Article
La défense confond le parquet
- Titre
- La défense confond le parquet
- Type
- Article de presse
- Créateur
- Par Koné Z. abd'Allah
- Editeur
-
Plume Libre
- Date
- mars 1995
- numéro
- 37
- pages
- 3
- 5
- 6
- nombre de pages
- 3
- Sujet
- Intégrisme
- Langue
- Français
- Est une partie de
-
Plume Libre #37
- contenu
-
Procureur:
Les faits et expressions sont graves, le message aussi alors la sanction doit être exemplaire. Il veulent chauffer à blanc la conscience des frères du Nord pour les dresser contre le reste de la Côte d'Ivoire. Or les musulmans constituent la communauté homogène la plus importante du pays. Vrais croyants qu'ils sont, ils sont très engagés. Allons-nous attendre que notre pays devienne l'Algérie, le Rwanda, la Bosnie, le Libéria?...
Après ce réquisitoire qui ne repose sur aucun fondement juridique et concret, les avocats ont fustigé le tribunal jusqu'à friser l'humiliation. Ecoutez:
Me Konaté
Le support est paru le 1er Février et c'est par un "soit-transmis" du 14 Février que la gendarmerie a été mise en scelle pour commencer sa poursuite. Si l'on s'en tient à l'article 53, il n'est pas applicable dans ses alinéas 1 et 2 car il ne s'agit pas de flagrant délit.
Une procédure de flagrant délit? Là encore nous disons qu'un délit politique est puni d'une peine de détention et non d'emprisonnement. Monsieur le président vous devez prononcer la nullité du mandat de dépôt.
Me Samassi
Le législateur est sage, très sage comme vous l'avez dit monsieur le procureur mais vous, vous ne l'êtes pas; vous êtes excessif, révoltant et vous semez la haine et le péril musulman. Il s'agissait de faire une appréciation technique juridique; il est inadmissible que le parquet se fasse le porte-voix de la division.
En plus le dossier est vide, rien de concret. Ceci est un procès de foi et de loi. Votre juridiction monsieur le président, ne devra être le bras séculier d'un quelconque pouvoir.
Les diviseurs de ce pays ne sont pas ceux-là (montant les prévenus) c'est cette complicité de silence.
Voilà entre mes mains un journal: intitule "ADO, Masta, grands boubous out!" injurieux, séditieux, humiliant au point où on ne peur le comparer à Plume Libre. Et pourtant ses auteurs ne sont nullement inquiétés et ne le seront jamais. Vous dites qu'il y a trouble de l'ordre public mais ce numéro a été mis sur le marché le 1er Février, jusqu'au 14 Février date à laquelle vous avez saisi la gendarmerie, rien n'avait été constaté comme trouble. Le seul incident qu'on a constaté : c'est ce déploiement massif des forces de l'ordre devant le palais et c'est vous monsieur le procureur qui l'avez crée. C'est vous même qui troublé l'ordre public.
Me Fanny: Ce procès est particulier pour nous car il s'agit de celui de frères, de coreligionnaires. Sur le fond technique, ils sont accusés d'avoir écrit des propos de nature à porter atteinte à l'ordre public. Mais l'ordre public qu'est-ce que c'est? De quel ordre public s'agit-il?
L'ordre public est la notion la plus évolutive du droit. L'ordre public au temps colonial était que cette cour de justice était interdite aux noirs, l'aquarium juste derrière l'était également.
Qu'un noir s'introduise dans un de ces lieux, c'était troubler l'ordre public.
A certain moment en Côte d'Ivoire, exprimer son opinion sur certains aspects de vie nationale était troubler l'ordre public. Mais aujourd'hui qu'est-ce que l'ordre? C'est la pluralité des opinions et leur expression. C'est que les musulmans puissent dire enfin : on est l'objet de traitement particulier et injuste. C'est ça l'ordre public. En quoi l'ont-ils troublé?
En plus le P.V. de l'enquête préliminaire est vidé, il n'y a pas eu d'enquête. Comment dans ces conditions on peut établir une culpabilité?
Me Assi: L'expression du procureur a dépassé sa pensée. Ce qui l'a conduit à s'élever contre toute une communauté sans pouvoir se justifier ni expliquer.
Il n'y a pas d'infraction possible sans acte matériel ou intentionnel or aucun de ces deux n'est établi ici.
D'ailleurs le délit d'atteinte à l'ordre public n'est pas un délit de presse. Et que vient chercher la Bosnie, l'Algérie, le Libéria... Ces conflits sont-ils le fait des journalistes?
Et vous trouvez le message de cet article grave. Mais en quoi l'est-il? Voilà un journaliste qui constate qu'on évince de leur poste des membres d'une communauté donnée, qui le dénonce et met en fin d'article ce verset du Coran «O Dieu, possesseur du règne! Tu donnes le règne à qui Tu veux et Tu ôtes le règne à qui Tu veux. Tu donnes puissance et considération à qui Tu veux et Tu avilis qui Tu veux. En Ta main est le bien. Tu es capable de toute chose»(S.III V.26)
C'est en définitive un message de paix; vous êtes victimes d'une situation ne vous en faites pas. Remettez-vous à Dieu. C'est troubler l'ordre public ça?
“Le prophète ne dit-il pas: «Le combat le plus aimé de Dieu est la parole juste prononcée devant un gouvernement injuste.»"
Non Monsieur le président, on n'a pas soumis au débat les éléments de nature à troubler l'ordre public. Certes vous obéissez au principe d'opportunité mais vous ne devez pas vous soustraire à celui de la légalité.
Vous devez relaxer Doumbia Ibrahim et Fausseni Dembélé.
Me Bourgoin:
Monsieur le président je suis inquiet, inquiet pour mon pays, notre pays, la Côte d'Ivoire. Le parquet a agit en politique. Si c'est de son propre chef c'est grave, si c'est sous injonction c'est tout aussi grave.
On s'ingénie à diviser la communauté musulmane en bons et mauvais.. Les bons étant les thuriféraires du pouvoir et les mauvais les intégristes.
Et le parquet suggère qu'on sévisse avant que des actions en cascades ne se produisent, ce qui est contraire à sa vocation. On ne peut pas anticiper sur l'acte.
Monsieur le président. la décision que vous allez prendre est attendu dans les hameaux les plus reculés du pays. Que la sérénité soit de mise. Que la population musulmane qui a beaucoup de raisons de penser qu'il y a malaise soit apaisée.
Mais hélas, malgré toutes ses sages et savantes démonstrations: malgré l'illégalité du mandat de dépôt et l'incompétence de la juridiction devant laquelle les frères ont comparu, malgré le fait que, le procès verbal de l'enquête préliminaire est désespérément vide.... le verdict est tombée, les frères ont été retenus coupables et condamnés à 10 mois d'emprisonnement ferme.
Les dés n'étaient-ils pas pipés à l'avance ?★
Koné Zakaria abd'Allah
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Plume Libre #37
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