.
D'autres, jeunes pour la plupart, ont été abreuvés de ces paroles peu catholiques. Victimes d'un lavage de cerveau digne des sectes, certains d'entre eux entraient pratiquement en transe quand ils entendaient le nom d'ADO qui rimait pour eux avec Satan, Démon, Antéchrist, intégriste musulman, impie, mécréant et tutti quanti...
Passons encore sur les prophètes de pasteurs, prophètes et autres illuminés dans la presse, qui promettaient au nom de Jésus un futur Président chrétien, quand notre chère Côte d'Ivoire, bénie soit-elle, ne devenait tout simplement pas "La Nouvelle Patrie du Christ". Comme on le voit, dans bien des lieux de culte de notre pays, la graine du mépris et de l'intolérance a été semée dans le cœur de certains de nos compatriotes, et cela à l'abri du regard des profanes et avec parfois la complicité des laïcs de la République. À l'ombre des temples, on a catégorisé les Ivoiriens en fils de Dieu et autres athées. Aussi n'est-il point surprenant que pendant les violences du 26 décembre, on ait battu certains Ivoiriens sous les clameurs des "Alléluia" ou abattu d'autres sous les exhortations de "gloire à Dieu".
Les musulmans du charnier de Yopougon ne pouvaient susciter aucun émoi chez certains des nôtres, parce que tout simplement c'étaient des victimes d'une croisade.
On ne peut alors être surpris de voir que, pendant les élections primaires du PDCI pour les présidentielles à Yamoussoukro, la salle s'est écriée "Victoire", "Alléluia", "Jésus a battu Mahomet", alors que les résultats annonçaient que Lamine Fadiga (musulman de son état) après un décompte à suspense, avait terminé en seconde position. Et pourtant, c'étaient des élections internes à un même parti !
Ce clivage chrétiens/musulmans existe bel et bien dans certains esprits ivoiriens. Quelle est leur proportion ? Quelle est l'ampleur de l'intoxication ? Veut-on réparer le mal ? Est-il réparable ? Voilà une série de questions qui devraient nous guider dans la réflexion plutôt que de nier ce que les Ivoiriens vivent au quotidien dans leurs services, dans leurs quartiers, dans les maquis, et autres lieux publics.
L'Église catholique, un mutisme complice
Quant à l'Église catholique, sa position est-elle surprenante ? Elle a toujours été, d'une manière ou d'une autre, associée à la gestion du pouvoir. C'est une vieille complicité qui date d'avant les indépendances. La seule rupture que l'on connaît à cette alliance est celle de 1990, sous le Cardinal Yago Bernard. Et elle fut opportune !
Elle a toujours été discrète et s'est manifestée en général par un silence complice, une forme de caution tacite. Cette attitude aurait pu demeurer ainsi, tant qu'il n'y avait pas de graves problèmes économiques et sociaux : on pouvait donc vivre tranquillement, l'illusion de la République laïque. Le régime du président Bédié, qui avait une certaine conscience de cela, sera le dernier rempart de cette chimère. Avec le coup d'État et l'apparition de tous ces dirigeants novices, tous les dessous de la République seront exposés au grand jour.
On peut donc désormais découvrir de façon aisée toutes les implications de l'Église catholique dans la gestion de la chose publique :
● Vers la fin du régime Bédié, c'est dans la paroisse de l'Église Saint-Jean de Cocody du bouillonnant abbé Abékan que Dame Essoumbo Augustine (devenue célèbre pour ses attaques gratuites contre Amadou Gon) a recruté les premiers membres de son association "Ivoiriennes pour la sauvegarde de la Nation".
Sous la transition, quelle voix catholique s'est-elle élevée pour condamner les profanations des mosquées ? Que sert-il donc d'instrumentaliser aujourd'hui quelques imams anonymes et affamés qui vont féliciter le Cardinal Agré au nom d'un prétendu concert des régions ?
Ce sont certains membres du clergé catholique au plus haut niveau qui ont convaincu le Général Guei que lui seul incarnait le Président Houphouët-Boigny, éveillant ainsi en lui des velléités de candidature. Ce sont encore les mêmes qui ont sillonné la sous-région afin que des pressions soient exercées sur M. Ouattara pour le contraindre à renoncer à son intention de se présenter aux présidentielles.
Pendant le contentieux électoral Gbagbo-Guei, les deux protagonistes se sont retrouvés devant deux éminents membres du clergé catholique : le Cardinal Agré et Mgr Dacoury. C'est aussi un membre du clergé proche du Cardinal Agré, en l'occurrence Mgr Abé, qui, fort d'un secret d'État, a approché MM. Aly Coulibaly et Katana (alors détenus à la MACA) pour leur dire (au nom du gouvernement) d'abandonner l'idée de se faire libérer de force par des militaires proches du RDR.
Ces accointances sur un fond de crise d'identité que certains Ivoiriens vivent sont si criardes qu'elles commencent à créer un malaise au sein de l'Église même. Les curés peuvent-ils nier que certains de leurs ouailles se posent de plus en plus de questions et leur en posent aussi ? Peuvent-ils nier que certains de leurs fidèles refusent désormais de communier ? Quel que soit leur nombre, leur attitude témoigne du malaise qui règne au sein de l'Église même. Et les "conseils fraternels" de Mgr Ahouana au Général Guéi ont montré aux observateurs avertis que tous les cœurs ne battent pas à l'unisson dans la Maison du Seigneur.
À quelques jours du forum pour la réconciliation, il importe d'ouvrir le débat sur la responsabilité de nos religieux.
L'Islam s'est-elle assez fait connaître des Ivoiriens ? Même si à sa décharge on peut noter toutes les exactions dont elle a été victime, n'a-t-elle pas un peu trop communiqué ? Quels intérêts servent toutes ces Églises qui ont réussi, face à un intégrisme musulman chimérique, à créer un intégrisme chrétien rampant, pernicieux et sournois ?
L'Église catholique est-elle prête à renoncer à ses intérêts afin de permettre à la Côte d'Ivoire de s'engager de façon effective dans une deuxième République résolument laïque ?
La religion fait partie de notre quotidien. Une sorte de pudeur africaine et de crainte du sacré nous a toujours poussés à considérer nos religieux comme des saints. Quand en Europe les scandales sur la pédophilie des religieux se succèdent, quand le Rwanda nous a montré de quoi sont capables nos Hommes de Dieu, quand dans notre pays, au cours des violences des 4 et 5 décembre 2000, on a vu à Cocody SOGEFIA des pasteurs armés de gourdins pourchassant ces "Djoul" venus d'Anyama et d'Abobo, quand on a entendu le Cardinal Agré dire que les responsables des tueries massives d'octobre sont ceux qui ont jeté ces jeunes gens dans la rue et non ceux qui ont donné l'ordre de tirer, on peut prendre la mesure de la limite de nos religieux.
Il importe donc de les intégrer dans le processus de réconciliation en tenant compte de leur rôle véritable et de leur responsabilité respective dans ces moments de folie que le pays continue encore, hélas, de traverser et dont le répit semble être le 9 juillet. L'espoir reste permis si chacun, en toute humilité, accepte de reconnaître sa part de péché.
AMADOU COULIBALY
Enseignant
06 B.P 794 Cidex 1
Abidjan 06