Article
Ouattara Ladji, président de l'association musulmane du personnel de l'enseignement : "Les responsables de l'Islam ont dévié..."
- Titre
- Ouattara Ladji, président de l'association musulmane du personnel de l'enseignement : "Les responsables de l'Islam ont dévié..."
- Type
- Article de presse
- Créateur
- Abou Traoré
- Editeur
-
Le Jour Plus
- Date
- 19 mars 2005
- DescriptionAI
- L'article contient une interview de Ladji Ouattara, président d'une association musulmane d'enseignants en Côte d'Ivoire, qui critique l'état des écoles coraniques traditionnelles, plaidant pour une modernisation de l'enseignement islamique intégrant les matières générales. Il déplore aussi la déviance des responsables musulmans par rapport aux principes de l'Islam. La seconde partie examine le rôle croissant des écoles confessionnelles (musulmanes et chrétiennes) en Afrique subsaharienne, dont l'objectif principal est l'inculcation de valeurs religieuses. Elle souligne la démission des États en matière d'éducation, ce qui permet à ces établissements d'opérer avec un contrôle limité, posant ainsi un défi à la laïcité.
- pages
- 8
- nombre de pages
- 1
- Couverture spatiale
-
Côte d'Ivoire
- Bobo-Dioulasso
-
Burkina Faso
-
Niger
- Cameroun
- République du Congo
-
Canada
-
France
- Langue
- Français
- Contributeur
-
Frédérick Madore
- Identifiant
- iwac-article-0010552
- contenu
-
Ouattara Ladji, président de l'association musulmane du personnel de l'enseignement :
“Les responsables de l'Islam ont dévié...”
Le président de l'association musulmane du personnel de l'enseignement Ladji Ouattara dans cet entretien fait un tour d'horizon sur l'Islam en Côte d'Ivoire.
Vous dirigez une association musulmane du personnel de l'enseignement. Pourquoi une telle structure?
Une association musulmane de l'enseignement en Côte d'Ivoire parce que les enseignants sont ceux-là mêmes qui apportent la formation aux enfants. Et en tant que musulmans, nous avons estimé également que nous avons ce devoir d'aider nos jeunes frères à pouvoir s'accomplir dans la religion musulmane. Et puis, apporter notre contribution évidemment dans l'essor de l'Islam en Côte d'Ivoire. En tant qu'enseignant et en tant qu'intellectuel, nous pouvons apporter notre contribution.
Quel regard jetez-vous sur le paysage de l'enseignement islamique en Côte d'Ivoire ?
C'est un regard qui malheureusement ne fait pas beaucoup plaisir. Pour les musulmans que nous sommes, ce ne sont pas les moyens qui manquent mais nous constatons que partout où il y a une école coranique, on rassemble les enfants dans des taudis. Parfois, ils s'asseyent par terre et ce n'est pas digne. C'est vrai que dans les temps anciens, ils s'asseyaient par terre. Mais il faut évoluer.
Et quand ces jeunes gens finissent d'apprendre le Coran et c'est terminé. Ils ne savent plus que faire et ils deviennent les bandits, les voyous. On nous insulte disant qu'est-ce que ces écoles là apportent ? Rien. Puisqu'en sortent deviennent des petits voyous, des braqueurs et autres. C'est vraiment dommage.
Face à cette situation, quel remède proposez-vous?
Notre remède justement c'est de restructurer totalement cette école-là. De lui donner une autre image. Ce ne sera plus cette école purement coranique. Nous mêmes nous n'avons pas fait cette école là. On ne peut pas trop se vanter mais on peut rivaliser avec les maîtres coraniques. Aujourd'hui même, je suis en mesure de tenir une conférence dans n'importe quel domaine. Je ne suis pas allé à l'école coranique mais j'ai pu m'instruire par rapport aux documents.
Aujourd'hui tout est traduit dans toutes les langues. On peut avoir fait l'école occidentale et être un très bon musulman, un érudit. Il y a des élèves qui connaissent parfaitement le Coran mais l'arabe en plus. Il faut plus donc cette école purement traditionnelle, ce sera une école moderne islamique.
Ouattara Ladji, président de l'association musulmane du personnel de l'enseignement
Peut-on avoir une idée de la situation de l'enseignement franco-arabe en Côte d'Ivoire ?
Effectivement c'est l'appellation que nous donnons parce que en allant dans ces écoles, on parlera en plus de l'arabe les langues qu'on apprend à l'école comme l'anglais, le français, l'allemand, etc. Au niveau des écoles franco-arabes qui existent, quelques unes font des efforts pour pouvoir ressembler à celles dont nous parlons. Malheureusement elles se limitent seulement à la classe de CM2 et parfois leurs élèves n'arrivent même pas à avoir accès à l'entrée en 6e parce que le programme n'est pas du tout adapté.
La gestion du quotidien par les dirigeants musulmans aujourd'hui est-elle conforme aux prescriptions de l'Islam ?
Nous venons de nous mettre en place, nous n'avons pas suffisamment de rapports avec eux. Mais si je dois jeter un regard rétrospectif, dans la société musulmane en général, c'est dommage, mais je constate qu'il n'y a pas de solidarité. Les associations qui existent prennent souvent des colorations politiques. Et cette situation est véritablement désastreuse. Cela ne veut pas dire que l'Islam ne doit pas avoir un regard sur la politique. Seulement les responsables de l'Islam ne devraient pas s'afficher. Ils devaient dénoncer ce qui n'est pas bien. Peu importe si c'est leur frère ou un camarade. Mais on réalise malheureusement que les politiciens arrivent quand même à détourner certaines personnes. C'est dommage. Il y a des associations qui ne viennent pas pour l'Islam, elles viennent pour un but purement politique. Nous, notre objectif n'est ni politique, ni mercantile. Notre objectif est que nous connaissions parfaitement notre religion et qu'on sache que quand on est musulman, on doit être un modèle.
L'Islam a-t-elle donc dévié aujourd'hui ?
Ce n'est pas l'Islam qui a dévié mais ce sont plutôt les responsables qui ont dévié de leur objectif. Sinon, l'Islam est inchangeable. L'Islam, c'est l'Islam. C'est nous qui devons changer notre comportement. Nous ne devons pas prendre l'Islam et l'adapter à notre société. C'est nous qui devons nous adapter à l'Islam.
PROPOS RECUEILLIS PAR
ABOU TRAORÉ
Ecoles confessionnelles: au cœur de la transformation des sociétés
Dans les pays au sud du Sahara, le champ scolaire est de plus en plus investi par diverses confessions. Ecoles chrétiennes, établissements musulmans sont nombreux à offrir leurs services. Par leurs enseignements, ces écoles confessionnelles se proposent de modeler la société suivant les valeurs promues par l'Evangile ou le Coran.
Dans nombre de pays d'Afrique subsaharienne, les écoles confessionnelles - chrétiennes comme musulmanes - fonctionnent depuis des dizaines d'années. Une étude de l'Institut de recherche et de développement (IRD) indique par exemple que “71,1% des 1 630 individus scolarisés concernés par l'enquête effectuée à Bobo-Dioulasso, au Burkina, en 1995 - 1996, étaient scolarisés dans l'enseignement public et 28,9% dans l'enseignement privé ; 73,5% d'entre eux fréquentaient un établissement laïque durant leur scolarité, 18,7% une école confessionnelle et 7,8% les deux types d'établissements”.
Cours d'enseignement religieux obligatoires
Dans les écoles confessionnelles d'Afrique au sud du Sahara, en revanche, tout porte à croire que leurs promoteurs sont pour la plupart mus par la ferme volonté d'inculquer, avant tout et absolument, les valeurs défendues par leurs confessions aux élèves inscrits. Au Burkina, au Niger ou au nord du Cameroun, par exemple, dans les écoles coraniques, qui pullulent en milieux urbain et rural parfois sans être déclarées - et dont les programmes, en conséquence, ne sont pas toujours indexés sur celui des écoles publiques -, les enfants reçoivent un enseignement laïque, en arabe et en français, ainsi qu'un enseignement confessionnel. En clair, les cours d'enseignement religieux sont bel et bien obligatoires. Ils le sont d'ailleurs aussi dans la plupart des établissements catholiques ou protestants du Cameroun ou du Congo-Brazzaville. Dans ces pays, certains responsables religieux affirment d'ailleurs sans ambages qu'ils veulent aider les élèves à savoir se situer en jeunes gens de foi devant leur culture. Ils n'hésitent pas à reprendre à leur compte certains extraits du discours d'ouverture prononcé, dans le cadre d'un symposium qui s'est tenu en mai 2001 à Ottawa, au Canada, par Mgr Paul André Durocher : « Si nos jeunes – les élèves formés dans les écoles confessionnelles, ndlr – deviennent capables de s'engager dans le monde, éclairés par la lumière, ils sauront transformer ce monde pour qu'il puisse plus facilement recevoir l'Evangile ».
Des Etats démissionnaires
Cependant, si la tendance des écoles confessionnelles à importer absolument une façon de voir particulière aux jeunes qu'elles forment est très forte en Afrique subsaharienne, c'est aussi parce que les Etats démissionnent de plus en plus de leur mission d'éducation des populations. Pour des raisons économiques notamment. « Les plans d'ajustement structurel ont conduit certains Etats à réduire les dépenses du secteur éducatif et à interrompre le recrutement systématique des jeunes diplômés », souligne le chercheur Gérard de l'IRD (France). Cette démission laisse donc le champ libre aux confessions religieuses, qui peuvent alors se permettre de mettre en œuvre leur propre politique et stratégie éducatives.
En outre, faute de moyens, les pouvoirs publics n'effectuent pas régulièrement, dans les établissements confessionnels, les contrôles nécessaires pour vérifier que les programmes nationaux sont bien appliqués. De ce point de vue, il devient extrêmement difficile de soutenir que ces Etats demeurent les garants de la laïcité de l'école. La définition d'un nouveau rapport entre les Etats d'Afrique au sud du Sahara et les écoles confessionnelles semble donc urgente.
MFI
