Article
La Mecque 1991 : chronique d'un pélérinage
- Titre
- La Mecque 1991 : chronique d'un pélérinage
- Créateur
- Hamado Ouangraoua
- Editeur
- Sidwaya
- Date
- 5 juillet 1991
- Résumé
- Le séjour annuel des pélérins burkinabè a commencé le 30 juin au débarquement du premier convoi à l'aéroport de Jeddah. Nos ressortissants considèrent cette ville comme leur mikhat ; répère qu'ils ne doivent franchir qu'en tenue spéciale de deux pagnes dénommée Ihram. L'un noué autour de la taille telle une femme et l'autre porté de sorte à découvrir l'épaule droite. On ne peut entrer dans le périmètre des lieux saints aux fins du pélérinage que dans cette tenue. On y reste jusqu'au retour de La Mecque où l'on a fait une seconde fois les sept tours de la Kaaba. A partir de ce jour, lendemain de la visite du mont Arafat, on est considéré comme El Hadj. Il est tombé cette année sur le vendredi 21 juin.
- Sujet
- Hadj
- Langue
- Français
- Contributeur
- Frédérick Madore
- Identifiant
- iwac-article-0003007
- contenu
-
Le séjour annuel des pélérins burkinabè a commencé le 30 juin au débarquement du premier convoi à l'aéroport de Jeddah. Nos ressortissants considèrent cette ville comme leur mikhat ; répère qu'ils ne doivent franchir qu'en tenue spéciale de deux pagnes dénommée Ihram. L'un noué autour de la taille telle une femme et l'autre porté de sorte à découvrir l'épaule droite. On ne peut entrer dans le périmètre des lieux saints aux fins du pélérinage que dans cette tenue. On y reste jusqu'au retour de La Mecque où l'on a fait une seconde fois les sept tours de la Kaaba. A partir de ce jour, lendemain de la visite du mont Arafat, on est considéré comme El Hadj. Il est tombé cette année sur le vendredi 21 juin.
Auparavant, nos musulmans revêtus de leur Ihram empruntent la route pour réjoindre la ville de La Mecque. Après un court séjour, ils se déportent à Médine. Cette ville sainte a accueilli le prophète, l'a protégé et combattu à ses côtés contre les anti-islams. Il y a résidé* longtemps et édifié une grande mosquée. C'est là qu'il est inhumé aux côtés d'autres prophètes, et de plusieurs de ses successeurs et illustres compagnons. C'est à Médine également qu'une partie du Coran lui a été révélée. Les continuateurs de son œuvre spirituelle y ont décidé, après son décès, d'ordonner et de rassembler en un livre les textes qu'il a reçus à la fois à La Mecque d'abord puis à Médine ensuite. Autant de faits qui contribuent à expliquer l'enjeu du séjour de Médine. Les pélérins burkinabè y sont restés neuf jours en 1991 pour totaliser une quarantaine de prière dans la mosquée du prophète. La bénédiction de cet acte équivaut à celle d'une centaine de petits pélérinages aux lieux saints de l'Islam.
De retour à La Mecque, nos pélérins ne seront qu'en transit car il leur faut passer au moins une nuit à Mina avant de visiter le Mont Arafat. Pour la présente édition il fallait y être au plus tard le jeudi 20 juin. Nous y sommes arrivés tôt dans la matinée après une nuit de prière à l'intérieur de la Mosquée de La Mecque.
Le taxi qui nous ramène de Jeddah le 19 juin à la tombée de la nuit, débouche sur un vaste carrefour grouillant de monde. Soudain retentit dans les cieux une voix métallique. Elle chante l'appel à la prière de la nuit. Dès qu'elle se tait chacun s'immobilise dans le rang le plus proche. L'office commence. Moins de dix minutes après, tout est fini. Mon compagnon, El Hadj Sanogo Mahmoudou, l'index sur l'horizon murmure: c'est la mosquée". Un sentiment diffus ambigu, entre le rêve et le vécu nous assaille. En face de moi, à moins de cinquante mètres, la fameuse Kaabâ ? Oui. Le doute n'était pas permis. Mon interlocuteur effectue son troisième pélérinage (1940, 1985, 1991) sur invitation du ministre saoudien chargé du Haj cette fois-ci. Il s'y connaît. Deux majestueux minarets surplombent de leurs 72m de hauteur la cité enserrée dans des collines de granit frileux.
Il faudra un quart d'heure au taximan pour nous rendre les 400 rials sur le billet de 500 que nous lui avons remis. Compréhensible. Dès que la prière commence, tous les commerces baissent le rideau. "Tout commence maintenant" me rappelle El Hadj Mahmoudou. Nous allons faire notre Tawaf ensuite, le Safa et Marwa. Propos d'initié, ésotérique pour moi. Retenus à tort à Addis-Abéba pour défaut de visa, parvenus par un coup de chance à Jeddah par un vol commercial, presque paralysé par deux nuits sans sommeils, sous le coup du choc émotionnel, nous réalisons à peine ce qui nous arrive. "Mais à qui confier nos affaires ?" risqurais-je "Personne ne vole ici" me rassure l'octogénaire. ‘‘Laissons tout quelque part sur la chaussée" suggère-t-il. Péniblement nous progressons dans la fourmilière humaine et confions nos bagages à un coin proche des taxiphones adossés sur la clôture protégeant le chantier d'extension de la "Mosquée". Nous n'en franchirons le seuil (il y a quatorze points d'accès) qu'une demi-heure après. Dans la foule compacte, se frayer un passage est une gageure. Alors on évolue au rythme de la masse : lent, étouffant, viril. A l'abord de l'aire au central, trône la Kaabâ, édification moyenne de gros parpaings revêtue d'un tissu noir décoré d'un texte entièrement élaboré à la main, en lettre d'or. Obéissant toujours au mouvement de la foule nous entamons notre premier tour. Sous la pression de la file nous nous retrouvons à quelques mètres du bâtiment. Sublime. Quelques policiers en sentinelle contre le mur. Une présence plutôt dissuasive que répressive. Aux environs de "la porte d'Abraham" seule ouverture d'où peint une lueur dorée, personne ne résiste à la poussée de ces grappes de fidèles passionnés. Personne n'a le luxe d'embrasser l'angle béni longuement. On le frôle de la main (ou des lèvres pour les plus solides) ; puis, on proclame à haute voix "Bissimi lahi Allahou-Akkar". Et la circumambulation se poursuit dans un chœur de bénédicitions ou de versets saints. A l'issue de cette première épreuve nous prions deux rakkats. Premiers constats : des signes de fatigues évidents chez mon compagnon, nos verres correcteurs en morceaux. Notre tenue Ihram trempée de sueur, les lèvres et les gorges sèches...mais la foie rafermie par cette conviction à la limite obsessionnelle de dizaines de milliers de nos frères en islam.
Le Zem Zem partout, gratuit
Nous regagnons difficilement la périphérie plus aérée. Tiens ! Une concentration immobile autour des robinets. Génial. "C'est le Zem Zem” nous revèle notre guide. La célèbre eau presque vénérée chez nous. Elle coule, coule sans arrêt. On boit à satiété, on fait ses ablutions avec. Sur toute la circonférence de l'aire abritant le cube sacré, à tous les dix mètres une fontaine de Zem-Zem, réfigérée ; avec de petits gobelets enchaînés. Elle est gratuite. On y a accès presque sans busculade. Après quelques gorgées, mon compagnon recouvre toutes ses forces. Sur sa jambe douloureuse il en verse un gobelet, se lave pieds et avant-bras.
Une fois sur l'air de marbre blanc, il rajuste ses pagnes, expire longuement, me fait signe de la main. Nous devons poursuivre pour la jonction de Safa et Marwa. Sept fois aussi. Deux monts à l'intérieur de la mosquée reliés par un couloir ovale de près de 400 m Au centre, une allée aménagée et protégée tient lieu de parcours des handicapés dans des voiturettes. A notre troisième tour, une paire portant un fidèle dans un panier (des dizaines de personnes accomplissent leur tour de la Kaabâ ainsi) s'excuse bruyamment l'allure pressée "Laisse passer, c'est un mort. Ils vont prier pour lui à la Kaabâ" m'enjoint mon compatriote. Ici, c'est toujours ainsi, m'apprend-t-il.
Au terme de nos sept allées et venues ponctuées de haltes pour réciter quelques versets en direction de la Kaabâ, nous nous retirons aux environs de deux heures du matin. Nous cherchons nos bagages deux heures durant. En vain. Nous repartons dans la mosquée afin de mieux repérer la porte par laquelle nous sommes entrés. A cinq heures du matin, ouf, nous y voici. Enfin.
Maintenant on va s'asseoir. Tu peux nous chercher de quoi manger, puis on part à Mina", décide El Hadj Mahmoudou. Je téléphone d'abord ; à la résidence de El Hadj Abdoul Cadre Bancé, Burkinabè résidant dans la ville depuis trente sept ans. La ligne est mauvaise. On grignote un sandwich arrosé de pepsi et en route pour Mina. Trente minutes de route. Nous y sommes. A perte de vue s'étale un champ de tentes. Des centaines d'hectares colonisés par les pélérins. Comment y retrouver les siens ! D'autorité nous nous installons sous un pont conquis par des Djiboutiens.
Le vendredi 21 juin, des centaines de milliers de véhicules convoient le million de pélérins au pied du mont Arafat. Dans un concert inoui de klaxon, une ambiance de kermesse géante. Sur tout le long du trajet une marée d'hommes fait la vingtaine de kilomètres à pied. A la sortie du camp de résidence vers Arafat des ponts superposés délaient le trafic à travers quatorze issues. Elles ne pourront pas nous éviter les bouchons. Partout de longues queues de voitures surchargées jusqu'au toit. Il nous faudra près d'une heure pour joindre Mina à Arafat. Le carnaval tiendra jusqu'à l'après midi. Une fois sur la plaine de Arafat nous nous installons à l'intérieur du périmètre de sanctification. Visiblement des milliers de fidèles y ont passé une partie de la nuit. A cent mètres à l'Est de notre pied à terre, une colline dont le sommet est déjà jonché de visiteurs tout de blanc vêtu, en Ihram. Sous l'éclairage de mon compagnon, nous nous dirigeons sur la Mosquée desdits lieux. Sur notre route, la foule se densifie au fur et à mesure. Aux abords du point de mire, nous sommes à nouveau prisonniers du bloc humain grillé par une canicule matinale. Impossible de se passer du parasol. N'en déplaise à la maigreur de nos bourses. Malgré la présence de nombreux points de distribution gratuite d'eau, les commerçants montent les prix. Celui du parasol a triplé, celui du litre d'eau minérale a double par rapport à ceux qu'ils étaient dans la ville de La Mecque.
A l'entrée de la mosquée, je dus insister pour que nous renoncions à y pénétrer. A onze heures il n'y avait plus un centimètre carré où poser le pied et... l'affluence continuait toujours. Objectivement, le mal de notre compagnon a doublé d'intensité Nous accédons à un poste de santé à proximité. Il y en avait des dizaines implantés dans les différents sites des rites. La prière intervient à treize heures. Plutôt les prières Les deux traditionnelles de l'apres midi sont réduites de moitié et cumulées à l'occasion.
Le pèlerinage c'est Arafat
Puis vint l'instant T. Le stationnement au Mont Arafat. Après avoir consommé ce fruit interdit du jardin d'Eden, le couple Adam et Eve s'est retrouvé sous le coup punitif. Il a erré pendant cent vingt ans avant que Dieu ne le réunisse au pied de cette colline pour leur pardonner, effacer leurs péchés. C'est donc en souvenir de cet acte que les fidèles s'y retrouvent le même jour, le neuvième du mois lunaire pour solliciter la reddition de tous leurs péchés. Ceci constitue et une obligation pour tous musulmans, qui en ont les moyens et le cinquième pilier de l'Islam. "Arafat, c'est le pélérinage" a proclamé le prophète de son vivant. Donc dès la fin de la prière et les bénédictions de l'Imam de Arafat, tout le monde converge vers cette colline pour solliciter les meilleurs égards de Dieu le Clément sur terre et au-delà. Toute formulation de demande sincère adressée au Tout Puissant à cet instant est exhaussée. La particularité de ce Haj est que ce jour J est tombé sur un vendredi. Ce qui centuple la valeur des bénédictions de ce pélérinage et justifie le déplacement des centaines de millers de disciples malgré un contexte dissuasif. De tous les points de la manifestation, c'est la demi journée passée au flanc du Mont qui a été le témoignage de l'expression de toute la foie qui motive ce voyage. Tout autour de nous, des dizaines de pélérins en transes, en larmes signes d'une émotion si intense qu'elle ne peut être contenue. Là chacun retrouve tout le sérieux dû à la circonstance, récite avec toute la force de sa conviction ses versets choisis. Jusqu'à la tombée de la nuit.
A la faveur de la pénombre, on réembarque, direction Muzdafifa. Tout pélérin valide dit y passer la nuit. Dès une heure du matin, la caravane reprend sa marche sur Mina à 18 km de Muzdalifa. Postés au bord de la chaussée, nous ne trouverons place dans une “vingt deux" qu'après quatre heures d'attente. Nous mettrons autant de temps pour joindre les deux sites : bien longtemps après ceux qui, par milliers ont fait la route à pied. Un trajet caractérisé par de nombreux tunnels et ponts d'échanges. Facilement, nous passons la vingtaine de minutes sous un tunnel taillé dans les montagnes. L'on comprend aisément qu'une coupure de courant ait semé la panique justement dans ces passages il y a un an.
De retour à Mina dans la journée du samedi les pélérins jettent leurs premières pierres à Sheitane et repartent immédiatement pour La Mecque. A nouveau un tawaf (sept tours de la Kaabâ), et ils regagnent Mina car personne ne doit passer la nuit à La Mecque.
Enfin, tout ou presque est acquis. Les quatre piliers du pélérinages ont été réalisés : l'affirmation de l'intention d'accomplir tout le rite du petit et/ou du grand pélérinage en entrant dans la tenue (Ihram); la station au Mont Arafat, le Sa'i entre Safa et Marwa, la double circumambulation de l'lfada (sept tours de la Kaabâ). Le pèlerin se débarrasse enfin de ses pagnes, se coiffe, prend un bain et retrouve ses vêtements. Afin de parfaire sa conquête, le fidèle doit rester à Mina soixante douze heures au cours desquelles journées, ils jettent une fois par jour, vingt et une petites pierres aux trois piliers symbolisant Sheitane. A l'issue de ces séances, ils quittent obligatoirement Mina pour un tour d'adieu à la Kaabâ. C'est donc le mardi 25 juin que les nôtres ont posé cet acte final, acquerant ainsi définitivement leur titre de El Hadj. Les retardataires ont dû par la suite refaire le voyage à Médine avant d'entamer les préparatifs du retour au Burkina. Retour effectué sur deux vols Air Afrique les 1er et 2 courant à destination de Ouagadougou et Bobo respectivement.
El Hadj Hamado OUANGRAOUA
Ressources liées
Fait partie de La Mecque 1991 : chronique d'un pélérinage