Article
Pourquoi, comment on devient mendiant?
- Titre
- Pourquoi, comment on devient mendiant?
- Type
- Article de presse
- Créateur
- Evariste Yao Kadanga
- Editeur
-
Togo-Presse
- Date
- 9 novembre 2005
- DescriptionAI
- Cet article explore les causes et les réalités de la mendicité au Togo, illustrant les parcours de personnes devenues mendiantes suite à la maladie, l'invalidité ou la précarité, ainsi que l'existence de mendiants professionnels. Il aborde également les aspects légaux et moraux de la mendicité, les efforts de l'État pour soutenir les personnes handicapées et les solutions proposées pour lutter contre ce phénomène. Enfin, il dénonce l'exploitation de la mendicité par des individus valides et les nouvelles formes d'escroquerie liées à la pauvreté.
- pages
- I
- nombre de pages
- 1
- Langue
- Français
- Contributeur
-
Frédérick Madore
- Identifiant
- iwac-article-0008496
- contenu
-
Pourquoi, comment on devient mendiant ?
N'est pas mendiant qui veut. Rester assis toute une journée durant sur le rebord d'un trottoir ou déambuler d'une rue à l'autre, la main tendue pour gagner une piteuse pitance. Devoir braver la canicule et le froid, soutenir le regard apitoyé de l'éventuel bienfaiteur et celui dédaigneux des passants dans l'expectative humiliante d'un don. Soumettre ainsi les dernières bribes de sa dignité, les reliques d'une fierté émoussée à l'épreuve avilissante de la mendicité et survivre à la honte, à l'abaissement qu'impose inexorablement une telle condition n'est pas du ressort de tout le monde. C'est à la limite inconvenant, inadmissible, voire inconcevable et intolérable pour le commun des mortels.
Et pourtant, il n'est pas un coin de nos rues et quartiers qui ne voie quotidiennement la présence déconcertante d'un mendiant à l'affût ou aux aguets. D'aucuns en ont même fait leur violon d'Ingres et d'autres, une profession. Et ils sont là, hommes, femmes, enfants, jeunes et vieux, de nuit comme de jour, à quémander leur survie.
Qui sont-ils ? Pourquoi en sont-ils là ? Comment supportent-ils cette condition ? Lumière de projecteurs sur un monde et ses réalités.
Naguère, Koffi Agbégnan enseignait dans une école privée de la capitale. Il gagnait un modeste salaire, n'était pas riche mais réussissait tant bien que mal à subvenir aux besoins de sa petite famille.
Du jour au lendemain, il est devenu lépreux. Il a donc rapidement perdu son boulot. Sa femme l'a quitté pour un autre encore indemne et il s'est retrouvé à la rue, seul, abandonné de tous et traînant partout l'implacable anathème de ce mal incurable.
Vaincu par le sort qui s'acharne contre sa misérable loque, répu des vicissitudes que lui impose le devoir de survivre, Koffi, marqué à vie par la douleur, n'a trouvé de salut que dans la mendicité. Assis, les pieds et les mains bandés à l'ombre du kapokier géant qui lui sert désormais d'abri et de demeure, Koffi tend la main et s'en remet à la providence qui daignera bien souffrir qu'il survive à son sort. Il n'avait, dit-il, le choix qu'entre cela et rendre, de ses propres mains, son âme au divin créateur. Comme Koffi, certains mendiants de la capitale sont partis d'une situation sociale enviable pour finir dans la rue. D'aucuns disent même avoir été de fortunés commerçants et hommes d'affaires. C'est le cas du perclus Adboul Razak qui mendie dans la rue de Paris depuis bientôt dix ans ; depuis qu'un malheureux accident de voiture a fait de lui, ex-vendeur de voitures d'occasion, un invalide complet, handicapé moteur et visuel. Dans la capitale, à tous les coins de rues, il y a toutes les catégories de mendiants ; mais ils sont, pour la plupart, des aveugles, des sourds-muets, des estropiés, des lépreux et, depuis quelque temps, des sidéens.
À côté de ces mendiants qui le sont devenus quelque peu par la force des choses, il y a la grande masse de ceux qui prennent le moindre handicap comme une raison de vivre en tendant la main. C'est, en général, des chemineaux et mendigots qui se portent en général à merveille mais se font tout le temps miséreux et vont dans les rues, tout déguenillés, sollicitant partout l'attention et la pitié de la multitude. Certains parmi eux finissent même ainsi par faire fortune.
Le mendiant de la rue des Lilas qui bat le record de longévité dans la profession (45 ans) a confié qu'il ne saurait changer de métier et il a raison. « J'ai commencé, confie-t-il, à mendier à 4 ans en traînant par la main mon père aveugle. Il est mort dans ma douzième année et j'ai pris, depuis, sa place pour subvenir aux besoins de la famille car j'étais l'aîné. Je gagne au minimum 10.000 FCFA par jour. J'ai déjà pu, avec mes économies, construire ma maison et épouser deux femmes. J'ai sept enfants. Et celui-ci est mon benjamin, il a 4 ans. » Dieu a pourtant donné à ce mendiant professionnel, la santé et les aptitudes physiques comme morales pour gagner son pain à la sueur de son front ; mais l'appât du gain facile le maintiendra encore longtemps dans sa condition de sous-homme.
Ordres des mendiants
Si les mendiants de la capitale ne sont pas une famille, si leur profession n'a pas de syndicat, ils ne sont pas moins solidaires pour autant. « Lorsque l'un d'entre nous vient à tomber gravement malade ou même à décéder, nous nous cotisons pour lui venir en aide et soutenir sa famille s'il en a une. Nous vivons dans des conditions précaires et nous savons tous et chacun ce que c'est que de souffrir », indique le doyen du groupe impressionnant de mendiants qui jonchent, tels des macchabées, la rue sous-lieutenant Gnémégnan et les alentours de la Mosquée derrière la poste centrale.
Ils sont souvent musulmans, Allah est leur miséricordieux Créateur, l'Islam leur religion, le Coran leur bible et la mendicité une prescription de ce Coran. Et il n'est pas rare de trouver dans le groupe des érudits et même des fortunés qui, comme les augustins, les carmes, les dominicains et les franciscains des temps médiévaux, ont fait profession de ne vivre que d'aumônes.
Cette catégorie de mendiants ne tend presque jamais la main. Assis en tailleur, le tasbih (chapelet musulman) à la main, ils méditent ou marmonnent parce qu'il leur arrive de rire ou de s'énerver pour certaines blagues. Cela se peint sur leurs visages malgré l'effort qu'ils font pour le cacher. Et puis ça devient incommodant de devoir, tous les jours, supporter leur présence. C'est tout simplement un harcèlement psychologique.
Elles n'en tapent pas moins dans l'œil de certains clients qui, après quelques belles gorgées, dans l'ambiance des mélodies langoureuses d'un ménestrel, voient en ces beautés muettes de bonnes raisons d'être généreux.
À mon avis, car ces gens ne sont pas des nécessiteux mais des vagabonds. Ils doivent être arrêtés car ils troublent l'ordre naturel des choses, la paix publique et la quiétude des citoyens.
Ce que disent la loi et la morale
La mendicité au Togo est un délit et le code pénal togolais, à la section 6 du chapitre sur les infractions contre la paix publique, dispose en ses articles 184 et 185 ce qui suit : « Sera puni d'une à vingt journées de travail pénal, quiconque se livre sur la voie publique à la mendicité ou livre ses enfants à la mendicité. »
La rue de Paris et sa multitude de mendiants connaissent parfois de charitables passants. Sourds (ANSO) vient par la présente solliciter votre aide pour l'achat de machines à coudre et outils divers dans le but de mener ses propres affaires.
Nous serons très heureux de bénéficier de cette subvention financière qui nous permettra de nous installer à notre propre compte et de nous prendre en charge nous-mêmes. Nous vous remercions d'avance. Que Dieu vous bénisse ! »
C'est le libellé du bout de papier frappé du sceau de l'association que distribuent muettement, à longueur de journée, dans les cabarets, de belles jeunes filles qui se disent sourdes-muettes. Difficile à vérifier ; mais elles savent vous décrocher le sourire avenant et le regard accrocheur nécessaires pour vous soutirer la monnaie. L'astuce ici est bien trouvée. Le mal est que les mêmes jeunes filles reviennent, chaque jour, dans les mêmes cabarets pour enquiquiner les mêmes clients. Ce qui, à la longue, finit par indisposer. « C'est de la mendicité déguisée, s'énerve un fidèle client du bar « B.B. ». Ces filles n'ont d'ailleurs pas l'air de véritables sourdes-muettes. »
La nouvelle génération
C'est celle de ces hommes et femmes à la mise parfaite, sûrs de leurs faits, qui vous apostrophent, avec tact, dans la rue et vous enjoignent de les aider à rentrer chez eux, à prendre un repas ou à aller à l'enterrement d'un proche en vous racontant une histoire toute faite, vite faite et bien faite.
Ils ont le verbe facile et les mots pour toucher les cœurs ; leur maintien ne trahit aucune couardise et il n'y a aucune fausse note dans leurs propos enjôleurs.
Malheureusement, il leur arrive fréquemment de tomber, par inadvertance, sur les mêmes personnes auxquelles ils avaient déjà, avec succès, chanté la même chanson. C'est alors que les choses se gâtent, les mines se fâchent et les poings se serrent de colère et de dépit. « J'ai subi, raconte une victime, plusieurs fois cette forme d'escroquerie et je ne m'en suis aperçu que la dernière fois lorsqu'une femme à qui j'avais donné 10.000 FCFA parce qu'elle disait son unique enfant gravement malade et alité sans le moindre soin, est revenue, le lendemain, au même endroit, me répéter la même chanson sans s'apercevoir que c'était encore moi le généreux donateur de la veille. C'est la pire forme de mendicité qui soit. »
Ceux qui n'ont ni domicile certain, ni moyens de subsistance et qui n'exercent habituellement ni métier ni profession et s'adonnent au vagabondage seront punis d'une à vingt journées de travail pénal. Le tribunal pourra en outre ordonner leur placement dans un établissement d'accueil, d'orientation ou de soins pendant une durée de trois mois qui pourra être prorogée dans le but de faciliter leur réinsertion socio-professionnelle.
L'article 186 prescrit, par ailleurs, que les étrangers qui se trouveraient en état de vagabondage soient, à l'issue de leur peine, expulsés du territoire national. Ils sont toutefois exemptés des peines si leur rapatriement est opéré sans retard par les autorités diplomatiques ou consulaires dont ils relèvent.
La morale religieuse n'est pas du même avis et le prêtre catholique qui a accepté de nous répondre n'a pas manqué de souligner la nécessité pour tous de respecter la vie et la dignité humaine.
« Personne ne naît mendiant. Nous sommes tous coupables de cet état de choses. Et le bon sens voudrait qu'on se serre les coudes et qu'on sorte ces gens de leur misère et de la pauvreté. L'Église fait ce qu'elle peut mais il s'agit surtout de créer une véritable synergie sociale à travers une réelle volonté politique de combattre la pauvreté sous toutes ses formes et d'instaurer durablement le bien-être pour tous », a-t-il indiqué. Dans tous les cas, n'hésitez pas si le cœur vous en dit.
Les efforts de l'État
L'État togolais, il faut le reconnaître, n'a jamais lésiné sur les moyens pour apporter, aux personnes défavorisées et particulièrement aux handicapés, l'aide substantielle nécessaire, sinon à leur bien-être, du moins à leur survie. Aussi ne comprend-on pas les raisons de la prolifération des handicapés mendiants dans nos rues. Pour leur éducation, leur scolarisation, leur formation, leur prise en charge et leur réinsertion, le pouvoir togolais a très tôt créé et suscité la création de nombreux centres, écoles spécialisées et autres instituts étatiques comme privés.
On peut citer, entre autres, la léproserie de Kolowaré à Sokodé créée dès 1952, le Centre National de Formation Professionnelle des Personnes Handicapées (CNFPPH) en 1974 à Lomé, le centre des aveugles de Kpalimé, lui aussi, en 1974. Il y a aussi l'école EPHATA de Lomé pour les sourds-muets, les centres pour aveugles à Togoville, Lomé, Bassar et l'Institut de Formation et de Réhabilitation des Aveugles de Sokodé (IFRA).
Au niveau du privé, par ailleurs, on note la Coopérative des Handicapés de Niamtougou (CODHANI), le centre Louise Marillac pour la Jeune Fille Handicapée (CJMFH) de Lomé créé en 1984, les quatre écoles, le centre et l'institut médico-psychologique « Envol » de Lomé pour les personnes handicapées mentales, l'Institut Don Orion de Tandjouaré, le centre Don Bosco de Kara, etc.
En plus de quoi, le gouvernement a, en janvier 2004, fait adopter une loi protégeant les droits civils, politiques, culturels et économiques des handicapés estimés dans le pays à plus de 50 000. On ne saurait, par ailleurs, oublier les nombreux services sociaux rendus aux handicapés, les campagnes périodiques de vaccination contre la polio pour freiner le handicap moteur et la lutte sans merci menée, depuis toujours, contre l'onchocercose, cause de la cécité.
Alors pourquoi tant d'handicapés mendient dans nos rues ? Certains analystes expliquent ce phénomène par la situation de crise généralisée dans le pays depuis un quart de siècle et qui a intensifié la paupérisation. Ils suggèrent pour pallier cette situation, en attendant des jours meilleurs, qu'un centre d'accueil soit ouvert « pour permettre à tous les sans domicile fixe du pays de s'abriter et que des restaurants de cœur soient installés un peu partout pour permettre à ceux qui n'ont rien à manger de faire au moins un repas décent par jour. »
Evariste YAO KADANGA