Article
Coopération Côte d'Ivoire-Qatar : une affaire d'achat d'armes
- Titre
- Coopération Côte d'Ivoire-Qatar : une affaire d'achat d'armes
- Type
- Article de presse
- Créateur
- Jean Roche Kouamé
- Editeur
-
Le Jour
- Date
- 27 mai 2002
- DescriptionAI
- Le régime du président Laurent Gbagbo en Côte d'Ivoire a mené une vaste opération d'achat d'armes auprès du Qatar après l'élection présidentielle de 2000 et la désertion de soldats. Le ministre de l'Intérieur Emile Boga Doudou et l'expert Philippe Courchinoux ont été les figures clés de ces négociations, initiées par la société qatarie Red Eye advanced technology. Masquée par une visite officielle de l'émir du Qatar en 2002, cette acquisition visait à renforcer la sécurité du régime ivoirien, priorisant l'équipement militaire sur les besoins des populations.
- nombre de pages
- 4
- Sujet
- Qatar
- Langue
- Français
- Contributeur
-
Frédérick Madore
- Identifiant
- iwac-article-0012008
- contenu
-
RELATIONS CÔTE D'IVOIRE-QATAR
UNE AFFAIRE D'ARMES ET DE GROS SOUS
Prétextant le pillage de la «poudrière d'Akouédo» et d'autres casernes par les soldats déserteurs, après l'élection présidentielle sanglante d'octobre 2000, le régime du président Gbagbo se livre à une vaste opération d'achat d'armes. Le ministre de l'Intérieur et de la Décentralisation, Emile Boga Doudou et Philippe Courchinoux, expert en armement, sont les hommes-clés dans les négociations entre le gouvernement ivoirien et le Qatar.
LE MINISTRE D'ETAT, MINISTRE DE L'INTERIEUR ET DE LA DECENTRALISATION EMILE BOGA DOUDOU.
◆ Des documents inédits sur les tractations
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Coopération Côte d'Ivoire - Qatar
Une affaire d'achat d'armes
Prétextant le pillage de la «poudrière d'Akouédo» et d'autres casernes par les soldats déserteurs, après l'élection présidentielle sanglante d'octobre 2000, le régime du président Gbagbo se livre à une vaste opération d'achat d'armes. Le ministre de l'Intérieur et de la Décentralisation, Emile Boga Doudou et Philippe Courchinoux, expert en armement, sont les hommes-clés dans les négociations entre le gouvernement ivoirien et le Qatar.
«Je suis venu apporter mes félicitations au président Gbagbo (...). Les Etats africains ont été solidaires aux pays arabes dans le conflit israélo-arabe. En retour, le Qatar voulait apporter son aide aux pays africains en fonction de ses moyens». Ainsi s'exprimait, le 16 mai dernier à Abidjan, son Altesse Sheikh Hamed Bin Khalifa Al Thani, l'émir du Qatar. Réplique du chef de l'Etat ivoirien, Laurent Gbagbo, au souverain qatari: «Je vois à travers votre visite, s'ouvrir de grandes perspectives de coopération. Cette visite nous donne l'occasion de jeter les bases d'un partenariat durable». Pour sceller «le pacte» entre les deux pays, l'émir du Qatar a été élevé à la dignité de Grand Croix de Côte d'Ivoire, quand Laurent Gbagbo se voyait, à son tour, remettre le collier de l'indépendance du Qatar.
Ça, c'est l'aspect officiel de la visite du souverain qatari. Derrière tout le tapis rouge, le clinquant et la symbolique du toast, se négocie un vrai marché d'achat d'armes.
Squattant, de façon obsessionnelle, le terrain de l'insécurité du territoire ivoirien, après la désertion de près de 500 soldats, les ministres Emile Boga Doudou (Intérieur et Décentralisation), Moïse Lida Kouassi (Défense et Protection civile) et des marchands d'armes en quête de nouveaux marchés, réussissent à entraîner Gbagbo et son gouvernement sur la lente spirale de l'armement (équipement des forces armées et de sécurité). Le deal remonte deux ans en arrière.
En pleine campagne pour la présidentielle 2000. Le 10 octobre de la même année, en effet, Mohamed Al Hamed Al Marwani, directeur général de Red Eye advanced technology, une société spécialisée dans la technologie de pointe en matière d'équipement de sécurité et basée au Qatar, flaire le marché ivoirien. Il adresse un courrier au gouvernement, dans lequel il fait montre des compétences de sa société. Neuf jours plus tard, c'est-à-dire le 19 octobre, le patron de Red Eye advanced technology revient à la charge en adressant deux correspondances; une au ministre de l'Intérieur de Côte d'Ivoire et la seconde à son homologue du Liberia. Mohamed Al Hamed Al Marwani invite les deux ministres à participer au salon Milipol Qatar, premier salon international de la sécurité intérieure des Etats, des équipements de police, de la sécurité des sites industriels et de la protection des populations.
Le ministre d'Etat, ministre de l'intérieur et de la Décentralisation Emile Boga Doudou, l'homme fort du régime Gbagbo.
MINISTERE D'ETAT
MINISTRE DE L'INTERIEUR
ET DE LA DECENTRALISATION
LE MINISTRE D'ETAT
N° 180 / MEMID
FAX 00 974 442 34 84
REPUBLIQUE DE COTE D'IVOIRE
Union - Discipline - Travail
Abidjan, le 10 NOV. 2000
Monsieur MOHAMED AL HAMED AL MARWANI
General Manager RED EYE Advanced Technology
Monsieur le Ministre de la Sécurité,
C'est avec plaisir que nous avons reçu votre invitation pour assister à MILIPOL 2000 du 20 au 23 octobre 2000 dans votre beau pays.
Par la présente, je viens vous confirmer l'accord de mon gouvernement m'autorisant à répondre positivement à votre invitation.
Cependant, dans le souci de renforcer d'avantage nos liens avec votre pays, le gouvernement ivoirien serait heureux de renforcer la délégation par la présence du Ministre de l'Energie et des Mines, du Ministre de l'Economie et des Finances ou son représentant et d'un expert en armement, tous membres de la commission et d'une chargée de mission.
Nous serons heureux de savoir s'il vous est possible de prendre à charge les frais de voyage et de séjour de l'ensemble de la délégation.
Dans l'attente,
Je vous prie de croire à l'expression de mes sentiments distingués.
LE MINISTRE D'ETAT
Emile BOGA DOUDOU
[Sceau]
L'accord du gouvernement ivoirien au D.G de RedEye
LE DEAL DE BOGA
Pour montrer tout le sérieux de son entreprise, le directeur général de Red Eye déniche un bon connaisseur du secteur. Il sollicite les services de Philippe Courchinoux, expert en armement, qu'il charge de piloter les opérations en Côte d'Ivoire et dans la sous-région. Emile Boga Doudou, fraîchement bombardé tout-puissant ministre d'Etat, ministre de l'Intérieur et de la Décentralisation, après les élections calamiteuses
La Côte d'Ivoire et le Togo sur la même longueur d'onde
Le salon Milipol Qatar 2002 ouvre, du 28 au 30 octobre, ses portes au centre international des expositions du Qatar à Doha (capitale). Organisé par le ministère de l'Intérieur, le salon de la sécurité des Etats, des équipements de police, de la sécurité des sites industriels et de la protection des populations concerne uniquement les professionnels. Seules les personnes munies d'une carte d'invitation peuvent y avoir accès.
En Afrique subsaharienne, deux pays (Côte d'Ivoire-Togo), comme il y a deux ans, en 2000, seront représentés par leur ministre de l'Intérieur, aux côtés des 2500 visiteurs professionnels qui assisteront à l'inauguration officielle, en présence de son Altesse Sheikh Abdullah Bin Khalifa Al-Thani, Premier ministre et ancien ministre de l'Intérieur.
Les acheteurs professionnels de ces pays auront l'embarras du choix devant la panoplie de moyens de protection qu'expose Milipol Qatar 2002. Du contrôle d'accès, vidéo-surveillance des sites sensibles, écoute, contre-écoute aux équipements des forces de l'ordre et des forces spéciales, en passant par la protection des VIP (Very important personnality), le marché reste ouvert et alléchant.
JRK
Le tout sécuritaire
Tout est dans les actes. Entre peser de tout son poids pour baisser les prix des produits de première nécessité qui ont pris «l'ascenseur» et la politique de la course à l'équipement militaire, le gouvernement n'a pas hésité à faire son choix. «Je ne peux rien faire pour vous», a tranché le 1er mai dernier, le président Gbagbo, avant de renvoyer travailleurs et consommateurs à leur rêve. Avec dans leur tête plus de questions que de réponses.
Du coup, les attentes des populations, à savoir manger à sa faim, se soigner, se scolariser sont en décalage avec la préoccupation du pouvoir en place : le tout sécuritaire. Nourris aux bonnes grosses mamelles de l'Etat ivoirien dont on ne cesse d'annoncer, officiellement, la sécheresse des caisses, Boga Doudou, Lida Kouassi et consorts ont un seul souci : la sécurité de leur régime pour un second mandat. «Personne aujourd'hui ne peut faire un coup d'Etat en Côte d'Ivoire et le réussir», déclarait, triomphaliste, récemment, le Premier ministre, Pascal Affi N'Guessan. Ce membre de la secte, introduit dans le secret des négociations avec les marchands d'armes de tous acabits, sait de quoi il parle. Un régime fort, c'est d'abord un régime militarisé. L'adage ne dit-il pas: «Qui veut la paix, prépare la guerre»? Et cela, les refondateurs semblent l'appliquer à la lettre.
JRK
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d'octobre 2000, répond favorablement à l'invitation du prince Mohamed Al Hamed. Cependant, écrit le ministre, «dans le souci de renforcer davantage nos liens avec votre pays, le gouvernement serait heureux de renforcer la délégation par la présence du ministre de l'Energie et des Mines (Ndlr, Léon Monnet), du ministre de l'Economie et des Finances ou de son représentant, d'un expert en armement de transmission et d'une chargée de mission (Ndlr, Mlle Marie Gbato)». (Courrier n°260/Menid fax 00 974 442 3484 du 10 novembre 2000).
Boga prend le soin de préciser dans sa réponse: «Nous serions 'heureux de savoir s'il vous est possible de prendre à charge les frais de voyage et de séjour de l'ensemble de la délégation». Une précision de taille. La refondation qui cherchait encore ses marques ne pouvait pas s'offrir le
MINISTERE D'ETAT
MINISTERE DE L'INTERIEUR
ET DE LA DECENTRALISATION
LE MINISTRE D'ETAT
REPUBLIQUE DE COTE D'IVOIRE
Union - Discipline - Travail
13 DEC. 2000
//-)
Son Excellence, le Prince
Mohamed Ahmed AL-Hamed
44 23 484
Excellence et Cher Ami,
Lors de mon séjour à MILIPOL DOHA, je vous avais confirmé que Philippe COURCHINOUX avait pris en charge les billets d'avion de ma délégation en attendant votre remboursement comme convenu dans votre invitation.
Or, à ce jour Philippe COURCHINOUX m'informe que ce remboursement n'est toujours pas effectué.
Je vous remercie par avance de régulariser cette situation.
Dans l'attente,
Je vous prie de croire, Cher Ami, à l'expression de mes sentiments distingués.
[Sceau: Republique de Côte d'ivoire. Le Ministre de l'Intérieur et de la Décentralisation. Le Ministre d'Etat.]
Emile BOGA DOUDOU
P.J. : ci-joint facture des billets.
La lettre de Boga Doudou au Prince pour revendiquer le remboursement des frais engagés.
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luxe de déplacer tout ce beau monde dans le Golfe persique. Elle n'était pas en mesure d'honorer les huit (8) millions de Fcfa de frais de voyage et de séjour. Qu'a cela ne tienne! Philippe Courchinoux, qui ne veut pour rien au monde jeter à l'eau le marché ivoirien, met la main à la poche et paie les billets d'avion VIP pour le séjour de la délégation à Milipol Doha 2000. Mais, une surprise désagréable attend Boga à son retour. Le prince Mohamed Al Hamed Al Marwani qui a pris la ferme promesse de rembourser à l'expert les frais des billets d'avion, ne s'exécute pas. Le chèque adressé à la Société générale est revenu impayé. Craignant d'enfoncer la refondation qui cherche ses marques, dans un scandale financier, le premier flic de Côte d'Ivoire pare au plus pressé. Dans un courrier en date du 13 décembre 2000, Boga Doudou attire l'attention du prince sur ses engagements avec P.J. (pièce jointe), la facture des billets d'avion. Le ministre «prie donc Mohamed Al Hamed de régulariser cette situation».
Décembre 2000 - mai 2002, le temps a fini par arranger le premier contrat de Boga. L'affaire a été bouclée. Mais, à combien s'élève le pactole? Grand secret. Or, le contribuable a besoin de savoir. Et depuis, la Côte d'Ivoire fait copain-copain avec le Qatar, ce richissime Etat de l'Arabie dans le Golfe persique, grand producteur de pétrole et... grand marchand d'armes. «Les pays, aimait à dire le sage de Yamoussoukro, feu Houphouët-Boigny, n'ont pas d'amis mais des intérêts à défendre». Gbagbo, l'actuel président de la République et son hôte qatari, l'émir Hamad Bin Khalifa Al Thani, ancien militaire, appliquent à merveille cette politique. Vous avez dit: «Faire la politique autrement», «gouverner autrement»?
JEAN ROCHE KOUAMÉ
Le président Laurent Gbagbo et son hôte, le souverain Sheikh Hamad Bin Khalifa Al-Thani savourent la coopération ivoiro-qatarie.
