Article
Mendicité à Ouagadougou : les disciples, les parias et les parasites
- Titre
- Mendicité à Ouagadougou : les disciples, les parias et les parasites
- Type
- Article de presse
- Créateur
- B. Zéphirin Kpoda
- Editeur
-
Sidwaya
- Date
- 18 février 1994
- DescriptionAI
- Ce grand reportage explore la mendicité omniprésente à Ouagadougou, analysant ses causes profondes mêlant indigence, traditions et interprétations religieuses. Il révèle l'exploitation d'enfants forcés à mendier par des maîtres, ainsi que l'existence de faux mendiants et de réseaux parasites profitant de l'aumône. L'article souligne l'importance des centres de réinsertion pour offrir une alternative et former ces jeunes à un métier.
- nombre de pages
- 2
- Langue
- Français
- Contributeur
-
Frédérick Madore
- Identifiant
- iwac-article-0007347
- contenu
-
Aux feux
ENQUÊTES ET GRAND REPORTAGES
MENDICITÉ À OUAGADOUGOU
Les disciples, les tricolores, aux stations-services, sur les marchés... les mendiants sont omniprésents à Ouagadougou. Sous ces haillons de gueux se cachent des "disciples de Dieu", des parias mais aussi des parasites de la société. Enquêtes et grands reportages dans les rues de Ouagadougou sur la mendicité.
Enfants de la rue : disciples, parias ou parasites ?
La plaie de la mendicité se nourrit de considérations socio-culturelles qui embrassent les domaines de la tradition, de la religion et de l'éducation. Ses racines sont aussi vieilles que la société et poussent des indigents pour mendier la charité. Néanmoins, la première cause de la mendicité est l'indigence, l'incapacité de se prendre en charge ou d'être pris en charge. De tout temps, il s'est donc toujours trouvé partout des indigents pour mendier la charité. Mais l'indigence, selon toute vraisemblance, n'est que l'égratignure qui a permis à la plaie de la mendicité de se creuser et de s'aggraver au contact des imperfections sociales de toute nature.
Les disciples et les parias de la foi
Dans la quasi-totalité des religions, l'aumône et la charité sont un acte de foi. Partager avec les autres, même le peu dont on dispose, est une vertu. La veuve et l'orphelin, particulièrement pour le judaïsme, sont des indigents singuliers. Plus qu'à toute autre personne, la société leur doit respect et solidarité. Le christianisme proclame la fraternité universelle et le partage du "pain quotidien" comme acte de foi. Les exemples ne manquent pas dans le Nouveau Testament où, à travers le symbolisme des paraboles, Jésus enseigne la charité à ses disciples. Aujourd'hui, les chrétiens ont repris cet altruisme de Jésus comme une manifestation de la foi en un Dieu unique qui créa tous les hommes frères.
La Zakât ou l'aumône légale dans la religion musulmane est l'expression d'un idéal de solidarité proclamé comme l'un des cinq piliers de la foi. Bref, dans toutes les religions révélées ou non, l'aumône est recommandée. Elle exprime, au-delà de la simple charité humaine, une originelle volonté divine. Celle qui fait des fidèles d'une même religion des frères dans la foi.
Est-ce à dire que les religions, en encourageant l'aumône, nourrissent la mendicité ? Certainement de façon indirecte. En effet, sans être dans le besoin, certains mendient pour satisfaire aux artifices culturels et aux courants nécessiteux. Si l'islam recommande la zakât, il n'autorise pas la mendicité. Cependant, il la tolère. Ce n'est pas fortuit si les mendiants aiment à s'installer autour des mosquées ou que le vendredi soit un jour de prédilection pour les mendiants des écoles coraniques.
De toute manière, à la fois parias, parasites et disciples de la foi, ces enfants sont comparables à des appelés à l'initiation, obligés de subir l'épreuve de la rue. La mendicité ici fait office d'école de la vie. Elle entre dans la formation socio-éducative pour faire de l'enfant un adulte. Mais l'arbre ne doit pas cacher la forêt. Est-ce la bonne manière d'enseigner à l'enfant les difficultés de la vie ? Faut-il lui apprendre à tendre la main plutôt que de se servir de ses dix doigts ? En tout cas, l'école de la rue ne fait pas toujours de saints hommes. En effet, sous le couvert du "gariboutage", certains enfants qui n'ont jamais mis pied dans une école coranique vous agressent les consciences dans la rue. Voleurs à l'occasion, ces enfants apprennent par la rue tout le contraire de l'esprit coranique. Dans cette dérive, ils sont poussés par des maîtres peu scrupuleux, tapis dans l'ombre et qui récoltent chaque soir, comme un produit de cueillette, les recettes de la journée. Ils agissent non pas comme des maîtres d'école mais comme des maîtres de fazenda, et les enfants qui leur sont confiés ne sont pas seulement des élèves mais aussi des ouvriers de la mendicité. Punis ou choyés selon leur "productivité", souvent à la sortie de l'école, ils n'ont pas d'autres perspectives que d'être eux-mêmes des maîtres coraniques, des imams ou des muezzins.
À l'aide d'un interprète de fortune, un cireur qui passait par là, j'ai abordé dans la rue plusieurs de "ces dieux délinquants". Rarement seuls, ils se déplacent toujours en groupes de trois, quatre, cinq maximum.
- Comment tu t'appelles ?
- Amidou.
- Tu fais l'école coranique ?
- Oui, à Dapoya.
- Tu es à l'école, ça fait longtemps ?
- Oui, cela fait deux ans.
- Pourquoi tu mendies, est-ce le maître qui te le demande ou parce que tu n'as plus de parents ?
- À l'école, tout le monde doit mendier. Mon père est à Djibo avec ma mère et mes frères. Ça dépend des jours. Nous mettons l'argent ensemble (ils sont trois). Des fois, nous avons 200, 300 ou même 500 FCFA par jour.
- Combien tu peux gagner par jour ?
- Qu'est-ce que vous faites avec l'argent que les gens vous ont donné ?
- Le maître le prend.
- Tout ?
- Non, des fois, il nous redonne 100 ou 200 F. Cela dépend de ce que nous avons ramené.
M. Nana Jean Paul, directeur de l'INE PRO : une volonté d'aider l'enfance en difficulté.
Mais est-ce que vous ne pouvez pas cacher l'argent que l'on vous donne ? Par exemple, si vous avez gagné 500 F, ne vous arrive-t-il pas de dire au maître que vous n'avez eu que 200 F ?
J'ai aussitôt compris que ces "disciples en quête de leur pitance quotidienne" sont endoctrinés pour ce faire. Dans toute leur innocence, ils sont loin de s'imaginer être des marginaux, incompris et même détestés par certains.
- Non, jamais ! Celui qui fait ça ne progresse pas dans ses études. Dieu n'aime pas ça et il le punira un jour ou l'autre.
Au nom de la tradition...
"Kinkirsi må M'bonsdé", ou "Flani bi an fora", qui n'a jamais entendu l'une ou l'autre de ces formules lapidaires, récitée par une maman chargée d'enfants ? "Une mère de jumeaux fait la quête" ou "des jumeaux vous saluent". Ce sont là les versets de la mendicité que la tradition moaga et dioula impose à la femme qui accouche de jumeaux. Entre leurs six mois et leurs cinq ans, la mère de jumeaux doit de temps à autre faire une quête symbolique pour conjurer le mauvais sort qui pourrait poursuivre ses enfants. Selon les traditions, cette mendicité est souhaitée par les jumeaux eux-mêmes qui le manifestent par des pleurs incessants et des maladies intermittentes. Mais frappée par la nécessité, cette quête symbolique, dans bien des cas, devient une mendicité absolue. On voit alors des mamans chargées de leurs bébés déambuler dans les rues de Ouagadougou, tendant la main à tout venant. À regarder de près, on doute facilement que certaines progénitures de ces bonnes dames soient effectivement des jumeaux. En effet, pour attirer la pitié, elles s'entourent de deux ou trois enfants d'âge sensiblement égal et jouent aux mères de jumeaux obligées à la mendicité. La tradition est alors un prétexte et les enfants dont elles s'entourent, un subterfuge. Combien sont-elles de femmes nécessiteuses dans cette situation dans la ville de Ouagadougou ?
Les mendiants riches ou les parasites
Sous le couvert de la religion, de la tradition ou de l'indigence, il s'est donc développé une race de mendiants de luxe. Des hommes valides, avec beaucoup de possibilités de mener une vie active normale, se convertissent en indigents. Tapis autour des mosquées ou ailleurs, ils sont souvent plus riches que vous et moi. Certains ont des troupeaux, des maisons en bail ou des parcelles loties à monnayer.
Il y a quelques années, l'anecdote d'un réseau de marabouts complices de ces pseudomendiants avait fait le tour de la chronique à Ouagadougou. De quoi s'agissait-il ? En 1978, en pleine campagne électorale, un célèbre marabout, ou réputé tel, s'était enrichi sur la crédibilité des politiciens par le biais d'un réseau de faux mendiants. En effet, pendant les consultations assidues dont il était l'objet, il demandait à ceux qui sollicitaient ses pouvoirs occultes de sacrifier qui un bélier, qui un âne ou un bœuf. L'animal ou l'argent à sacrifier pouvait être donné en aumône à un mendiant. Pas à n'importe quel mendiant, mais bien à celui qui correspondrait à ses descriptions. Il pouvait par exemple dire à ses clients : "vendredi au crépuscule, à l'Est du cimetière de Gounghin, le premier mendiant que tu verras en boubou blanc portant un turban noir, remets-lui ton aumône". On devine alors qu'il lui était très facile ensuite de déguiser un complice en mendiant pour recevoir bœufs, béliers, ânes ou simples poulets. Immédiatement revendus, les recettes allaient grossir la caisse commune du réseau. On comprend pourquoi les places qu'occupent certains mendiants enturbanés autour des mosquées et des marchés ne sont pas le fait du hasard. Pour beaucoup, ils sont "réservés", connus d'avance par des marabouts qui guident vers eux les largesses des clients crédules. Autour de ces mendiants à la carte grouillent des "receleurs" prompts à racheter les aumônes à vil prix. Marabouts, mendiants, receleurs : trois maillons d'une même chaîne, celle de parasites sociaux qui, en bons flatteurs, vivent aux dépens de ceux qui les écoutent.
Le cas de l'INEPRO, Institut national d'éducation et de production, est une voie de réinsertion des enfants en difficulté. Établissement public à caractère administratif, il a été créé par décret en juin 1986. Subventionné par l'État à hauteur de 20 000 000 FCFA par an, ses objectifs s'articulent autour de deux points : la prévention de la délinquance juvénile ou toute autre forme de marginalisation par la lutte contre l'aggravation, la récidive et l'extension des troubles caractériels des jeunes en voie d'adaptation.
Et pourtant, l'insertion est possible.
En définitive, l'INEPRO à Gampela et le centre d'Orodara, créé depuis 1956 par les missionnaires catholiques, poursuivent la même finalité. Celle de donner aux jeunes inadaptés un encadrement apte à façonner leur personnalité. L'apprentissage d'un métier leur assure des possibilités d'autonomie sur les plans social et professionnel.
Des centres comme l'INEPRO ont besoin d'être multipliés. Sans être un remède au problème de la mendicité, ils offrent certainement des opportunités à ces enfants de la rue. Savoir se servir de ses dix doigts forme davantage l'enfant à la vie active que la mendicité que lui impose le folklore désuet d'une tradition ou les déviations de la pratique religieuse.
B. Zéphirin KPODA
Photo Issouf Ouédraogo
Un atelier de menuiserie métallique à l'INEPRO pour apprendre aux jeunes à se servir de leurs dix doigts.
Elle a tout pour être heureuse dans une chaleur familiale, pourtant elle mendie dans les rues.