Durant sa longue carrière, Jean-Louis Triaud a creusé plusieurs sillons centrés sur la connaissance des sociétés musulmanes en Afrique de l'Ouest et au-delà. Cet ouvrage reflète les domaines couverts et développés dans ce cadre universitaire : modalités d'expansion de l'islam, manifestations culturelles et religieuses, personnalités marquantes... Ils forment le coeur de ce livre publié en sa compagnie. La continuité des thèmes qui ont alimenté cette réflexion a donné la possibilité à plusieurs de ses collègues, élèves et amis de réunir leurs contributions pour souligner le sens que la progression dans ces thématiques a eu pour leur parcours intellectuel respectif. Collabirent particulièrement à cet ouvrage plusieurs enseignants-chercheurs d'universités africaines qui ont maintenu fidèlement le lien avec leur directeur de recherche.
A travers les études des "lieux", des "objets" (tels le livre, la langue, la lettre) et des "figures" de l'islam, les auteurs offrent de nouvelles interprétations des espaces musulmans dans le Sahara et dans le Sahel, traversés par les flux migratoires, par de nouvelles idées, parfois par des pulsions jihadistes. Des phénomènes gels que la "réislamisation" et la "laïcité", mais aussi les combats de différents acteurs musulmans pour leur statut et leurs idéaux se trouvent au centre de l'ouvrage. Ce livre apporte des regards nouveaux sur l'histoire des "confréries" et de leurs "réseaux", sur les rapports entre les pouvoirs et les institutions islamiques.
Le trait commun de toutes les contributions, qui portent principalement sur l'Afrique occidentale mais aussi orientale et septentrionale, est leur regard d'historien marqué par une réflexion sur le sens et la portée de ce métier.
Aborder une telle question n'est pas chose aisée, car la documentation écrite fait largement défaut. Nous nous sommes appuyés, pour mener une telle étude, sur notre expérience des archives privées des musulmans. Nous avons consulté la presse écrite ainsi que les travaux des chercheurs sur l'islam au Burkina Faso. Plusieurs mémoires de maîtrise de l'université de Ouagadougou nous ont ainsi aidés à cette fin. Les enquêtes orales ont été déterminantes, surtout à propos du milieu des affaires. Cependant, ces enquêtes orales ne nous ont pas permis de collecter des données chiffrées très précises compte tenu du caractère sensible de ce genre d 'informations. Nous manquons donc de statistiques. En dépit de ces contraintes, il est possible de décrire, avec une certaine précision, le rôle et la place des acteurs musulmans dans l'économie burkinabé. Nous allons considérer successivement la position particulière de certains groupes ethniques dans l'histoire du pays, puis la place de l'islam et des musulmans dans l'économie burkinabé contemporaine, pour, enfin, prendre l'exemple d'une grande figure de l'entreprise et des associations islamiques au Burkina, El Hadj Oumarou Kanazoé.
Islam first appeared in the western Sudan some time in the 8th century and reached its climax there in the 14th and 15th centuries. During that period many of the rulers and peoples of Ghana, Mali, and Songhay became Muslims, and tried to spread their religion by peaceful means as well as by the sword. Nevertheless, a new Sudanese societies resisted the spread of Islam. Delafosse tells (1912) that the mossi were still resisting Islam. But subsequently many of them did become Muslims. Today Islam is a growing religion among the Mossi. After having given a sketch of the history and of the social structure of the Mossi the author analyses the diffusion of Islam and Islamic practices in the Kombissiru region of Ouagadougou, especially in Nobéré district, where he conducted fieldwork from November 1956 to January 1957.
Ce chapitre traite de la mobilisation de la jeunesse autour de l'islam en Afrique de l'Ouest. En tant qu'anthroplogues, chacun des auteurs a mené des enquêtes ethnographiques de longue durée, principalement en Côte d'Ivoire et au Mali, sur les dynamiques entourant l'islam et sur les différentes façons d'être musulman. Des projets de recherche sur la thématique du religieux ont aussi été développé dans les pays voisins: Nigéria, Sénégal et Burkina Faso. En abordant les modalités de la moralisation de la société et du soi, les auteurs analysent comment les jeunes d'aujourd'hui, à savoir ceux pour qui la mobilisation s'inscrit dans les logiques de l'économie néoliberale, empruntent et enchevêtrent des éléments de différentes traditions de l'islam pour façonner de nouvelles manières d'être musulmane ou musulman. Les auteurs ont souhaité faire contrepoids à ceux qui tendent à réduire l'étude de l'islam et de la mobilisation de la jeunesse aux trajectoires plus ou moins signifiantes de la réforme, de l'islam politique ou de l'islamisme.
In the context of socio-political liberalisation, which has been happening since 1991, together with the competition between the different religions in the public arena in Burkina Faso, the visibility of Islam has increased considerably with the creation of Islamic media and the growing use of the Internet. This article examines the impact of the growing mediatisation of Islam on the agency and the content of the discourse of Muslim elites in Burkina Faso. This has led to the emergence of new, very mediatised religious figures who have gained authority in the public arena. However, the multiplication of the Islamic message is not accompanied by greater politicisation. Their agency resides rather in their relative capacity to invest in the public arena to defend their vision of society governed by Islamic moral norms. The debate surrounding the introduction of the Senate and the revision of Article 37 of the Constitution between 2011 and 2014 has shown the lacklustre agency of the Muslim leaders.
L'étude de la participation de trois cohortes d'imams et de prêcheurs de Ouagadougou dans les débats sociopolitiques entre 1960 et 2012 souligne l'importance de l'analyse des interactions intergénérationnelles pour saisir les profondes mutations qu'a subies l'islam burkinabé depuis l'indépendance : ses rapports complexes avec l'État, les relations internes souvent tendues entre ses différentes tendances ainsi que sa visibilité accrue et le nouveau rôle joué par les imams et les prêcheurs, dont plusieurs sont des jeunes, dans l'émergence d'une sphère publique musulmane depuis la transition démocratique amorcée en 1991. Les discours des imams et prêcheurs, longtemps marqués par les querelles dogmatiques et l'apolitisme, sont davantage orientés vers la remoralisation de la sphère publique depuis les années 1990. Parallèlement, les rapports intergénérationnels entre les aînés, qui détiennent l'« autorité traditionnelle » fondée sur l'âge, et les jeunes imams et prêcheurs sont marqués par une dynamique de rapprochements malgré certaines tensions persistantes.
Le présent ouvrage est le résultat du colloque international organise les 25, 26 et 27 septembre 2018 en hommage au professeur Sékou Bamba à l'occasion de son départ à la retraite. Directeur de recherches (CAMES), cet éminent historien ivoirien a consacré quatre décennies de sa vie à l'étude des civilisations africaines notamment l'histoire du Bas Bandaman précolonial en valorisant les traditions orales comme des sources pour l'exhumation du passe des sociétés africaines.
L'ouvrage revisite et réexamine plusieurs questions liées à l'islam africain du moyen âge à l'époque contemporaine.
The Islamic State's emergence in the Sahel region has triggered violence resulting in a large-scale refugee crisis. This paper focuses on the instability and refugee situation in Burkina Faso, which has received less attention than other Sahel countries such as Mali and Nigeria. In academic debates, IS-instigated terrorism tends to be examined as a multi-layered conflict with non-religious reasons in the background. However, religion is a key factor fueling terrorist activity in the Sahel region and determining its outcome, as the idea of creating an Islamic State or caliphate is inherently religious in nature. Islamic insurgents target all non-compliant community members and Christians in particular.
This paper examines the spread of Islam in Upper Volta (now Burkina Faso) during French colonialism. Focusing on the Tijaniyya Shaykh, Boubacar Sawadogo, and the strategies he pursued to avoid confrontations with the French, the paper interrogates the ways French colonialism inadvertently created a new public religious space that facilitated the unprecedented spread of Islam. Pursuing peaceful strategies of conversion and religious reform, Sawadogo converted an unprecedented number of Mossi, the colony's largest ethnic group, to Islam and laid the foundation for the subsequent growth of Islam in that territory. The Mossi had resisted Islam for several centuries prior to French conquests and the French had reinforced this resistance as part of a broader policy of preventing the spread of Islam in the French federation. An examination of the strategies pursued by Sawadogo to implement his religious visions in spite of the restrictions on Islamic proselytism allows us to re-interrogate the nature of colonial hegemony.
Dans un pays où islamisation et réislamisation sont les deux facettes d'un même phénomène, quelles logiques poussent les croyants à reconsidérer leur rapport quotidien à la religion ? Pour répondre à cette question, nous appréhendons l'usage du paradis et du salut dans les discours des élites autant que dans les conceptions des fidèles. Cet article vise à mettre en regard les dimensions publiques du réveil religieux et ses effets sur la vie privée des croyants. Si l'évocation du Jugement dernier est un lieu commun des discours religieux, il convient néanmoins de s'interroger sur son caractère performatif. L'issue du Jugement dernier constitue-t-elle réellement un moteur qui ravive la foi, motive les « bonnes » actions et transforme le rapport intime que les croyants ont à leur religion ?
La question des jeunes est un élément essentiel pour comprendre les dynamiques de l'espace public et les pratiques citoyennes qui émergent dans l'Afrique d'aujourd'hui. Leur importance tient non seulement à leur poids démographique imposant, mais aussi à leur transformation, souvent dramatique, en tant qu'acteurs sociaux dans l'espace public africain au cours des années 1990. Cette transformation encourage la création de nouvelles formes de légitimité et de nouveaux espaces d'expression individuelle ou collective, et correspond à une mutation radicale de l'idée de citoyenneté, qui fait appel à de nouvelles ressources et qui remodèle les dynamiques nationales d'inclusion et d'exclusion. Ainsi, la constitution de nouveaux espaces d'expression encourage une conception moins restrictive de la participation citoyenne dans la mesure où les jeunes veulent faire entendre leur opinion et participer ouvertement aux divers débats de société. En lien avec les concepts de « citoyenneté culturelle » et de « contre-nation », nous nous proposons dans cet article d'examiner le rôle des jeunes dans le contexte de réaffirmation de l'identité islamique qui a marqué l'Afrique de l'Ouest francophone à partir des années 1980 et plus encore dans les années 1990, particulièrement dans les grands centres urbains du Sénégal, du Mali, du Burkina Faso et de la Côte d'Ivoire. Nous nous penchons plus spécifiquement sur la question du rapport entre jeunes (comme catégorie sociale), religion et espace public.
Jihadist movements have claimed that they are merely vehicles for the application of God's word, distancing themselves from politics, which they call dirty and manmade. Yet on closer examination, jihadist movements are immersed in politics, negotiating political relationships not just with the forces surrounding them, but also within their own ranks. Drawing on case studies from North Africa and the Sahel - including Algeria, Libya, Mali, Niger, Burkina Faso, and Mauritania - this study examines jihadist movements from the inside, uncovering their activities and internal struggles over the past three decades. Highlighting the calculations that jihadist field commanders and clerics make, Alexander Thurston shows how leaders improvise, both politically and religiously, as they adjust to fast-moving conflicts. Featuring critical analysis of Arabic-language jihadist statements, this book offers unique insights into the inner workings of jihadist organisations and sheds new light on the phenomenon of mass-based jihadist movements and proto-states.
L'Afrique des laïcités, c'est d'abord quatorze pays qui célèbrent un demi-siècle d'indépendance, non sans avoir inscrit au préalable la laïcité de l'occupation coloniale française dans leur constitution. Quatorze pays qui sont en proie à un scepticisme croissant à l'égard d'une action publique incapable d'endiguer les processus de paupérisation, tandis que les acteurs religieux interviennent de plus en plus massivement au sein des économies morales et politiques nationales. Trente chercheurs africains et européens analysent les tensions et les accommodements entres les différents acteurs de ces économies, examinant les modalités suivant lesquelles se décline et se dit la laïcité au sein des différents contextes nationaux. Ils passent en revue les formations étatiques précoloniales qui ont pu opérer une séparation entre l'État et les cultes, avant d'aborder l'exercice d'une gouvernance coloniale fort peu laïque, puis les pouvoirs autoritaires africains qui se sont en partie déchargés sur les instances religieuses pour « développer » ou acculturer leur société. Ils pointent enfin la façon dont les différends qui s'articulent autour des débats actuels sur la laïcité croisent ou accentuent d'autres tensions sociales touchant notamment aux questions identitaires et de genre et, plus généralement, aux exigences de démocratisation et des modernités africaines. Ouvrage de référence, l'Afrique des laïcités. État, religion et pouvoirs au sud du Sahara traduit l'amorce d'une nouvelle époque, celle d'une indépendance vécue cette fois-ci de l'intérieur, où les peuples africains et leurs élites sociales forcent désormais les pouvoirs publics à penser et mettre en place leur propre « laïcité », y compris dans des contextes parfois tendus ou dramatiques.
La sharia bientôt à Bamako ou à Ouagadougou ? Pas si incroyable. En vingt ans, l’Afrique est devenue le terreau fertile de l’idéologie islamiste. Cet essai inédit explique les facteurs de l’expansion réussie des groupes djihadistes et ses conséquences dramatiques pour les populations.
Après avoir prospéré au Moyen-Orient et dix ans après Serval – l’intervention militaire française au Mali –, les groupes djihadistes ont désormais étendu dangereusement leur influence sur le continent africain. L’implosion de la Libye, le renversement du régime de Ben Ali en Tunisie, la chute de Blaise Compaoré au Burkina Faso et le retrait français après l’arrivée des milices russes Wagner leur ont offert des opportunités inespérées. Ces groupes occupent désormais des zones entières au Mali, au Tchad, au Burkina Faso, au Niger, jusqu’au golfe de Guinée.Fort de son expérience sur le terrain, Luis Martinez nous explique comment l’une des régions les plus peuplées et les plus jeunes de la planète est devenue la proie de l’islam radical. Profitant des nombreuses failles intérieures économiques, démographiques et politiques, les djihadistes offrent des solutions aux communautés locales, pauvres à l’extrême, en capitalisant sur un profond ressentiment post-colonial et l’abandon de la part d’élites corrompues et indifférentes à leur sort. Il y a urgence à restaurer des États capables de sécurité et de stabilité. Cet immense défi nous concerne tous.
Les états de l'Afrique de l'ouest anciennement colonises par la France ont hérité, à leur indépendance en 1960, des grands principes du droit constitutionnel français, dont celui de la laïcité de la république. Les états sahéliens, comme le Sénégal, le Burkina faso et le Niger, avaient consigné ce principe dans leur constitution respective, affirmant ainsi la "neutralité idéologique" de l'état par rapport aux religions. Or, il s'agit de pays fortement islamisés (90 % au Sénégal, 87,8 % au Niger) dans lesquels la population musulmane prend de plus en plus conscience de ses forces et aspire à jouer un rôle plus important dans la gestion des affaires publiques. Il s'établit ainsi, dans la pratique, un système de relations complexes entre l'islam et le pouvoir d'état. Ce qui peut surprendre dans des états qui ont formellement affirmé leur attachement au principe de la laïcité. Cette étude comparative montre que les rapports entre l'islam et l'état sont marqués par la collaboration entre les élites politiques et les hauts dignitaires religieux et sont fondés sur la communauté des intérêts de classe qui existe entre ces deux couches dominantes de la société. Cette collaboration profite aux deux partenaires même si, en définitive, c'est plus l'état qui utilise l'islam que le contraire. Les forces islamiques éprouvent des difficultés à promouvoir des formes d'organisation et d'action politiques autonomes. Leur activisme se manifeste surtout sur le terrain social, alors que sur le plan politique, elles restent dépendantes de l'état et des partis laïques.