Article
Sectes religieuses : liberté et égalité dans un Etat laïc
- Titre
- Sectes religieuses : liberté et égalité dans un Etat laïc
- Type
- Article de presse
- Créateur
- Siméon Kwami Occansey
- Editeur
-
Atopani Express
- Date
- 2 mars 1991
- pages
- 6
- 9
- nombre de pages
- 2
- Langue
- Français
- Contributeur
-
Frédérick Madore
- Identifiant
- iwac-article-0008748
- contenu
-
SECTES RELIGIEUSES
LIBERTÉ ET ÉGALITÉ DANS UN ÉTAT LAÏC
Mon ami Thémis m'enseigne que le phénomène des sectes n'est pas propre au Togo. Que de tout temps, aussi vieux que le monde, il a existé des sectes, surtout pendant les guerres de religion. L'intolérance n'épargna guère les catholiques. Eux aussi furent l'objet de nombreuses discriminations dans les pays gagnés à la Réforme.
En matière de croyance et de religion, plusieurs libertés fondamentales doivent être garanties. La liberté de culte et d'association religieuse doit être protégée au lieu de les proscrire. La liberté de pensée et de conscience, dit le sage Thémis, doit être hors d'atteinte de la volonté étatique.
Dans tous les pays, les sectes religieuses ont rencontré la liberté de pensée et de conscience, la liberté de culte et la liberté d'association. Mon ami Thémis me fait remarquer que ces libertés sont souvent contestées dans les milieux opposants. Le catholicisme, le protestantisme, le mahométisme, dit-il, qui sont les seules "religions légalement reconnues" actuellement au Togo, n'ont pas tant à se réjouir de l'interdit qui frappe les "éléments schismatiques et hérétiques" tels que les Témoins de Jéhovah, le Christianisme Céleste, l'Alladurah, les Brotherhoods, etc., obligés d'opérer dans la clandestinité. Un regard sur le passé nous montre que le sort qui est aujourd'hui réservé à ceux-ci fut jadis le même.
En effet, les communautés chrétiennes, au début de leur existence, furent considérées comme des sectes par le judaïsme. Elles n'étaient guère tolérées. Même l'Empire romain ne leur réservait pas un meilleur sort. À preuve, les persécutions dont furent victimes les chrétiens à Rome jusqu'au IVe siècle. Julien l'Apostat favorisait bien des quantités de sectes pour combattre les chrétiens. Ce n'est qu'en l'an 380 qu'un édit de l'Empereur Théodose reconnut le christianisme comme religion officielle de l'Empire. Ainsi fut mis fin à la persécution des chrétiens.
S'agissant des protestants, l'histoire s'interroge : l'État peut-il s'ingérer dans le domaine religieux, juger de la valeur d'un mouvement de pensée ? Dans un pays authentiquement laïc et libéral, l'État ne peut que constater l'existence d'une pluralité de croyances. Que le message des sectes soit ou non conforme à la vérité divine, conforme à la culture du pays, cela importe peu. L'intrusion de l'État ne peut que constituer un pis-aller. Un pays de vieille tradition démocratique comme la France l'a si bien compris qu'elle imprègne son droit public de la loi du 9 décembre 1905 dite "loi de séparation des Églises et de l'État". Cette loi, adoptée par référendum le 30 décembre 1979, est inscrite dans le préambule de cette même Constitution.
Les chartes auxquelles fait référence le préambule de notre Constitution soulignent toutes, avec force, la liberté religieuse. L'article 6 de notre Constitution est, on ne peut plus explicite. C'est dire, d'après le sage Thémis, que toute loi tendant à supprimer les sectes doit être considérée comme anticonstitutionnelle. La liberté de pensée et de conscience religieuse ne doit souffrir d'aucune atteinte de la volonté étatique. La République et les Droits de l'Homme du 10 décembre 1948 affirment : "Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion ; ce droit implique la liberté de changer de religion ou de conviction, ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction, en public ou en privé, par l'enseignement, les pratiques, le culte et l'accomplissement des rites."
Il découle donc de la Constitution actuelle qu'il n'y a pas pour l'État laïc de différence entre une secte et une religion. Tout Togolais est libre d'appartenir à une secte ou à une religion. La liberté de culte et d'association est également garantie. Très souvent, les autorités utilisent cette notion d'"ordre public" pour sévir contre certaines sectes. C'est cette notion qui a été mise en avant pour prononcer l'anathème contre les Témoins de Jéhovah, les adeptes du Christianisme Céleste, les Alladurah, etc.
Le refus des Témoins de Jéhovah de laisser pratiquer des transfusions sanguines sur leur personne ou sur leurs enfants en danger de mort a souvent été avancé pour motiver des mesures d'interdiction à leur encontre. Constitue-t-il une atteinte à l'ordre public social ? Nous ne le pensons pas. C'est d'ailleurs en ce sens qu'en France, en 1985, le Conseil d'État s'était prononcé dans un procès intenté à l'Association Chrétienne des Témoins de Jéhovah.
Contrairement aux associations syndicales, ces dernières n'ont pas le droit d'ester en justice, mais elles ont néanmoins la capacité de former contre l'administration des recours pour excès de pouvoir. Les adeptes des sectes, comme tout le monde, n'ont pas les mêmes droits que les adeptes des "religions légalement reconnues", mais seulement les mêmes devoirs qu'eux. Catholiques, protestants, musulmans ne doivent pas jouir d'une situation juridique privilégiée au détriment des autres religions. Devant l'État, toutes ces religions doivent être placées sur la même longueur d'onde et toutes les croyances respectées.
C'est au nom de ces principes intangibles que certains pays ont pris des mesures pour punir d'emprisonnement : "Ceux qui auront exercé des contraintes sur d'autres personnes, soit pour suivre un culte ou ne plus le suivre, soit pour l'aider financièrement ou cesser de le faire, soit enfin pour adhérer à une association culturelle ou s'en retirer."
Si liberté d'association et liberté religieuse ont partie liée, force est cependant de constater que le libéralisme dont l'État fait preuve - du moins dans les textes - vis-à-vis des associations syndicales n'est pas le même à l'égard des mouvements religieux. C'est donc une liberté totale qui gouverne la matière. Seul le motif d'ordre public peut apporter des restrictions à cette liberté. Est contraire à l'ordre public tout ce qui s'oppose "aux lois, aux bonnes mœurs et à l'intégrité du territoire ou à la forme républicaine du gouvernement".
C'est ce même esprit qui doit guider l'attitude de l'État togolais face aux sectes et non seulement vis-à-vis des "religions légalement reconnues". Notre République laïque et libérale doit rester neutre face aux idéologies et mouvements de pensée. Elle doit s'abstenir de porter un jugement de valeur sur telle ou telle secte pour éviter de donner dans l'arbitraire. L'État ne doit engager aucune lutte contre les sectes au risque de sombrer dans l'inquisition. L'État ne peut être "secticide".
Kwami OCCANSEY
Avocat à la Cour d'Appel, Président de la Ligue Togolaise pour la Défense des Droits de l'Homme et des Libertés Publiques (LTDHLP)