id 77176 Url https://islam.zmo.de/s/afrique_ouest/item/77176 Modèle de ressource Newspaper article Classe de ressource bibo:Article Titre Côte d'Ivoire : la laïcité sur le fil du rasoir Créateur https://islam.zmo.de/s/afrique_ouest/item/76932 Abdoulaye Sangaré Sujet https://islam.zmo.de/s/afrique_ouest/item/1057 Idriss Koudouss Koné https://islam.zmo.de/s/afrique_ouest/item/23691 Abobo https://islam.zmo.de/s/afrique_ouest/item/46214 Rassemblement des républicains de Côte d'Ivoire https://islam.zmo.de/s/afrique_ouest/item/5 Laïcité https://islam.zmo.de/s/afrique_ouest/item/653 Conseil National Islamique https://islam.zmo.de/s/afrique_ouest/item/662 Conseil Supérieur des Imams, des Mosquées et des Affaires islamiques https://islam.zmo.de/s/afrique_ouest/item/945 Aboubacar Fofana Editeur https://islam.zmo.de/s/afrique_ouest/item-set/57943 Le Jour Contributeur https://islam.zmo.de/s/afrique_ouest/item/858 Frédérick Madore Date 1999-03-20 Type https://islam.zmo.de/s/afrique_ouest/item/67396 Article de presse Identifiant iwac-article-0012054 Source https://islam.zmo.de/s/afrique_ouest/item/821 Centre de Recherche et d'Action pour la Paix Langue https://islam.zmo.de/s/afrique_ouest/item/8355 Français Droits In Copyright - Educational Use Permitted Contenu SUPPLÉMENT RELIGION ET DÉMOCRATIE La laïcité en danger L'Etat laïc de Côte d'Ivoire a du pain sur la planche. Il doit gérer la coexistence entre les différentes religions du pays dans un contexte de liberté politique qui voit les partis politiques pêcher dans toutes les eaux. Difficile dans ces conditions d'être au-dessus de tout soupçon. Surtout lorsqu'on émerge de trente ans de parti unique marqué par un consensus aux forceps. --- Page 2 --- RELIGION ET DEMOCRATIE La laïcité sur le fil du rasoir COTE D'IVOIRE L'Etat laïc de Côte d'Ivoire a du pain sur la planche. Il doit gérer la coexistence entre les différentes religions du pays dans un contexte de liberté politique qui voit les partis politiques pêcher dans toutes les eaux. Difficile dans ces conditions d'être au-dessus de tout soupçon. Surtout lorsqu'on émerge de trente ans de parti unique marqué par un consensus aux forceps. PAR ABDOULAYE SANGARE LE JOUR Autant, il est difficile d'affirmer que les religions, en Côte d'Ivoire, exercent une influence directe sur la vie politique, autant il serait hasardeux de leur donner le bon Dieu sans confession. D'un point de vue général, les dignitaires religieux, catholiques, protestants et musulmans en particulier, ne se privent pas d'élever le ton, à la faveur des tensions sociales ou politiques qui, de manière épisodique, secouent le pays. Ainsi, le 25 juin 1995, un trimestre avant les élections générales, les évêques de Côte d'Ivoire ont clairement suggéré la création d'une commission nationale de contrôle des élections. A travers une relecture d'une lettre pastorale publiée en 1990, les évêques, ont formulé «une suggestion susceptible de renforcer la confiance entre les différents citoyens de ce pays dans le déroulement de ces élections. Il s'agit de l'institution d'une commission nationale de contrôle des consultations électorales. Une commission qui serait formée de membres des différentes sensibilités politiques.» Pour ces autorités religieuses «Il est légitime et normal que tous les citoyens, tous les partis politiques et tout le pays attendent de l'Etat qu'il organise des élections transparentes. Une fois cette condition remplie, tous doivent faire un effort pour admettre et respecter le verdict des urnes.» Au sujet du code électoral vivement contesté par l'opposition, parfois de manière musclée, les évêques ont encore dit leur mot : «Nous ne sommes plus en 1960, ni non plus en 1990. Les Ivoiriens ont, semble-t-il, pris conscience de leurs droits et de leurs devoirs civiques. Pur le code, le législateur répond à une situation avec toute sa complexité, ses requêtes et ses exigences. Mais comme toute loi, le code est inévitablement imparfait. Il est perfectible donc susceptible d'amélioration. Malgré ses limites, une loi d'Etat qui a fait l'objet d'un vote par l'institution de l'Etat qui en a la compétence, en l'occurrence, l'Assemblée nationale, jouit du présupposé d'être tenue pour l'expression de la volonté générale (...) « Et nos dignitaires religieux de lancer «un vibrant appel» à tous les gouvernants : «qu'ils mettent tout en œuvre afin que les consultations populaires se passent dans la discipline, la transparence et la paix. Nous nous adressons également aux partis politiques ; nous les invitons à respecter leurs adversaires et à mettre les intérêts supérieurs de la nation au-dessus des visées purement partisanes.» A l'instar du clergé catholique, les dignitaires religieux musulmans n'hésitent pas, eux non plus, à prodiguer leurs sages conseils aux acteurs politiques ivoiriens. Commentant les récents accords qui ont conclu les négociations politiques entre le Front populaire ivoirien et le gouvernement au sujet des réformes institutionnelles, des prochaines élections et des détenus politiques, l'imam Koudouss Koné, président du conseil national islamique (Cni-la principale organisation du pays) a invité «tous les artisans de la vie politique à persévérer dans cette voie, afin que notre pays connaisse des élections transparentes, gages d'une démocratie vraie et apaisée». Mais, y-a-t-il pour autant une interférence entre la religion et la politique au point de craindre la mise à mort de l'Etat laïc ? El Hadj Aboubacar Fofana, cadre supérieur de banque, et porte-parole du conseil supérieur des imams est catégorique : «Personne ne peut apporter la preuve que nous avons pris position pour une tendance politique. On nous dit souvent qu'il y a la politique dans les mosquées. Mais en fait, il s'agit de jugement qui n'engage que ceux qui l'avancent. Depuis que notre organisation (le Cni) existe, nous n'avons jamais donné l'ordre aux imams de voter pour X ou Y. Nous disons non à la politique pour conquérir, ou exercer le pouvoir. C'est un non volontaire. Car, aucune loi ne nous interdit d'être députés, ministres, maires (...) Les musulmans sont libres de choisir leur parti. Ce n'est pas notre rôle de le faire à leur place. Les confusions entre l'ethnie et la religion, entre la région et la religion et entre le parti et la religion sont des amalgames qu'il faut éviter.» Le parti démocratique de Côte d'Ivoire (Pdci-Rda, au pouvoir), faut-il le rappeler, accuse les dirigeants du CNI de collusion avec le Rassemblement des Républicains (Rdr, opposition centriste se réclamant de l'ancien Premier ministre, Alassane Dramane Ouattara). Cette suspicion au plus haut niveau de l'Etat, né de la fameuse guerre de succession de décembre 1993 entre M. Bédié et M. Ouattara, vaut aux musulmans de Côte d'Ivoire de nombreux déboires. Mais les dirigeants de cette communauté ne s'en laissent pas compter. Et l'imam Fofana de s'aventurer dans un éclairage historique : « Si la majorité de la population musulmane est partisane d'un parti politique donné, cela est le fait de l'histoire. En d'autres temps, cette même population soutenait un autre parti contre d'autres, quand bien même la direction n'était pas musulmane. En 1947, les musulmans ont boudé un leader politique musulman, Sékou Sanogo, au profit de Félix Houphouet-Boigny. Les musulmans savent ce qu'ils veulent». Comme pour dire que les chrétiens aussi savent ce qu'ils veulent, le senior évangéliste Jacob Ediémou de l'Eglise du christianisme céleste, interrogé en août dernier par le quotidien «Le Jour» au sujet de son choix politique, a déclaré : «Je vous donnerai la réponse le 31 décembre. Si Dieu nous donne longue vie. Marquez-le. Je suis Jacob Ediémou Blin, religieux, c'est-à-dire que je suis de Dieu. Mais, je sais que dans mon cœur, je dois supporter quelqu'un. Je dirai devant tout le monde que je suis avec X ou Y». Ces prises de position suffisent-elles pour conclure que la politique et la religion représentent deux mondes parfaitement conciliables ? Une lettre des évêques de la Conférence épiscopale régionale de l'Afrique de l'Ouest, datée du 21 septembre 1995, autorise à le penser. Définissant la démocratie comme «le système politique le plus capable de favoriser l'exercice du pluralisme et la promotion des valeurs qui élèvent l'homme dans sa dignité», les évêques «encouragent tous les chrétiens qui en ont la capacité à s'engager dans la politique, et les invitent tous sans exception à se former à la démocratie». Car, pour ces religieux, «le manque de contre-pouvoir a favorisé la corruption, la délation et le pouvoir absolu qui a abusé du silence apeuré des populations, et s'est servi de la complicité silencieuse des cadres préoccupés par leurs intérêts personnels». Pour sa part, l'imam Fofana estime que "la démocratie est le moindre mal en matière de gestion des hommes sur terre. Certes la démocratie n'a pas empêché le fait colonial par des pays dits démocratiques. Elle n'a pas empêché non plus l'exploitation à outrance des pays sous-développés. Mais pour la démocratie, aujourd'hui, tout le monde doit se battre. Elle constitue la meilleure voie pour accéder au pouvoir et est un puissant facteur de stabilité politique". Cependant, l'imam Fofana souligne que la démocratie ne se conçoit pas sans connaissance. "Le plus gros problème des Africains, c'est de gérer les concepts sans les connaître et se laisser piéger. On a brandi l'indépendance, l'Afrique s'est ruée dessus sans expliquer ce que cela voulait dire. On s'est jeté sur le concept du développement. Trente ans après, on réalise que l'on doit repartir de zéro. Les concepts ont des fondements géographiques, culturels et historiques. On ne les importe pas comme on importerait un appareil téléviseur. Nous en tant que religieux, nous enseignons d'abord l'unité nationale, puis la tolérance, l'égalité, la justice et la correction dans l'utilisation des biens sociaux". Ces prises de position, pointues par moment, n'ont jusque là pas fait de nos chefs religieux des leaders politiques. Bien au contraire. Formés dans de grandes universités et écoles, la majorité des imams, évêques et pasteurs, incarnent de plus en plus la rupture d'avec la génération de la connivence. Cette rupture se caractérise par la liberté de ton et de propos qu'ils affichent face à tout ce qui touche à la vie publique nationale. Velléitaire, cette génération est très jalouse d'une totale indépendance des églises, temples et mosquées vis-à-vis du pouvoir politique. Vue sous l'angle purement juridique, la démarcation entre l'Etat et les religions est stricte. Mais dans les faits, le flou spirituel continue d'entretenir une ambiguïté qui ne fait pas sourire tout le monde. Ainsi, la première conférence des imams, réunis les 28 et 29 septembre a appelé l'Etat de Côte d'Ivoire à jouer franchement son rôle d'arbitre impartial. Cette conférence a suggéré la création d'un observatoire national de la laïcité de l'Etat et des institutions, l'introduction de la langue arabe dans l'enseignement général et l'autorisation de création d'une radio islamique à l'instar des radios catholiques déjà existantes. Mais ces revendications des dirigeants musulmans, sans cesse répétées, ne semblent pas émouvoir les pouvoirs publics qui donnent l'air de jouer à l'usure. Mais, régulièrement, des couacs viennent perturber cette apparente sérénité. Comme ce 7 mai 1998 lorsque l'imam Koudouss Koné, à la suite d'une descente très musclée d'un groupe de policiers dans une mosquée de la banlieue populaire d'Abobo-Gare, lança ce cri d'indignation : "Nous continuons d'être l'objet d'attaques injustifiées de toutes parts. Que nous veut au juste le pouvoir en place ? Quel péché avons-nous commis ? (...) Nous attendons de voir quelle suite sera donnée à ce dossier épineux. Soyez en sûr, nous allons réagir (...) comme cela se doit. Ces scènes de ménages répétés viennent rappeler à la société ivoirienne et à ses dirigeants que la laïcité est sur le fil du rasoir. Le Sacré et le Profane La Religion et la politique entretiennent des relations quelquefois conflictuelles tant est difficile le respect du tracé qui établit la frontière entre ce qui relève du profane et du sacré. Si d'aucuns sont de farouches défenseurs de la laïcité, il en est d'autres pour revendiquer la participation du religieux dans la gestion politique. Au Sénégal, l'implication des marabouts et des grandes familles religieuses dans la vie politique est un fait constant. Si elle a parfois revêtu une forme active avec notamment des consignes de vote édictés par certains chefs religieux en direction de leurs fidèles, il ya qu'une telle démarche, objet de fortes contestations, est aujourd'hui délaissée. L'irruption du religieux s'est faite depuis lors plus subtile dans la mesure ou tous ceux qui ambitionnent de faire carrière en politique sont obligés de nouer des alliances avec les différentes familles maraboutiques et/ou d'être présents aux différentes manifestations religieuses d'obédience musulmane et chrétienne. Au Mali par contre les chefs religieux ont préferé investir le champs de la médiation, se contentant ainsi de débloquer des situations conflictuelles susceptibles de menacer les fondements et les principes démocratiques. Au Niger sous la pression de certains groupes fondamentalistes le parlement de transition a remplacé le terme laïcité par «un engagement de l'Etat à protéger toutes les religions». Le projet de réforme du Code la famille a été en outre bloqué. L'Etat a cependant verrouillé toute possibilité d'érection d'un parti sur une base religieuse. Si la laïcité est inscrite dans la loi fondamentale du Burkina Faso, il n'est pas rare de voir des chefs religieux jouer subtilement lors de prêches le régime en place. Au Togo on assiste à la floraison de sectes et aux pressions du pouvoir vis à vis de certaines forces religieuses pour les obliger le soutenir. En Côte d'Ivoire, au Bénin, au Togo, la laïcité est là aussi un fait juridique établi, même s'il est des agissements qui viennent du pouvoir ou des chefs religieux rappeler à chaque fois l'étroitesse de la marge ainsi offerte. Il ya par conséquent une vigilance citoyenne qui doit s'exercer sans faiblesse aucune, puisque les tentations demeurent dans nos nations en constitution. Le tout est de savoir si elles seront assez sages pour éviter cette confusion qui peut être grosse de tous les problèmes lorsque précisément elle brouille les repères en désacralisant le sacré et en sacralisant le profane. Deux registres aussi différents que ce qui relève de la Religion et de la démocratie et au respect desquels il est possible d'assurer le libre épanouissement de chaque homme et de chaque femme. Nombre de pages 2 Description courte En Côte d'Ivoire, l'État laïc est confronté au défi de gérer la coexistence religieuse dans un contexte de liberté politique. Les dignitaires religieux, catholiques et musulmans, interviennent activement dans le débat public, plaidant pour la transparence électorale, l'unité nationale et une démocratie stable. Malgré la séparation juridique, la laïcité demeure fragile, avec des appels constants des communautés religieuses pour une impartialité de l'État et des réformes spécifiques. --