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Libéralisation de l'espace audiovisuel, avenir de la RTI, mission de la presse ivoirienne... Le ministre Ibrahim Sy Savané dit tout
- Titre
- Libéralisation de l'espace audiovisuel, avenir de la RTI, mission de la presse ivoirienne... Le ministre Ibrahim Sy Savané dit tout
- Type
- Article de presse
- Créateur
- Abou Adams
- Editeur
-
Le Jour Plus
- Date
- 2 septembre 2011
- DescriptionAI
- Le président de la Haute Autorité de la Communication Audiovisuelle (HACA), Ibrahim Sy Savané, détaille sa vision de l'espace médiatique ivoirien post-crise. Il aborde la libéralisation de l'audiovisuel, la transformation et la préparation de la RTI à la concurrence, ainsi que la nécessité de restaurer la crédibilité et le professionnalisme de la presse. L'entretien couvre également les défis de la HACA (dettes, matériel), la lutte contre le piratage et l'affirmation de l'indépendance de l'institution.
- pages
- 6
- 7
- nombre de pages
- 2
- Langue
- Français
- Contributeur
-
Frédérick Madore
- Identifiant
- iwac-article-0011104
- contenu
-
Libéralisation de l'espace audiovisuel, avenir de la Rti, mission de la presse ivoirienne...
Le ministre Ibrahim Sy Savané dit tout
Comme le disent de nombreux experts, « la communication est, aujourd'hui au corps social, ce qu'est l'oxygène au cœur humain ». D'où la place et l'importance du rôle de la Haute autorité de la communication audiovisuelle, Haca, au moment où, après des années de graves tumultes dont elle sort, les yeux du monde entier sont rivés sur la Côte d'Ivoire. Ne serait-ce que pour voir la capacité de nos autorités et l'ensemble des Ivoiriens à surmonter les défis, qui se présentent à eux ; et rebâtir de plus belle leur pays. Au moment où la Haca fait ses premiers pas en tant que structure nouvellement créée, nous avons rencontré son président, le Ministre Ibrahim Sy Savané, pour partager avec lui, sa vision de l'état et de l'avenir de l'espace médiatique ivoirien. Notre entretien.
Vous êtes le Président de la HACA, la nouvelle structure qui a remplacé au lendemain de la grave crise post-électorale, le CNCA. Quel sens donnez-vous à ce changement de dénomination ?
S'il ne s'agissait que d'un changement de dénomination, ce serait déjà pas mal mais assez minimaliste comme ambition. Franchement, lorsque, par ordonnance du Président de la République, une Autorité Administrative Indépendante est érigée en Haute Autorité, c'est que l'on en attend beaucoup plus. Surtout que le projet avait été annoncé bien avant. En tous les cas, le plus important est de mener à bien les tâches très importantes que le Président de la République nous a confiées. Pour le reste, vous savez que notre sport favorisé en Côte d'Ivoire est de mettre l'accessoire au-dessus de l'essentiel.
Après trois mois à la tête de la HACA, quel regard portez-vous sur l'espace médiatique ivoirien ?
Ce regard n'a pas encore changé. Je pense toujours que nous avons une crédibilité à reconquérir, que nous devons offrir de bons produits éditoriaux qui apportent vraiment quelque chose aux populations pour les faire sortir de leur léthargie, voire de leur scepticisme par rapport aux médias. Je note quand même une grande aspiration au professionnalisme. Je souhaite que les médias aient plus de moyens pour réaliser leurs ambitions. Je crois qu'en dépit des apparences, notre société n'a pas encore pris la pleine mesure du véritable impact des médias. Il ne s'agit pas de dénoncer épisodiquement les journalistes, mais d'aider à engager une réflexion profonde sur les médias. Mais bon, cela viendra, maintenant que la crise est pratiquement sortie de sa phase paroxystique.
Quel bilan faites-vous de votre gestion depuis votre nomination ?
C'est un peu prématuré, vous ne trouvez pas ? Ce que je sais, c'est qu'il y a un important passif. Des dettes de plusieurs centaines de millions. Cela m'a étonné. Je précise bien que je ne parle pas de détournements ou de mismanagement. Je dis que l'Institution est lourdement endettée. Par ailleurs, comme partout, il y a eu pillage systématique du matériel. Un matériel sophistiqué et très coûteux. Une douzaine de voitures a également disparu. Toutefois, il ne s'agit pas de pleurnicher, mais de remonter la pente. Il faut en effet rester positif, volontaire. J'ai hélas trouvé parmi le personnel des gens perturbés, désabusés, presque traumatisés. Cela peut se comprendre. Mais, j'ai aussi eu la bonne surprise de trouver quelques agents pleins d'enthousiasme et prêts à participer à bâtir une nouvelle institution, qui puisse faire face aux défis sérieux qui nous attendent.
Quels sont les grands chantiers que compte engager la HACA dans les mois à venir ?
La libéralisation de l'espace audiovisuel est au cœur des enjeux. Le recensement des radios nées durant la crise et leur insertion dans le schéma normal de régulation également. Il y a bien évidemment la question équitable qui n'est pas un problème pour toute. Enfin, et ce n'est pas le moins important, la question de la transition numérique qui relève de diverses institutions dont la nôtre. Nous essayons d'apporter notre input à la résolution de cette question éminemment stratégique et qui engage l'avenir de l'audiovisuel pour les prochaines années.
La RTI a eu une part de responsabilité très importante dans cette crise. Après plusieurs mois d'absence, elle a repris du service. Ce de la plus belle manière avec une bonification sur tous les plans. Que pensez-vous de cette nouvelle version de la RTI ?
Pour rester sobre, je dirais que pour le moment la volonté des nouveaux dirigeants, les grandes lignes esquissées sont de très bonnes promesses. Que ce soit au niveau interne comme dans les institutions qui aident les responsables de la RTI à réaliser ces promesses. Contrairement à beaucoup, je pense que cette maison regorge de talents. Certes, il faut continuer de former et préparer la relève. Il faut déjà motiver ceux qui font le travail. Malheureusement, la différence entre celui qui travaille réellement et le "glandeur" qui vient faire du "tape-à-papoter, n'est pas toujours évidente. Est source de démotivation pour les gens de bonne volonté. Les contacts avec la direction générale de la RTI m'ont donné le sentiment d'un leadership plus volontariste se met en place avec la ferme intention de faire travailler tout le monde. Si le poids des clans s'amenuise, je crois que la réussite sera au bout de tous ces efforts.
Quel regard critique portez-vous sur la gestion, en 100 jours, du Gouvernement en ce qui concerne le secteur des médias ?
Pourquoi d'emblée vous m'assignez un "regard critique ". Et seulement sur le secteur des médias ? Plus sérieusement, je crois que dans cette situation, la notion de 100 jours n'a pas beaucoup de sens. C'est une habitude dérivée des 100 jours de Bonaparte et depuis c'est devenu une sorte de repère journalistique. Comment voulez-vous faire un vrai bilan quand l'état des lieux vient à peine de commencer et qu'il est si mouvant ? Je note en tout cas des points positifs. Par exemple, le niveau d'insécurité quoique encore élevé, a tendance à se stabiliser. Je note également une forte volonté des Ivoiriens à tourner la page. Je note que les partenaires semblent intéressés par la relance économique. Mais ce qui apparaît à nos yeux comme un ressac de la violence est encore trop élevé et dissuasif pour ceux qui viennent de l'extérieur. Cependant, je suis convaincu que le Gouvernement pourra maîtriser cette situation. Il y a aussi le risque de surchauffe économique: on assiste à des menées et attitudes spéculatives qui peuvent favoriser des tendances inflationnistes. C'est une lutte difficile. Mais il faut y aller résolument. Dans un autre registre, je crois que la réconciliation va se faire. Mais ne nous emballons pas. Car il reste à savoir ce que recouvre exactement le mot "réconciliation". Il ne faut pas non plus croire en une soudaine épiphanie affectueuse généralisée.
La question de la liberté de presse est toujours d'actualité. D'ailleurs un journaliste de la RTI est détenu à la MACA. Aussi, un journal comme Notre Voie a-t-il son siège occupé par des hommes en armes. Qu'en pense le journaliste que vous êtes ?
Il faut laisser la presse libre. C'est parfois dur à supporter, mais cela fait partie des exigences démocratiques. Vous me posez la question de l'occupation du siège de Notre Voie. Mais on ne peut pas être juge et partie. C'est une question qui a des allures militaires. Le Ministre de la Défense semble pouvoir trouver la solution au problème. Le CNP a fait tout ce qu'il a pu. S'agissant du cas de Hermann Aboa, puisque c'est de lui qu'il est question. J'avoue que je ressens surtout beaucoup de compassion quand je lis certaines choses le concernant. Je ne le connais pas, et je ne connais pas non plus son dossier. Malgré cela, je lui souhaite de recouvrer la liberté. Je me suis informé à quelques sources contradictoires concernant son cas. Mais, au-delà des aspects juridiques, c'est surtout une certaine pitié qui l'emporte, car je me dis qu'il fait partie de ces "gens ordinaires" jetés dans une situation extraordinaire".
Vous incarnez l'une des valeurs du métier du journalisme que compte la Côte d'Ivoire. On vous connaît pour votre attachement aux règles d'éthique et de déontologie du métier. Vous avez occupé de hautes fonctions de l'Etat dans le domaine des médias. Après tout ce parcours, quelles sont selon vous les conditions pour que la Côte d'Ivoire se dote de médias responsables, professionnels et respectueux des règles du métier ?
M. le Président, que répondez-vous à ceux qui estiment que votre charge de diriger n'est pas totalement indépendante du pouvoir exécutif ?
Mais que voulez-vous que je réponde à cela ? Quelle institution est "complètement indépendante" comme vous dites ? Est-ce même souhaitable dans l'absolu ? Mais plutôt que des procès d'intention, il faut citer des exemples précis. Pour ce qui me concerne, nous allons essayer, les collaborateurs et moi de faire de notre mieux. Quand les textes complémentaires qui sont en cours de validation seront signés, on pourra passer la vitesse supérieure et dérouler toute la stratégie. En tout cas, jusqu'ici personne ne m'a rien imposé. Vous savez, il ne sert à rien de crier sur tous les toits " je suis libre, je suis libre". Mais de faire ce qui est nécessaire sans revendiquer une extraterritorialité qui n'a pas de sens. Récemment, à Paris, j'ai posé la question à mon collègue français, M. Boyon du CSA (Ndlr, Conseil Supérieur de l'Audiovisuel) quant aux rapports avec l'Etat. La réponse est simple et je la reprends à mon compte: Respect mutuel avec un Etat qui a accepté volontairement de céder une part de ses prérogatives à une Autorité Administrative Indépendante. Le reste, comme je le dis toujours, est une affaire d'intelligence collective. Pourquoi voulez-vous que l'État se torture lui-même ? S'il crée volontairement une instance d'arbitrage, pourquoi chercher à la discréditer en l'aliénant ? Ça n'a pas de sens. Moi j'ai donc confiance.
La question de la libéralisation de l'espace audiovisuel revient de façon récurrente dans tous les débats. Comment appréhendez-vous ce changement qui s'annonce à grand pas ? Pensez-vous que la nouvelle RTI peut faire face à la concurrence ?
Cette question alimente peut-être les conversations, mais elle ne fait plus vraiment débat. La Loi de 2004 avait déjà tranché. De plus, il y a aujourd'hui un vrai consensus. Je crois que nous sommes plutôt dans les modalités. C'est à cela que nous travaillons. Et, évidemment, nous souhaitons que cette libéralisation apporte une vraie valeur ajoutée. Que les nouvelles entreprises audiovisuelles qui vont naître soient viables. Quant à la RTI, j'ai dit il y a quelques semaines devant ses responsables que la libéralisation pouvait être une menace ou une opportunité. Ils ont à y faire face. Je ne connais pas d'exemple où la libéralisation a provoqué la disparition de la télévision publique qui est irremplaçable. Dans bien des cas, c'est même une opportunité pour celle-ci de se réveiller, de s'ajuster, d'utiliser ses atouts pour faire la différence. Je me souviens que l'on avait annoncé la mort de Fraternité Matin au début des années 90 au moment du fameux "printemps de la presse". J'étais jeune directeur commercial du groupe Fratmat. Et avec mes camarades, Kébé, Dan, Hien et bien d'autres, nous avons connu des jours et des nuits d'angoisse. Je crois, sans orgueil, que nous nous sommes bien sortis.
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bien défendus. Regardez en France, le paysage audiovisuel est diversifié. Il a même explosé, mais le pôle public France 2, très offensif, fait plus envie que pitié. J'ai suggéré à la RTI de créer un "comité stratégique" pour anticiper tous les impacts de la libéralisation. Ils vont se battre. Je sais qu'ils n'ont pas dit leur dernier mot.
Depuis votre arrivée à la tête de la HACA, vous avez pris un certain nombre de décisions, dont l'attribution d'une fréquence à la radio commerciale IVOIRE FM et l'autorisation aux radios confessionnelles de faire de la publicité. Et pourtant, depuis plusieurs années ces dossiers traînaient sur la table de l'ex-CNCA. Alors, M. Le Président, quelles sont les raisons qui ont motivé toutes ces décisions ?
Petite rectification : pour le moment, aucune autorisation de radio commerciale n'a été donnée. Encore que rien ne l'interdise. Vous faites allusion au cas d'IVOIRE FM. Leur stratégie très offensive et une expérience certaine dans le milieu semblent inquiéter des concurrents. J'ai même eu des appels depuis l'étranger. Mais sachez que ces gens attendaient leur autorisation depuis quatre ans, d'après les lettres que j'ai vues. Selon eux, cela durait même depuis sept ans. L'anomalie n'est donc pas qu'ils obtiennent leur fréquence après une si longue attente. D'autant plus que j'ai demandé à mes collaborateurs de regarder dans le détail ce dossier. Tant qu'ils respectent les cahiers de charges, moi je leur souhaite bonne chance. J'espère vraiment qu'ils vont réussir et susciter d'autres vocations. Quant à la publicité sur les radios confessionnelles, nous avons largement motivé cette décision. Leur apport, la nécessité pour elles de garder une certaine indépendance, leur respect des règles établies. Leurs taux d'écoute élevés. Leur contribution à la réconciliation etc. Je préfère largement cela à des formes de financement de radios confessionnelles invisibles et sans aucune traçabilité. Vous n'imaginez pas à quel point il est sain pour un Etat laïc de savoir comment sont financés ses médias confessionnels.
L'espace audiovisuel est gangrené par le piratage des images des médias internationaux, comme le bouquet Canal+Horizon. Que compte faire la HACA pour mettre fin à ce fléau ?
Un problème très grave qui nous préoccupe au moment où s'amorce le processus de libéralisation. Naturellement, la HACA condamne ces actes de piratages. Nous l'avons souvent évoqué avec les responsables de Canal+ Horizon. Je sais aussi que le phénomène a changé d'ampleur avec l'importation de certains types de matériels qui ne devraient pas être autorisés. Nous en avons encore parlé il y a quelques jours. C'est un combat très rude, mais la riposte est en train de s'organiser aussi bien au plan légal que technologique. On n'en dira pas plus sur la question. Ce sont les sociétés audiovisuelles concernées qui sont en première ligne. Bien sûr, la Haute Autorité de la Communication Audiovisuelle y prend toute sa part. Et ses partenaires le savent.
Interview réalisée par ABOU ADAMS


