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Dans l'univers des enfants mendiants de Bouaké : voici le visage hideux de ceux qui les exploitent
- Titre
- Dans l'univers des enfants mendiants de Bouaké : voici le visage hideux de ceux qui les exploitent
- Type
- Article de presse
- Créateur
- D. V. K.
- Editeur
-
Le Jour Plus
- Date
- 27 août 2012
- DescriptionAI
- Le texte explore le phénomène croissant des "enfants talibé", des enfants mendiants à Bouaké, Côte d'Ivoire. Issus de milieux pauvres, souvent du nord du pays ou de l'étranger, ils vivent dans des conditions précaires dans la rue. Ils sont exploités par leurs parents, des maîtres coraniques véreux et des réseaux criminels qui les poussent à mendier, les exposant à la délinquance et à d'autres dangers. L'article souligne la nécessité de solutions, comme la création de centres d'accueil spécialisés et la régulation des écoles coraniques.
- pages
- 7
- nombre de pages
- 1
- Langue
- Français
- Contributeur
-
Frédérick Madore
- Identifiant
- iwac-article-0010826
- contenu
-
ENQUÊTE
**Dans l'univers des enfants mendiants de Bouaké / Voici le visage hideux de ceux qui les exploitent**
Les enfants « talibé ». Les connaissez-vous ? Ne cherchez pas trop. Nous ne sommes pas en Afghanistan. Ce ne sont pas des Talibans non plus. En Côte d'Ivoire, c'est le nom que le langage populaire attribue aux enfants mendiants. Cette appellation est accordée à ces garçonnets et fillettes à tort ou à raison parce que dans la majorité des cas, ils récitent des versets coraniques dans l'exercice de leur métier. Au Centre de la terre d'Eburnie, précisément à Bouaké, plus qu'un épiphénomène lié au déclenchement de la crise de septembre 2002 qui a mis les populations dans une extrême pauvreté, le nombre exponentiel des enfants « talibé » est plus qu'inquiétant aujourd'hui, et appelle des interrogations mais surtout des solutions.
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Ces enfants innocents vivent dans des conditions difficiles dans la rue de Bouaké
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**Les maquis et la gare routière, leurs lieux de prédilection**
A Bouaké, on les rencontrait plus dans les quartiers défavorisés avant 2000, mais le phénomène s'est installé désormais dans les zones du commerce. « Ces enfants mendiants, ce n'est pas un phénomène nouveau à Bouaké. Mais avant, c'était dans les quartiers considérés défavorisés encouragés par les maîtres des écoles coraniques qu'il se pratiquait. Et c'était souvent devant les mosquées et devant les cours de quelques fidèles musulmans aisés. Mais aujourd'hui, ils ont franchi ces limites-là, et fourmillent partout en ville. C'est autre chose », fait remarquer Kassim. Dans la journée, on peut les apercevoir près des portes de magasins et boutiques dans le commerce et sur les marchés. Mais il n'est pas rare qu'ils vous accostent sur les grands carrefours et sur les trottoirs des rues bien fréquentées pour vous mendier quelques pièces sonnantes avec l'argument qu'ils ont faim ou soif. Ils emploient toute sorte d'attitudes pour éprouver vos cordes sensibles et susciter de votre part de la pitié. La nuit tombée, ils mettent le cap sur le quartier commerce pour solliciter les clients des maquis. On les rencontre également à la gare routière du Nord. Dans ces endroits qui ne sont pas faits pour enfant à ce moment du jour, ils exercent jusqu'au petit matin. Dans le ventre de l'obscurité, le danger est leur compagnon le plus fidèle. Vêtus d'habits en haillons avec des cuvettes ou boîtes usagées de conserve de tomates en leur possession, ces enfants comptent parmi les maîtres de la nuit.
La rue est leur domicile. Les étals des commerçants sur les sites où ils pratiquent la mendicité constituent leurs lits. Leurs bras pour s'emballer, leur couverture. Le froid de la nuit, ils s'en sont accoutumés au point de ne plus en faire une préoccupation. On ne peut les estimer à 2000, 3000, 5000 ou plus ? Difficile de chiffrer avec exactitude leur nombre, parce que non recensés, les enfants « talibé » vivent dans l'indifférence totale de tous. Quelles sont les localités « pourvoyeuses » de ces enfants qui ne sont pas toujours de la capitale du centre ?
**La pauvreté, une des raisons évoquées**
Dans notre enquête, Hamed, Amadou et Morry, un groupe d'enfants mendiants rencontrés en pleine activité au maquis Fanta au Centre Ivoire (Point chaud au quartier commerce) ont bien voulu nous révéler les raisons qui les motivent à la mendicité. « On ne mange pas à la maison parce que nos parents n'ont pas l'argent », nous a confié Morry. « On peut gagner 400f souvent 600f ; souvent aussi, on ne gagne rien », a ajouté Amadou. Pour ces gamins dont l'âge varie entre neuf et douze ans, l'option de devenir mendiant s'explique par la précarité de la bourse de leurs parents qui ne parviennent pas à leur assurer le minimum vital. A la maison, ils n'ont pas la nourriture nécessaire. Alors, ils choisissent de rester au dehors. Mais que font les parents pour les retirer de cette vie. Absolument rien. Bien au contraire, ils les y encouragent avec pour argument qu'ils doivent se débrouiller pour se prendre en charge non sans ignorer que leurs enfants se livrent à la mendicité dans la rue. Le comble, c'est très heureux qu'ils profitent de ces enfants. D'autres même les destinent à la mendicité comme métier. C'est le cas des parents eux-mêmes mendiants de profession. Outre ces raisons, les enfants font remarquer que les maîtres coraniques et marabouts les y poussent également. Cette catégorie d'adolescents se fait appeler les « Dougoumankallan » (Ndlr : Apprenants venus d'ailleurs auprès de marabouts).
**Origines des enfants « talibé » de Bouaké**
Les enfants talibé de Bouaké sont issus des milieux défavorisés musulmans d'abord de la ville, mais aussi de la majorité, ils viennent du nord du pays. De Niakara, Katiola, Taféré, Ferké, Korhogo et les villes frontalières sont des viviers qui alimentent le marché de la deuxième ville du pays. Parmi eux, se trouvent aussi des enfants de nationalités étrangères. Ces derniers viennent du Mali, du Burkina Faso, du Niger et de la Guinée. C'est une véritable organisation criminelle. Ce réseau mafieux est entretenu par de vrais esclavagistes. Leur méthode pour avoir les enfants est simple. Ils approchent les géniteurs d'enfants avec la promesse de faire d'eux de grands marabouts en Côte d'Ivoire. Une fois à Bouaké, ils les placent chez des marabouts véreux qui à leur tour leur versent des commissions. Quand ce n'est pas le cas, ils les exploitent eux-mêmes. « Certains quittent le Mali, le Burkina, et ils viennent avec ces enfants, prennent une maison et les exploitent », confirme Oustaz Barou Aboubacar.
**Les maîtres d'écoles coraniques indexés**
Pour Bakary Adama et ses camarades qui officient toujours au Centre Ivoire, leurs maîtres sont complices de leur présence dans ce réseau. « Nous sommes des Dougoumankallan, on apprend le coran auprès d'un marabout et on mendie aussi pour manger. Je suis avec mes parents et mon grand-frère. On se promène un peu partout pour mendier. A part nous, les enfants peuls mendient aussi. Mais eux, ils ne font pas coran là aussi », a soutenu Bakary Adama. Monsieur Martin Kouassi, chargé des programmes de l'Association JEKAWILI COTE D'IVOIRE, une ONG basée à Bouaké qui lutte pour la promotion des droits des enfants, croit en savoir davantage. Il accuse vertement les maîtres coraniques d'être les manipulateurs de ces enfants. « Le Dougoumankallan dans le milieu islamique désigne l'apprenant des écoles coraniques traditionnelles. Dans ce milieu, il y a beaucoup de brebis galeuses. Ce sont des personnes qui vont recruter des enfants sous prétexte de venir leur apprendre le travail de marabout ; mais une fois sur place ici, ils les transforment en mendiants. Ils se mettent quelque part pour attendre et dans la rue, les enfants vont mendier et viennent leur reverser l'argent. Mais pour nous, Dougoumankallan est égal talibé. C'est vrai qu'il y a des maîtres coraniques qui n'accompagnent pas les enfants, mais ils attendent des dividendes d'eux en guise de payement de l'enseignement dispensé. Et, les enfants qui sont issus de milieux très pauvres sont obligés de passer par la mendicité pour payer leur scolarité. Même les maîtres coraniques dont les talents sont avérés n'échappent pas à ce réquisitoire. Leurs prestations leur valent beaucoup de paires de coupures. Mais le mal est que leurs progénitures. Et donc beaucoup de parents confient leur nombre important des enfants à ces maîtres pour qu'ils s'en occupent pour leur survie. Alors le recours, c'est la rue. Ils les poussent volontairement ou involontairement à mendier parce qu'ils n'arrivent pas à les nourrir avec la seule dignité de leur prêche. Quand on leur fait le reproche d'envoyer les enfants mendier pour se faire de l'argent sur leur dos, ils se défendent pour dire que c'est pour eux-mêmes se prendre en charge », stigmatise-t-il. Toutefois, monsieur Martin Kouassi reconnaît que les enfants mendiants ne sont pas tous parrainés, ni n'ont la caution de leurs parents. « Nous appelons talibé tous les enfants qui mendient dans la rue. Mais ils ne sont pas tous manipulés. Parmi eux, il y a des enfants non accompagnés, qui, après avoir fugué loin de leur famille, se retrouvent en situation de survie. Puisqu'ils voient les autres en train de mendier, ils s'accommodent », a-t-il expliqué. Que répondent les maîtres coraniques face aux accusations qui fusent à leur endroit ?
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L'exploitation des jumeaux est une triste réalité dans la pratique de la mendicité
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la promotion des droits des enfants, surtout de la couche défavorisée de la société. Dans nos activités, nous sommes confrontés à la violation des droits des enfants par des vampires. Et très souvent, ces personnes ne sont pas poursuivies par la loi dans la zone de Bouaké. Nous nous battons aussi pour la prise en charge pénale ou judiciaire des auteurs. Nous disons que ces enfants sont exploités, il faut les sauver », condamne-t-il. Toutefois, Martin Kouassi confirme le fait que ces enfants posent déjà des actes répréhensibles. « Leur avenir dans ces conditions ne peut être autrement. Ils sont livrés à la délinquance, aux vols et au grand banditisme, et souvent associés aux gangs. Les filles sont dans le milieu de la prostitution et les garçons dans le domaine de la pédophilie et de l'homosexualité », a-t-il révélé.
**Approche de solutions**
Le mal est réel. Il y a quelque chose à faire pour sauver ces enfants. C'est vrai que l'Etat a pensé à créer des orphelinats pour recueillir des enfants vulnérables. Mais les enfants « talibé » ne sont pas tous classés dans la catégorie de ceux que ces établissements sont habilités à accueillir. Aussi, les Ong et organisations de lutte contre les violations des droits des enfants sont-elles sur le terrain et font de leur mieux pour aider ces enfants. Pour certains, ils sont placés dans des familles d'accueil afin d'être réinsérés dans la société. Mais cette initiative ne connaît pas le succès escompté. Parce que c'est souvent que les enfants désertent les familles d'accueil qui ne sont pas toujours outillées pour gérer ces cas malgré leur volonté de les aider. Pour d'autres, c'est la voie du retour en famille qui est adoptée. A ce niveau, le taux d'échec est élevé également. Il faut donc inventer autres choses. « Comme solutions imminentes, nous sommes en train d'envisager un centre d'accueil et de réhabilitation d'enfants. Afin que ces enfants, quand ils y entrent, ils puissent rester. Les orphelinats, ça ne marche pas parce qu'ils ne prennent en compte que les enfants de zéro à trois ans. La majorité des enfants ne sont pas des orphelins et donc n'ont pas leur place là-bas. Il faut une structure spécialisée qui les prend en charge, pas seulement pour les nourrir et les déposer après, mais qui va se charger de leur formation intellectuelle, professionnelle et sociale. L'enfant qui sort de là-bas peut exercer une activité », suggère Martin Kouassi. En outre, il faut un accroissement des aides et les subventions au centre de providence, une organisation spécialisée dans la réinsertion des enfants vulnérables à Bouaké, et aux autres ONG qui interviennent dans le domaine. « Seuls les privés équipés peuvent s'occuper de ce problème. Il faut réglementer le domaine des écoles coraniques, les obliger à se conformer aux règlements en vigueur pour l'ouverture d'une école confessionnelle ou privée. Ils ne doivent pas être exempts du programme en cours dans nos écoles La langue officielle en Côte d'Ivoire, c'est le français, il faut outiller les enfants à son usage dans les écoles coraniques », a-t-il souhaité. La présence des enfants appelés « talibé » est une situation fâcheuse en Côte d'Ivoire. Mais on laisse faire au nom de quoi ? Question difficile tellement les implications sont exhaustives. Toutefois, on peut chercher à circonscrire le mal si l'Etat ne veut pas se retrouver à gérer dans un futur proche une hausse de la délinquance et le grand banditisme.
D.V.K.
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**Les maîtres coraniques dans l'embarras**
Ils nient en bloc cette étiquette d'exploitants d'enfants qui leur est collée. Evidemment que c'est contraire aux prescriptions de l'islam. Alors de qui les enfants qui mendient en récitant les versets coraniques dépendent-t-ils ? Ce sont des réponses vagues qui nous sont distillées quand on rencontre les mis en cause. Et chacun se borne à crédibiliser son établissement plutôt que de confirmer ou d'infirmer. « Ce sont les autres et jamais eux ».
En clair, l'Imam Coulibaly Ousmane, enseignant à l'école coranique franco-arabe dans le quartier de Koko, est dans cette logique. « Il faut bien faire la part des choses. Ce sont les enfants de Dougoumankallan qui mendient. Nous, nos élèves ne mendient pas et ne se cachent pas pour le faire », rejette-t-il en bloc les accusations.
Aussi, Oustaz Barou Aboubacar, marabout, enseignant dans une école coranique vieille de plus de 40 ans appelée "La lumière de l'Islam" dans le quartier Sokoura, abonde-t-il dans le même sens pour insister sur les valeurs canoniques des écoles coraniques qui se résument en celle de construire des hommes vertueux. « On enseigne aux enfants leur religion. Celui qui comprend très bien peut devenir marabout ou bien peut faire un métier », se défend-t-il tout en insistant sur la religion.
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Oustaz Barou Aboubacar, marabout se défend
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mission sociale des écoles coraniques. « L'école coranique traditionnelle n'est pas payante, on fait ça à cause de Dieu. Pour nous-mêmes, tous les mercredis, chaque enfant doit envoyer 100 Frs Cfa. Dans une classe, on peut compter soixante Dougoumankallan. Certains enfants viennent de l'étranger ; d'autres aussi viennent avec leurs parents. Souvent, les enseignants organisent des évangélisations. Dans ça, ils peuvent gagner un peu d'argent. Nous sommes contre les enfants qui mendient dans les rues. Ce sont d'autres marabouts qui font ça ; qui envoient les enfants pour aller mendier, pour faire commerce avec eux. Et les enfants font recettes pour leur donner. Mais ici (Ndlr : Ecole coranique La lumière de l'Islam) ce n'est pas le cas », soutient-il. Le moins qu'on puisse dire, c'est qu'ils sont dans l'embarras. Aussi, le désordre dans ce milieu ne permet-il pas d'extirper les mauvais grains des bons. Et qu'est-ce qu'on fait de l'avenir de ces enfants ? Et que dire du réel danger qu'ils représentent pour la société ?
D.V.K.
**Des enfants livrés à la délinquance et à la débauche**
Des voix s'élèvent contre la passivité avec laquelle les pouvoirs publics observent le phénomène prendre de l'ampleur. Pour Martin Kouassi, ces enfants loin de les présenter comme des enfants de cœur, il faut compatir plutôt à leur souffrance que de les blâmer. Pour lui, ceux qu'il faut condamner, ce sont ces personnes qui les exploitent. « C'est vrai, ces enfants mendiants sont une gangrène pour cette société-là. Tout le monde parle des enfants qui sont dans les cacao et café cultures, mais personne ne parle des enfants mendiants. Depuis 1999, nous faisons la défense et





