L'islam en Afrique de l'Ouest est profondément transnational. Des liens religieux, intellectuels, commerciaux et migratoires relient les communautés à la fois au monde islamique et à des réseaux intra-régionaux denses. Les confréries soufies, le hadj et les voyages d'études ont d'abord soutenu ces connexions, mais les transformations postcoloniales, le transport aérien, les médias de masse, la circulation des cassettes et des supports numériques, ainsi que la diplomatie religieuse parrainée par les États les ont intensifiées. L'agentivité des musulmans africains est centrale : les individus transmettent, adaptent et produisent des savoirs, négocient les pressions externes et innovent dans les formes organisationnelles.
Ce que révèle la Collection islam Afrique de l'Ouest
Au-delà des frontières nationales, la Collection documente ces réseaux. Les articles de presse et les publications communautaires retracent des itinéraires diplomatiques, des projets d'ONG, des flux de financement, des parcours éducatifs et des tournées de prédicateurs, permettant ainsi de retracer les liens dans le temps et l'espace.
Acteurs et canaux
De multiples acteurs entretiennent ces liens. Des ONG islamiques, telles que l'Agence des Musulmans d'Afrique (AMA), la Ligue Islamique Mondiale et la Assemblée mondiale de la jeunesse musulmane, acheminent des ressources vers l'éducation, les soins de santé, les infrastructures d'eau et la protection sociale. Beaucoup privilégient la prise en charge des orphelins et des programmes pour les femmes, et elles coordonnent les demandes tout en standardisant l'appui aux intermédiaires locaux. Les États structurent aussi le champ : l'Arabie saoudite soutient l'administration du hadj, des bourses et des infrastructures ; les organisations caritatives basées au Koweït contribuent à des projets sociaux ; le Maroc mène une diplomatie religieuse à travers la Fondation Mohammed VI des Oulémas africains ; l'Égypte maintient des liens de longue date centrés sur l'université al-Azhar ; depuis les années 1980, l'Iran a étendu son action culturelle et éducative. Sous Mouammar Kadhafi, la Libye a financé des mosquées, des centres islamiques et des écoles, souvent par l'intermédiaire de la Association Mondiale de l'Appel Islamique, parallèlement à des initiatives politiques et économiques. Ensemble, ces canaux ont renforcé la capacité matérielle, l'expertise organisationnelle et le sentiment d'appartenance à la umma des associations islamiques. Ils ont aussi suscité des débats sur la laïcité et les orientations doctrinales, que documente la Collection.
Une "francophonie islamique"
La Collection met également au jour une sphère francophone dense — une "francophonie islamique" (Miran et Oyewolé 2015) — par laquelle des conférences, des séminaires de formation et des réseaux associatifs francophones ont fait circuler idées, personnes et modèles organisationnels. Abidjan est devenue un nœud essentiel lorsque, à partir de 1991, la Communauté Musulmane de la Riviera a accueilli le Séminaire International de Formation des Responsables d'Associations Musulmanes (SIFRAM). L'intellectuel public suisse Tariq Ramadan a contribué à fonder et à présider le Colloque International des Musulmans de l'Espace Francophone (CIMEF), organisé tous les deux ans dans des capitales ouest-africaines. Les débats portaient sur les compréhensions contemporaines de l'islam, la place des musulmans francophones au sein de l'umma mondiale et les relations avec "l'Occident". Ces forums ont favorisé une identité musulmane francophone distinctive, avec un vocabulaire, des réseaux et des modèles organisationnels partagés qui franchissaient les frontières.
Pourquoi la translocalité ?
La "transolcalité" offre un angle plus précis que la mondialisation ou le transnationalisme pour analyser la manière dont les connexions reconfigurent la vie sociale. Elle désigne à la fois les circulations de personnes, de biens, d'idées et de symboles à travers les frontières et une posture analytique attentive aux effets inégaux — blocages et relocalisations — qui mettent au jour les tensions entre mobilité et ordre et contestent les récits linéaires et téléologiques du "global". Sur le plan méthodologique, elle privilégie l'enquête multi-sites ou mobile ; un jeu d'échelles articulant les niveaux local, régional et global ; et une analyse qualitative, métaphorique, des réseaux (Freitag et von Oppen 2010). Conçus pour cette approche, les articles de presse datés et géolocalisés et les publications associatives de la Collection permettent de reconstituer des itinéraires, des flux de financement, des parcours éducatifs et des circuits de prédication à l'échelle de l'Afrique de l'Ouest francophone. Le détail au niveau des événements (dates précises, personnes nommées, lieux) s'associe à des métadonnées adaptées à l'analyse computationnelle. En bref, la Collection est à la fois une archive des mobilités et un registre de l'ancrage — la base probante d'une analyse translocale qui relie des micro-histoires riches en événements à des configurations régionales.
À propos de la visualisation : aperçu spatial de la Collection
De quoi s'agit-il
L'aperçu spatial de la Collection est un outil web interactif permettant d'explorer les dimensions spatiales et relationnelles de celle-ci. Portail donnant accès à plus de 11 500 articles de presse, il transforme un texte riche en une interface cartographique interrogeable. Grâce à des filtres à facettes et à des contrôles contextuels, les utilisateurs peuvent examiner le corpus en temps réel, identifier des motifs et formuler des hypothèses.
Fonctionnement
Au cœur du dispositif se trouve une carte interactive Leaflet.js qui trace les lieux mentionnés dans les articles, permettant ainsi de visualiser l'étendue géographique et la densité. Deux vues complémentaires permettent d'analyser les données à différentes échelles :
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Amas de bulles aux coordonnées précises, dont la taille est proportionnelle au nombre de documents pour mettre en évidence les pôles urbains et régionaux ;
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Choroplèthes agrégées au niveau national, où les pays sont colorés en fonction de la densité d'articles afin d'offrir une perspective macro et diachronique.
Les utilisateurs peuvent se déplacer, zoomer et cliquer sur n’importe quel point ou région pour afficher les métadonnées et filtrer le corpus.
Exploration centrée sur les entités
Les entités nommées — individus, associations, événements, sujets et lieux — sont extraites pour une exploration à facettes. La sélection de l'une d'elles filtre instantanément l'ensemble de données, met à jour la carte et la liste d'articles pour révéler l'empreinte spatiale et le contexte textuel. Une vue réseau illustre la co-occurrence des entités au sein des articles (c'est-à-dire des entités apparaissant ensemble). Des arêtes pondérées par la fréquence, des mesures de centralité et la détection de communautés mettent en évidence, au fil du temps, les acteurs influents, les pôles et les corridors d'interaction. Utilisée conjointement avec les métadonnées spatiales, la visualisation soutient une exploration étayée par les données : commencez par la carte, suivez les entités d'intérêt, puis ouvrez les sources. Elle n'invente pas de liens ; elle rend au contraire les relations régionales et transnationales documentées lisibles et traçables.
Ce qui reste flou : exclusions et biais
Langue et couverture
Actuellement, le tableau de bord s'appuie uniquement sur des articles de journaux en français, ce qui met en avant des musulmans francophones formés à l'occidentale et sous-représente les diplômés des madrasas et des grandes universités islamiques (arabisants), qui communiquent souvent en arabe ou dans des langues nationales et ne parlent pas nécessairement français. Ce biais francophone permet et limite à la fois l'analyse : il met en lumière l'émergence d'une "francophonie islamique" tout en occultant les communautés non francophones qui façonnent la vie musulmane au Bénin, au Burkina Faso, en Côte d'Ivoire et au Togo.
Visibilité ≠ valeur
La recherchabilité et le nombre d'articles servent de substituts à la couverture, non à l'importance. Les priorités éditoriales, la pression politique, la capacité des rédactions et la géographie de la presse déterminent ce qui est publié. Attendez-vous à un biais urbain et francophone : les régions en dehors des capitales, où se trouvent la plupart des médias, peuvent paraître inactives alors qu'elles sont très actives.
Co-mention ≠ connexion
Des entités apparaissant dans un même article peuvent suggérer des liens, mais ne les confirment pas. Par exemple, un compte rendu d'un président recevant plusieurs délégations, dont des responsables musulmans, n'implique pas de relations entre toutes les personnes ou tous les lieux mentionnés. Dans ces réseaux, les arêtes sont des pistes, pas des faits : considérez-les comme des hypothèses et vérifiez les affirmations visuelles à l'aune des documents sources.
La méthode compte
Le passage de la co-occurrence textuelle à la connexion historique est inférentiel. Les choix relatifs au fenêtrage (niveau article), au filtrage, à la mise en page et à la détection de communautés peuvent donner lieu à des regroupements fallacieux ou exagérer la centralité. Conformément à l'approche translocale décrite précédemment, la Collection considère les réseaux comme des points de départ. Chaque affirmation visuelle renvoie aux documents et l'interface met en évidence leur provenance, permettant ainsi aux lecteurs d'examiner la base textuelle des associations apparentes.
Pourquoi c'est important
L'aperçu spatial de la Collection élargit la participation tout en maintenant les sources visibles. Il complète la lecture rapprochée en offrant une méthode extensible pour explorer les liens entre l'Afrique de l'Ouest francophone et le monde islamique dans son ensemble. En associant la découverte à la transparence — des archives aux algorithmes, des interfaces à la redevabilité —, la Collection invite les utilisateurs à considérer la visibilité comme une question à débattre, plutôt que comme un fait à accepter.